Le Yemen, encore un triomphe catastrophique

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Il est vrai que les puissantes légions américanistes-occidentales, – américanistes au premier chef, – contrôlent le Yemen depuis belle lurette. L’empire est partout, – ou, plutôt, le Système. Le succès est complet, donnant parfaitement la mesure de l’échec qui le caractérise paradoxalement, – selon cette contradiction qui reflète parfaitement la dualité du Système dont la face sombre est évidemment sa pulsion autodestructrice.

…Dernier signe de la chose (le succès c’est l’échec), le Yemen. La situation s’est brutalement aggravée, – elle n’était déjà pas mal, – avec la blessure du président Saleh, son évacuation vers l’Arabie pour être soignée, cela étant salué par les foules en délire comme le signe qu’il ne reviendrait plus. Exit, Saleh… L’événement est venu à point pour attirer de nouveau l’attention sur le Yemen, où “le printemps arabe” est particulièrement actif depuis des mois et des mois.

C’est ainsi que l’on apprend que le Yemen est particulièrement haut placé dans les préoccupations des divers services de sécurité américanistes-occidentalistes. Le Daily Telegraph du 5 juin 2011 mettait en évidence la véritable panique qui touche ces services, notamment, dans le cas qui nous est cité, le MI6 britannique.

«Intelligence services have concluded that Yemen's political instability will bolster al-Qaeda's presence in the troubled state. “The intelligence people are terrified,” one government source said yesterday. “It could easily get worse.” For 30 years, President Saleh has been backed by the West with aid money and, increasingly, with security advisers.»

Anthony Wile, de Daily Bell, partisan britannique de l’application d’un marché libre intégral et pourtant critique des actuelles politiques parce que le vrai marché libre n’a selon lui pas été appliqué (cela renvoie à la tendance libertarienne US), – Wile souligne le 3 juin 2011 l’enjeu fondamental qui existe, selon lui, autour du sort du Yemen. Il ne s’agit de rien moins que du sort de l’Arabie et du dollar…

«The Saudis were willing accomplices, but in reality they didn't have a choice. The world's economy, when you come down to it, is a product of American military force. Use the dollar to buy oil or else ... But if the US and Saudi Arabia cannot control the spiraling disaster in Yemen, the next stop on the revolutionary train is Bahrain. And after that ... Saudi Arabia. And THIS time, events may not be easily salvageable. The Internet has educated the Arab world about its history.

»If the Anglosphere elites had only used their tremendous industrial and monetary advantages to build a free-market instead of a phony one (disguised as a free one)! But the elites chose to propagate a central banking economy in order to chase after world government, and now they are in danger of an eroding dollar reserve, which could eventually result in the creation of an entirely new (and uncontrollable) currency. Anyway, if Saudi Arabia falls, the dominoes may simply keep tumbling. Who pays any attention to funny little countries like Yemen anyway?»

Le départ forcé de Saleh du Yemen à la suite de sa blessure semblait une occasion importante pour modifier la direction du pays et imposer des réformes qui apaiseraient la colère populaire. L’idée aussitôt formée par le passage de Saleh en Arabie pour être soigné est la formation d’une coalition autour du vice-président, qui assume les pouvoirs à la place de Saleh, avec le lancement de réformes qui satisferaient la populace comme le programme panem et circensem semblait avoir satisfait la plèbe romaine. Mais on apprend soudain que Saleh a bien l’intention de rentrer au Yemen, ce qui déclenche des colères diverses et, notamment, américanistes-occidentalistes… (Dans le Daily Telegraph du 7 juin 2011:

«Ali Abdullah Saleh's determination to emerge from his hospital bed in Riyadh threw an internationally backed plan to rescue Yemen from all-out civil war into immediate jeopardy.

»For weeks, Mr Saleh has been under intense pressure from Saudi Arabia to hand power to his vice president, Abd al-Rab Mansur al-Hadi, as part of a US-backed transition plan. The Saudi royal family believed it had finally got its way after Mr Saleh was forced to seek treatment in the kingdom for wounds he sustained last week during an artillery attack on his palace launched by rival forces.

»But, to intense irritation in Washington and Riyadh, Mr Mansur has refused to take on the mantle of power. On Monday, he met the US ambassador and senior European envoys to insist that Mr Saleh had no intention of surrendering the office he has held for 33 years. “His excellency is making a strong recovery and will return home in the coming days,” Mr Mansur said after the meeting.

»Yemen rejoices as wounded President Saleh flies abroad 05 Jun 2011 For the past fortnight, military units loyal to Mr Saleh have fought bloody clashes with militiamen loyal to Sadeq al-Ahmar, a powerful tribal chief affiliated with the opposition. The president's return is almost certain to reignite the violence – a tentative ceasefire was already cracking yesterday – and draw more tribes into the conflict on both sides.

»The West's primary concern is the impact that Mr Saleh's refusal to go will have on burgeoning Islamist militancy in a country home to the most powerful branch of al-Qaeda. Al-Qaeda in the Arab Peninsula, viewed in Washington as the biggest single threat to US “homeland security”, has expanded its reach in recent weeks as Mr Saleh diverted his most elite forces to fight his tribal enemies and to crush civilian protests against his rule.»

Certes, il n’est pas assuré que Saleh puisse rentrer au Yemen ; d’abord parce qu’il n’est pas assuré que l’accueil qu’on lui ferait soit rassurant ; ensuite, parce qu’il n’est pas dit que Saleh soit rapidement en état physique de le faire («An aide yesterday admitted that the president's convalescence would last at least a fortnight and with each passing day his hold on power would be expected to slip»). Pour autant, le “pire” serait-il écarté ? Là non plus, aucune certitude, y compris sur l’identité du “pire”… Voici ce que note Viktor Kotsev, sur Atimes.com le 7 juin 2011 :

«Moreover, the now increasingly possible ouster of Yemen's President Ali Abdullah Saleh could rekindle the protests throughout the Arab world. As a prominent figure in the Jordanian Muslim Brotherhood told Reuters, “The departure of Saleh is a turning point not just for the Yemeni revolution but also is a huge push for the current changes in the Arab region and is the start of the real victory.”»

…Bref, le Yemen est, semble-t-il, à l’image de ces innombrables régions périphériques affublées d’un dictateur “Made in System” depuis quelques décennies, puis lesquels dictateurs qu’on envisage dans l’improvisation suscitée par la colère populaire de remplacer par une pseudo réformette étiquetée “démocratique” ; le Yémen est le réceptacle, un de plus, de la somme de toutes les contradictions du Système et de ses représentants du bloc BAO. On peut d’ailleurs juger incroyable la situation actuelle, selon le schéma suivant, – fort cyniquement, cela, mais à qui la faute… Ce Système se permet des incursions en toute impunité, des expéditions “humanitaristes” dans tous les coins de la planète, il trouve dans l’Arabie une alliance cimentée par la trouille surréaliste des dirigeants de la prolifique famille régnante et archétypique de la corruption postmoderniste adaptée aux coutumes de la région (lesquelles comprennent déjà la corruption, mais tout de même archaïque par rapport à la nôtre) ; comment n’a-t-il pas envisagé, le Système, la liquidation ou la neutralisation de Saleh, puisqu’il est avéré depuis des semaines, sinon des mois, que cet homme est devenu nuisible pour les intérêts du Système ? Comment Saleh a-t-il été laissé libre de ses déclarations depuis son hôpital saoudien, jusqu’à faire annoncer son retour, alors que l’on martèle partout que son retour serait catastrophique et qu’il faut l’empêcher à tout prix ?

La réponse n’est pas qu’ils sont vertueux, ou respectueux de la légalité, – quelles étranges hypothèses… La réponse est qu’ils n’osent en vérité rien faire, dans aucun sens, de toutes les façons, absolument paralysés ; parvenus, à l’extrême de la surpuissance du Système qui ne cesse de s’exprimer dans tous les domaines, à une impuissance exactement équivalente ; cela, selon ce que nous observions plus haut, “selon cette contradiction qui reflète parfaitement la dualité du Système dont la face sombre est évidemment sa pulsion autodestructrice”.

Ils ne savent que faire, tous autant qu’ils sont. Aujourd’hui, ils hurlent la nécessité du remplacement de Saleh, mais parce que Saleh est momentanément indisponible et qu’on espère que, de lui-même, Saleh acquiescera à cette idée, ne serait-ce qu’à cause de sa faiblesse physique. L’idée de son remplacement leur est imposée par les événements, rien d’autre, et leur enthousiasme soudain pour cette issue se colore de couleurs extrêmement sombres à l’idée que la nouvelle situation pourrait au contraire aboutir à une dramatique radicalisation de la situation, comme le suggère le personnage faisant partie des Frères Musulmans dont Kotsev rapporte la déclaration.

Ils ne sont sûrs de rien, ils ne sont prêts à rien, ils baignent dans une paralysie générale, installés sur la multitude des points d’appui de leur empire mondial sans ne savoir qu’en faire, quelle initiative prendre, dans quel sens pousser les choses. L’élimination de Saleh serait une bénédiction, comme cela pourrait être la peste éliminée au profit d’un choléra virulent, qui aurait nom al Qaïda, plus en forme que jamais après l’élimination officielle du ben Laden de la narrative courante.


Mis en ligne le 7 juin 2011 à 12H38