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922Au premier abord, la chronique que Tom Engelhardt consacra à 9/11, à deux jours du dixième anniversaire, nous avait paru excellente en elle-même. Il s’agissait, – il s’agit de «Let’s Cancel 9/11», du 9 septembre 2011. Le titre lui-même donnait une bonne idée de l’audace du projet : “Annulons 9/11”…
En voici un large extrait, simplement la première partie du texte. Tout l’esprit de la chose s’y trouve.
«Let’s bag it.
»I’m talking about the tenth anniversary ceremonies for 9/11, and everything that goes with them: the solemn reading of the names of the dead, the tolling of bells, the honoring of first responders, the gathering of presidents, the dedication of the new memorial, the moments of silence. The works.
»Let’s just can it all. Shut down Ground Zero. Lock out the tourists. Close “Reflecting Absence,” the memorial built in the “footprints” of the former towers with its grove of trees, giant pools, and multiple waterfalls before it can be unveiled this Sunday. Discontinue work on the underground National September 11 Museum due to open in 2012. Tear down the Freedom Tower (redubbed 1 World Trade Center after our “freedom” wars went awry), 102 stories of “the most expensive skyscraper ever constructed in the United States.” (Estimated price tag: $3.3 billion.) Eliminate that still-being-constructed, hubris-filled 1,776 feet of building, planned in the heyday of George W. Bush and soaring into the Manhattan sky like a nyaah-nyaah invitation to future terrorists. Dismantle the other three office towers being built there as part of an $11 billion government-sponsored construction program. Let’s get rid of it all. If we had wanted a memorial to 9/11, it would have been more appropriate to leave one of the giant shards of broken tower there untouched.
»Ask yourself this: ten years into the post-9/11 era, haven’t we had enough of ourselves? If we have any respect for history or humanity or decency left, isn’t it time to rip the Band-Aid off the wound, to remove 9/11 from our collective consciousness? No more invocations of those attacks to explain otherwise inexplicable wars in Iraq and Afghanistan and our oh-so-global war on terror. No more invocations of 9/11 to keep the Pentagon and the national security state flooded with money. No more invocations of 9/11 to justify every encroachment on liberty, every new step in the surveillance of Americans, every advance in pat-downs and wand-downs and strip-downs that keeps fear high and the homeland security state afloat.
»The attacks of September 11, 2001 were in every sense abusive, horrific acts. And the saddest thing is that the victims of those suicidal monstrosities have been misused here ever since under the guise of pious remembrance. This country has become dependent on the dead of 9/11 — who have no way of defending themselves against how they have been used — as an all-purpose explanation for our own goodness and the horrors we’ve visited on others, for the many towers-worth of dead in Iraq, Afghanistan, and elsewhere whose blood is on our hands.
»Isn’t it finally time to go cold turkey? To let go of the dead? Why keep repeating our 9/11 mantra as if it were some kind of old-time religion, when we’ve proven that we, as a nation, can’t handle it — and worse yet, that we don’t deserve it?
»We would have been better off consigning our memories of 9/11 to oblivion, forgetting it all if only we could. We can’t, of course. But we could stop the anniversary remembrances. We could stop invoking 9/11 in every imaginable way so many years later. We could stop using it to make ourselves feel like a far better country than we are. We could, in short, leave the dead in peace and take a good, hard look at ourselves, the living, in the nearest mirror.»
L’on aurait pu s’arrêter là, peut-être avec un commentaire développant ou appréciant le thème exposé. Mais il se trouve que, le jour même où Engelhardt mettait sa chronique en ligne, lui vint une réponse de Washington, D.C., du majestueux Congrès, sous la forme d’une résolution passée par la Chambre des Représentants. Elle a été initiée par Eric Cantor, le chef de la majorité républicaine de la Chambre, et votée avec l’accompagnement d’un non moins pompeux communiqué du Speaker John Boehner. Ces deux hommes sont des représentants absolument classiques de le’establishment, selon les normes américanistes, extrêmement respectables, grands amis d’Israël (surtout Cantor), – dans tous les cas, l’Israël d’avant les incidents du Sinaï, qui attaquait l’Iran toutes les trois semaines, – absolument corrompus (surtout Boehner) par tout ce que Washington D.C. compte de lobbies. Ils sont également ces chefs de la majorité républicaine qui ont conduit, avec l’aimable complicité de Barak Obama, le pouvoir dans l’impasse en forme d’opéra-bouffe de l’accord sur la dette…
Mais lorsqu’il s’agit de 9/11, ils se rassemblent et se retrouvent, et Cantor n’a fait qu’exprimer le sentiment unanime de l’
La résolution semblerait même vouloir ordonner la résurrection du passé jusque dans ses détails les plus sympathiques, puisqu’elle remercie solennellement tous les pays qui ont exprimé leur sympathie aux USA dans ce moment douloureux, et qui continuent à le faire, dix ans après, et à combattre pour la liberté aux côté des USA… Existent-ils vraiment des pays qui continuent quotidiennement à gémir aux côtés des députés et des sénateurs en souvenir de ce jour fatal ? Quelle époque intéressante...
« (5) […E]expresses thanks and gratitude to the foreign leaders and citizens of all nations who have assisted and continue to stand in solidarity with the United States against terrorism in the aftermath of the attacks on September 11, 2001, and asks them to continue to stand with the United States against international terrorism…»
Engelhardt écrit cette phrase, notamment : «This country has become dependent on the dead of 9/11...» ; il aurait pu écrire “addicted” au lieu de “dépendent”, pour être encore plus précis, pour bien illustrer l’idée d’une dépendance sous l’empire d’une matière qui capture et enchaîne la psychologie. Cela est vrai presque d’un point de vue clinique, cette dépendance, mais nous ne dirions pas qu’il s’agit “du pays”, ou de ce qu’il en reste. La mascarade grotesque qui, hier, a tétanisé le monde entier et réduit la fonction de journaliste (journaliste-Système, certes) à celle d’une sorte de guide de syndicat d'initiative pour visite guidée pour les contingents de touristes, – encore que cette comparaison ne rend pas justice à la culture comptable des vrais professionnels, – cette mascarade est bien plus un sursaut pathétique du Système lui-même pour ranimer une icône informe dans laquelle il place sa survie. On comprend bien entendu le sentiment d’Engelhardt, et aussi que sa suggestion sacrilège pour briser le carcan de ce qu’il désigne justement comme “une religion” («our 9/11 mantra as if it were some kind of old-time religion») soit la seule voie pour tenter de ralentir, sinon retenir l’irrésistible Chute. On comprend également qu’il n’a guère d’espoir que cela se fasse, et qu’il n’a pas tort.
Il y a cet abîme extraordinaire de profondeur, cette faille formidable de largeur, qui séparent cette commémoration et tous les bavardages pompeux qui l’accompagnèrent, de la vérité de la situation du monde, de la vérité de l'activité et de la matière maléfiques et destructrices du bloc américaniste-occidentaliste, du système de l’américanisme et du Système tout court. Il est écrasant d’évidence que de telles disparités de perception constituent une tension formidable pour les psychologies, qui va encore accélérer le destin d’effondrement de notre Grand Tout démocratique. Il est difficile de s’avancer plus avant dans les commentaires, tant cette circonstance n’en a nul besoin pour exposer ce qu’elle est. La seule, l’unique tentative qu’il reste à faire pour nous sauvegarder du désastre, serait que l’éminent Eric Cantor songeât à présenter une nouvelle résolution où il statuerait que, non seulement “les Américains n’oublieront jamais”, mais qu’en plus il serait ordonné à l’univers que la commémoration de 9/11 aurait désormais lieu tous les jours, comme elle a eu lieu hier, 365 fois par an (366 fois tous les quatre ans). Ainsi la narrative métaphysique deviendrait-elle, physiquement et au jour le jour, la nouvelle vérité de l’univers.
Mis en ligne le 12 septembre 2011 à 09H58