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329AFP (via Spacewar.com, ce 25 janvier 2010) a fait un tour de table moscovite auprès de vétérans de l’Afghanistan. Que pensent-ils des aventures américanistes et occidentalistes?
• Ruslan Aushev, actuellement général, qui servit en Afghanistan pendant 5 ans et dirige l’association des vétérans (russes) de l’Afghanistan. «“It is now (nearly) nine years since the coalition invaded Afghanistan and nothing has changed…" […] Aushev, who was made a Hero of the Soviet Union after being wounded on his third Afghan deployment, admitted that NATO and US troops face a fiercer enemy today than did Soviet troops.
»Then, the Red Army untrained for the mountainous terrain found themselves bogged down in an unwinnable guerrilla war against Mujahedeen Islamist fighters backed financially and militarily by Washington. “Today, the situation is more complicated. The Mujahedeen were more moderate than the Taliban, who are radical. In our era, there were no suicide bombers...”»
• Le major général Makhmud Gareyev, ancien de l’état-major de l’armée soviétique, ancien conseiller militaire du président afghan Najibullah (mis en place par l’URSS), jusqu’au renversement de celui-ci par les islamistes en 1992 (Najibullah fut pendu par les talibans en 1996). Gareyev préside aujourd’hui l’Académie des Sciences Militaires à Moscou. «“The Americans are fighting a people and not a regular army. Napoleon never could win in Spain. They should understand that it is impossible to fight against a natio” The only strategy forward for the US-led coalition forces is to focus on reconstruction and development in Afghanistan...[…] “They have to change their politics and find other solutions. They must help rebuild the country and offer financial, economic and humanitarian aide.”»
• Le général à la retraite Victor Yermakov commanda les troupes soviétiques en Afghanistan en 1982-83. Pour lui, l’aventure soviétique dans ce pays indique, par exemple renouvelé, que l’Occident est engagé dans une “entreprise impossible”. «The only way to be respected, would be to take the money now spent on maintaining troops in Afghanistan and spend it instead on agricultural development and the reconstruction of schools, mosques and roads.»
Toutes ces intéressantes remarques n’apportent rien de fondamentalement nouveau. Elles servent plutôt à mettre le doigt sur la plaie, plus fortement encore, c'est-à-dire sur une situation occidentaliste en Afghanistan en plein désarroi. Cette situation suscite aujourd’hui des spéculations radicales. Voyons cela.
@PAYANT Les remarques des vétérans russes/soviétiques relèvent sans aucun doute de l’évidence. Au reste, elles rencontrent les bonnes intentions constantes des USA et de l’OTAN, qui ne parlent périodiquement que de “reconstruction”, d’actions civiques et autres – sans jamais le moindre résultat. Le problème est donc moins dans les intentions, dans la “stratégie”, dans la conception, que dans d’autres domaines qu’il faut explorer. Il s'agit des domaines de la simple réalité, de la mise en action des politiques.
Aujourd’hui, l’Ouest, essentiellement les USA, se trouvent avec, dans les mains, un instrument gigantesque impossible à contrôler. Face à cela, les “intentions, la ‘stratégie’, la conception” n’ont que bien peu de poids. La question qui se pose de plus en plus est l’accessibilité, la capacité de l’énorme machine militaire occidentale (US) d’effectuer la mission qui lui serait assignée, tant sa lourdeur et sa lenteur perverse à réagir sont sans cesse grandissantes et alimentent une impuissance rampante. Actuellement, le fameux “surge”, voire le fonctionnement même des forces sur place, sont très sérieusement handicapées par les blocages de la logistique, aussi bien par la lourdeur et l’abondance nécessaire de cette logistique, que par un facteur extérieur majeur comme l’incroyable difficulté à mettre en marche la voie de transit russe pour le passage de cette logistique, sur l’efficacité de laquelle nombre des plans actuels reposent. (Mais ce facteur extérieur est si important parce que les nécessités de logistique sont devenues monstrueusement exigeantes.)
La situation logistique, ajoutée à une situation politique si incertaine aux USA où “la perte de contrôle” de l’action politique est de plus en plus vivement ressentie, notamment dans les cercles européens, conduisent à se demander si les USA ne sont pas en train de chercher une voie de sortie d’urgence du conflit afghan. Les très récentes déclarations (24 janvier) de McChrystal au Financial Times ont révélé les intentions du commandant en chef US d’entamer un dialogue avec les talibans, avec les conditions cosmétiques habituelles (“une fois que les forces occidentales auront repris l’initiative”, etc.) pour que ces mêmes talibans puissent éventuellement participer à une solution politique: «As a soldier, my personal feeling is that there's been enough fighting. […] I believe that a political solution to all conflicts is the inevitable outcome. And it's the right outcome… […] I think any Afghans can play a role if they focus on the future, and not the past.»
Cette déclaration de McChrystal a été accueillie avec une très grande surprise dans les milieux européens que nous citons, par rapport aux intentions jusqu'alors perçues de Washington, et c'est pourquoi certains y voient déjà l’amorce d’une possibilité de retrait avec un accord hâtivement bouclé avec les talibans. «Il se pourrait même bien que le “surge” passe à la trappe, parce que son déploiement est d’une incroyable lenteur et pas prêt d’être achevé, et que cela est aussi une des causes pour aller très vite dans la recherche d'une solution, et alors il n’y aurait pas de “surge”...» Cette évolution de la situation, ou plutôt cette évolution des spéculations montre l’état pathétique où se trouvent, encore plus que les conceptions occidentalistes en Afghanistan, les capacités même au niveau militaire, avec toutes les énormes pesanteurs et blocages qui se manifestent aujourd’hui.
Il est très difficile de faire une prévision sérieuse concernant l’Afghanistan. Même la thèse courante d’un Obama prisonnier de ses militaires est mise en question; sans doute, essentiellement, parce que les militaires dont Obama serait le prisonnier, seraient eux-mêmes prisonniers d’une machine de guerre qu’ils ne contrôlent plus, qui n’est plus capable de conduire une stratégie sérieuse sur le terrain, qui est même menacée de blocages de fonctionnement. L’Afghanistan est en train de se “contracter” (rappel du phénomène “extension-contraction” des crises, de toutes les crises, que nous avons déjà signalé) en une crise interne à la machinerie occidentaliste, à partir d’une crise extérieure consécutive aux aventures pseudo-expansionnistes du Pentagone. Les enseignements des vétérans russes, s’ils sont intéressants et caractérisés par le bon sens, sont peut-être dépassés par cette contraction de la crise vers les facteurs intérieurs de la crise systémique générale du système de l’américanisme.
Mis en ligne le 27 janvier 2010 à 13H12