Leçon essentielle de la courte guerre: la centralisation en échec

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Le très court conflit entre la Russie et la Géorgie est déjà l’objet de nombreuses analyses. On veut savoir ce qui a marché et ce qui n’a pas marché. La leçon militaire à grand effet politique est évidente et n’a nul besoin d’être soumis à la verve déstructurante des experts: la puissance militaire russe, si effrayante lorsqu’elle était soviétique et complètement désintégré dans les années 1990, est à nouveau active et efficace.

Sur le plan technique, comme toujours dans le cas de l’évaluation d’une guerre, l’affaire est plus complexe. Nous avons choisi de chercher ce qui nous paraît l’essentiel et nous pensons l’avoir trouvé dans deux textes qu’a publié Aviation Week & Space Technology le 18 août. (Un texte principal sur la guerre en général, surtout sur son aspect terrestre; un second texte sur la guerre aérienne, – tous deux en accès payant).

Nous vous donnons ci-après les extraits de ces textes qui nous paraissent importants, – bien qu’ils ne soient pas mis nécessairement en évidence dans le sens général des textes d’où ils sont extraits. Le premier extrait, du texte central sur la guerre en général, donne une explication technique de la très rapide défaite de l’armée géorgienne, après l’offensive initiale en Ossétie du Sud.

«U.S. defense officials point the finger of blame at the Georgians for the seemingly suicidal decision to push into South Ossetia, noting their almost complete disregard for Russian air superiority and ability to assemble and launch an overwhelming ground force. One possibility, they say, is that the Georgians hoped to take advantage of Russian Prime Minister Vladimir Putin’s distraction with the Olympics to present him with the fait accompli of an occupation of South Ossetia’s capital on his return.

»But the effort foundered as “Georgian command and control broke down” almost immediately after the initial foray, says a U.S. defense official. “We don’t know if it was because of Georgian military incompetence or the result of an effective electronic and cyber-attack by the Russians.”»

Le second extrait, – en fait deux extraits, qui répètent le même argument, montrant que celui-ci est très présent même s’il n’est pas interprété à ce que nous pensons être sa juste valeur, – vient du second texte qui examine l’un des “mystères” de la courte guerre. Par contraste avec les opérations terrestres, les opérations aériennes, sans priver la force aérienne russe de sa suprématie, et même en permettant à cette force de jouer un rôle très important dans la déroute géorgienne, ont vu un incontestable succès de la défense aérienne géorgienne. Les Russes ont perdu au moins quatre avions (dont un bombardier stratégique Tu-22) selon leur propre compte; sans aller jusqu’à s’intéresser au “plus de 80 avions russes abattus” clamé à un moment du conflit par un Saakachvili manifestement très excité, on peut prendre en compte le bilan proposé par les Géorgiens (14 avions russes abattus) et envisager que la réalité se trouve peut-être entre les deux chiffres (4 et 14). Quoi qu’il en soit, tous ces détails montrent effectivement une réussite remarquable de la défense aérienne géorgienne, d’autant que celle-ci n’était pas coordonnée ni centralisée, – à moins qu’il ne faille dire: parce que cette défense aérienne n’était ni coordonnée ni centralisée?

«Georgia’s relative success against the Russian air force, compared with its unalloyed failure against the Russian army, is shedding light on other recent air campaigns. In particular, why was the Israeli air force able to penetrate Syria’s Russian-made air defenses while Moscow was unable to finesse Georgia’s Russian-made weaponry?

»U.S. analysts suggest that the simplicity of the Georgian air defenses, with far less dependence on networking, made it tougher to knock out or blind major parts of the system. (…)

«Another reason the Russians would have difficulty affecting the whole Georgian air defense system lies in its simplicity, says a senior U.S. Air Force officer with combat-flying experience in two wars and long experience in the stealth community. “The Georgian air defense system is much less networked than that of the Syrians and [relies on] autonomous sector operations,” he says. Therefore, there are fewer ways for tactical EW systems to create blind spots.»

Ces remarques conduisent à une question générale: la courte guerre entre la Russie et la Géorgie est-elle une nouvelle manifestation de la G4G (Guerre de la 4ème Génération)? Réponse positive, sans nul doute. Les différents détails choisis dans l’analyse de Aviation Week & Space Technology montrent que la centralisation électronique et conceptuelle, qui est le fondement de la guerre postmoderne de haute technologie, se révèle une arme redoutable, dans les deux sens d'ailleurs, quand elle ne marche pas. L’armée géorgienne s’est effondrée lorsque son système central de contrôle et de commandement s’est effondré. Par contre, sa défense aérienne a été très efficace parce qu’elle ne dépendait pas d’un système central de contrôle et de commandement (contrairement à la défense aérienne syrienne, elle-même totalement intégrée, face à l’incursion israélienne de septembre 2007, – ce que reprend également le titre du second article: «Why did Georgia’s air defenses work and Syria’s didn’t?»).

L’enseignement ne fait que se confirmer. L’extrême centralisation technique des structures postmodernes des guerres de hautes technologies ne marche que lorsqu’elle marche parfaitement; dans le cas contraire, le prix à payer est radical et expéditif. D’autre part, l’absence de centralisation, qui est une riposte typique de la G4G, peut conduire à des performances opérationnelles excellentes, face à un adversaire qui ne sait comment riposter puisque l’idée qu’il se fait de son propre adversaire s’inscrit dans l’hypothèse d’une extrême centralisation.

Du côté russe, on peut avancer que la faiblesse classique des armées russes, qui est leur absence de sophistication, par conséquent une faible centralisation technologique, a été dans ce conflit plus un avantage qu’un inconvénient. Là encore, on rejoint des enseignements qui illustrent le phénomène de la G4G. On pourrait ajouter que la “tactique” actuelle de l’armée russe de traîner dans le pays (en Géorgie) sans l’occuper vraiment, d’annoncer un retrait en le faisant traîner, qui est par ailleurs un comportement militaire typiquement russe, constitue une autre facette d’un conflit type G4G, où l’outil militaire est manipulé dans un but de communication. Cela revient à dire combien, selon nous, cette “tactique” s’adresse plus aux Occidentaux qu’aux Géorgiens.


Mis en ligne le 21 août 2008 à 11H57