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28 août 2005 — L’Iran est très présent sur la scène mondiale en ce moment. Étrangement, ou bien logiquement à l’image de notre temps historique lui-même assez étrange, l’Iran est très présent sans rien faire de particulier. Les autres font leurs sottises sans nombre, agissent avec leur lâcheté habituelle, et l’Iran ramasse la mise. Nous sommes en train de créer un géant régional. D’ailleurs, l’Iran n’a pas démérité et peut-être mérite-t-il cette position.
Les “leçons iraniennes” sont principalement au nombre de deux. Nous signalons la première en passant, parce qu’elle est évidente. Nous nous attacherons plus à la seconde et aux perspectives auxquelles nous, Européens, nous trouvons confrontés.
• La première est la leçon iranienne faite à l’Amérique. On pourrait croire que, depuis quatre ans, la stratégie américaine s’est mise au service de l’Iran, qu’elle dénonce et menace par ailleurs avec tant de vigueur. Une citation d’un texte de Jim Lobe du 27 août nous éclaire là-dessus. « Not only did Washington knock off Tehran's arch-foe, Saddam Hussein, as well as the anti-Iranian Taliban in Afghanistan, but, with the near completion of a new constitution that is likely to guarantee a weak central government and substantial autonomy to much of the Shi'ite south, it also appears that Iran's influence in Iraq — already on the rise after last spring's inauguration of a pro-Iranian interim government — is set to grow further. » Shibley Telhami, expert du Moyen-Orient de la Brookings Institution, précise, à un colloque récent de The Nation: « No one in Washington would have imagined that with all the human and financial costs of the war, the United States would find itself supporting a government ... [with] close ties to Iran and that would conclude a military agreement with Tehran for the training of Iraq forces, even as nearly 140,000 US troops remained on Iraq soil. »
• Là-dessus, les menaces américaines d’attaque militaire contre l’Iran sonnent étrangement. Non seulement cette “politique” (?) paraît contestable mais en plus elle semble de plus en plus irréalisable, et, de toutes les façons, contre-productive. Sur le fait lui-même, le professeur Amin Saikal, directeur du Center for Arab and Islamic Studies de l’Australian National University de Canberra, nous décrit les perspectives d’une façon convaincante dans son texte “Iran: America's disastrous ‘military option’”, du Herald Tribune du 27 août. Sa conclusion est sans grandeur (« Given the costs of a confrontation, it is essential that Iran and its three European negotiating partners, Britain, France and Germany, work out a mutually acceptable agreement »). Elle fixe les limites désormais évidentes, voire humiliantes, de la puissance américaine.
• Il y a enfin le cas des Européens, les soi-disant “EU-3” (Allemagne, France, Royaume-Uni). L’initiative avait du sens lorsqu’elle fut prise, en octobre 2003, appréciée par les Iraniens comme l’entrée d’un acteur de compromis, avec ses propres conceptions, capable de tenir une balance assez égale entre USA et Iran. Depuis, et sous l’habituelle impulsion britannique, les Européens ont montré leur lâcheté coutumière en se montrant de plus en plus “sensibles”, c’est-à-dire soumis, aux arguments américains qui prennent ainsi la forme d’injonctions. C’est une attitude qui ne paye pas, sur le terme. L’acteur de compromis, salué pour son indépendance, se retrouve dans le rôle de la marionnette des Américains. Il en résulte une perte vertigineuse du crédit fait aux Européens, notamment du côté iranien (du côté américain, rien de nouveau : les Européens n’ont jamais eu le moindre crédit, conformément à la vision du monde, à-la-Bolton, de l’équipe GW). Il en résulte, de la part des Iraniens, une mise en cause sans précédent de l’initiative européenne. Ali Larijani, le nouveau négociateur iranien et secrétaire du Conseil National de Sécurité iranien, s’en est ouvert, le 24 août à la télévision iranienne.
« Iran's new hardline nuclear negotiator Ali Larijani on Thursday challenged the role of Britain, France and Germany as the leaders of diplomatic efforts over the Islamic republic's nuclear programme.
» “Based on what logic and agreement with the International Atomic Energy Agency (IAEA) have the negotiations been limited and dependent on the three European countries?” Larijani was quoted as saying by state television. “Who does the EU-3 represent in the negotiations? Is it the (IAEA) board of governors, the EU, the United Nations or themselves?” Larijani said, posing an unprecedented question over the capacity of the negotiating partners.
(...)
» “Based on its policy to continue negotiations... the Iranian side welcomes talks with all countries including the board of governors, the Europeans and Non-Aligned Movement members under the framework and objectives of the Non-Proliferation Treaty,” he said [also]. Iran has accused the three European states of damaging the diplomatic effort by demanding Iran abandon its work on the nuclear fuel cycle — the focus of fears Iran could acquire the bomb — even though fuel work is technically permitted by the NPT. »
La démonstration devrait être convaincante, notamment pour les Européens. La sujétion et l’abandon progressif d’une certaine indépendance d’appréciation, d’une ligne politique qui affirmait sa vertu d’être autonome, comme d’habitude au profit de l’acceptation de l’influence de la politique brutale des Américains, conduisent à la perte de la légitimité. L’initiative européenne avait au départ sa légitimité au nom de l’indépendance et de l’autonomie qu’elle affichait. Elle ne l’a plus, par la faute de l’habituelle dérive de la faiblesse et de l’inconsistance européennes. Les Iraniens ont perçu cela et la mise en cause de Larijani vient à son heure. Qu’il soit décrit dans le texte cité avec les habituelles arrière-pensées (« Iran's new hardline nuclear negotiator Ali Larijani ») ne change rien à notre jugement: Larijani ne met pas en cause la légitimité des “EU-3” pour pouvoir mieux rompre le dialogue, mais pour évoquer la possibilité d’en appeler à d’autres parties (les “pays non alignés”, l’IAEA, l’ONU) ; dans ce cas, le vrai “
Il est difficile d’éviter d’en revenir à notre leit-motiv. La prétention européenne d’avoir une réelle politique étrangère se paye d’une libération de l’influence américaine. Sans cela, il n’y a rien à en attendre. Les Européens sont alors perçus comme des marionnettes des Américains, et paradoxalement un peu plus discrédités à chaque acte qu’ils posent pour renforcer une vraie politique européenne. Aujourd’hui, un diplomate sud-américain, un Lula par exemple, aurait plus de chance de se faire entendre des Iraniens tout en étant nécessairement respecté par les Américains. Les Européens continuent à perdre leur crédit auprès des autres, en cédant sur tout à l’influence américaine (l’Iran, l’embargo sur les armes pour la Chine, etc.), — évidemment sans gagner rien du côté américaniste parce qu’il n’y a rien à en attendre. A chaque recul, c’est la légitimité européenne qui se dilue un peu plus. Plus que jamais, les pays européens ayant une certaine puissance et une réelle identité (clef de la légitimité) ont intérêt à poursuivre et à étendre leur propre diplomatie et leur propre politique de sécurité, en jouant du substitut européen selon leurs intérêts du moment, avec la plus complète hypocrisie et le plus parfait cynisme, — ce qui est faire encore bien de l’honneur à “l’Europe”.
… Tout cela, naturellement, n’empêchant pas les relations euro-américaines de poursuivre leur dégradation, parce qu’aujourd’hui on ne s’arrange pas avec Washington de quelque façon que ce soit, notamment en lui cédant.
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