L’effet Macron-Trump 

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

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L’effet Macron-Trump 

21 janvier 2020 – Je voudrais soumettre au lecteur de cette rubrique un constat qui m’est venu après avoir cherché vainement sa voie, qui concerne les situations politiques française et américaniste, et messieurs Macron et Trump respectivement. Je me dis depuis longtemps que quelque chose d’inhabituel les rapproche mais j’ai peiné, d’abord à m’arrêter sérieusement à ce constat, ensuite à en trouver les causes.

(C’est pourquoi j’ai dit que ce constat a d’abord “cherché vainement sa voie”, comme s’il s’agissait d’un avertissement extérieur qui me laissait la charge d’en trouver la cause. Après tout, c’est ce qu’on pourrait nommer une “intuition”.)

La première chose que l’on peut constater en fait de similitude est que les deux hommes “bénéficient” si j’ose dire, sont l’objet serait plus juste, d’un sentiment absolument extraordinaire d’intensité et de durabilité de haine de la part d’une partie importante de l’opinion publique. Je m’exprime ici sans souci de l’orientation politique de la chose, sans découvrir ma position, sans juger de la validité ou pas du sentiment ; je parle du phénomène brut, tel qu’il m’apparaît.

...Il est vrai sans nécessité de démonstration que la haine dont sont l’objet Macron et Trump dans une partie importante de leurs opinions publiques semble n’avoir guère de précédent dans les conditions qui l’accompagnent. Tout se passe comme si elle avait préexisté aux deux hommes et s’était collée sur eux dès qu’ils furent élus, je dirais même dès qu’ils apparurent “éligibles” dans les sondages. On pourrait dire aussi : c’est comme s’ils avaient été “choisis” pour que la haine latente mais si puissante que l’on sent dans l’air du temps, puisse trouver comment et sur qui s’exercer.

Un autre constat est qu’ils n’apportent, contrairement à ce que voudrait nous faire croire cette haine, que fort peu de choses différentes par rapport à ce qu’auraient apporté leur principal adversaire à chacun, si l’élection avait suivi sa voie naturelle selon-le-Système (du moins le croit-on).

• Il est entendu que si Macron n’était pas survenu comme il l’a fait, soutenu par une cavalerie lourde (fric et médias) d’une part, si Fillon n’était pas tombé sur une justice zélée et n’avait pas manœuvré comme un novice d’autre part, le second nommé aurait été élu et non le premier. Je ne crois pas que la politique de Fillon eût été très différente de celle de Macron, très libérale, très européenne selon les vœux de la Commission, avec quelques accents martiaux mais pas trop et une réforme de la retraite aussi bien achalandée. Même en politique étrangère, les deux se retrouvent avec un désir commun d’ouverture vers la Russie.

• Aux USA, s’il n’y avait eu Trump Hillary l’aurait emporté. Je ne pense pas qu’elle aurait fait une politique plus aventureuse, plus agressive sinon provocante que celle que fait finalement Trump qu’on voit friser la guerre avec les mollahs. Je ne crois pas non plus une seule seconde qu’elle aurait moins favorisé les ultra-riches, le Corporate Power, Wall Street, le commerce américaniste et le Pentagone que ne l’a fait Trump, ni même tant ouvert les frontières qu’on le dit, et d’ailleurs le programme de contrôle des illégaux était déjà en marche sous Obama, largement avec son soutien (celui d’Hillary).

Pour résumer, je veux dire que les deux battus qui étaient promis à gagner auraient suivi une politiqueSystème assez similaire, mais sans surprendre personne, avec l’habituelle critique d’opposition, c’est-à-dire sans soulever cette haine que j’ai mentionnée plus haut. C’est pour cette raison, cette haine étant déjà dans l’air, que je crois qu’elle, – oui, je parle de la haine comme d’un sujet agissant, – a conspiré pour faire élire Macron-Trump et avoir, dans chacun des espaces concernés, quelque objet, – oui, je parle de Macron-Trump comme des “objets”, – à se mettre sous la dent.

Le résultat est que les politiques mêmes que le Système veut voir développées sont l’objet, par un drôle d’effet-miroir inverti et par conséquent subversif, d’une haine extraordinaire “d’intensité et de durabilité” ; et cette haine qui a elle-même de la peine à s’expliquer à ses propres yeux, à se justifier, à affirmer son autorité et sa légitimité, si bien qu’il est constamment nécessaire, de son fait, de charger les “objets” (Macron-Trump) de vices et de sottises incroyables qui justifient la haine passée et réclament toujours plus de haine, faisant subsister et grandir à chaque instant cette tension non moins extraordinaire qui semblerait, lorsqu’elle est considérée objectivement, n’avoir guère de raison d’être.

L’effet général est encore plus désastreux, ou admirable selon ce qu’on en a, – dans tous les cas, effet remarquable. Macron-Trump se sont fait élire avec emphase selon l’idée d’une opposition au Système, comme candidats anti-systèmes. (*) On comprend évidemment qu’ils ne le sont nullement, mais avec cette affirmation considérable qui s’est avérée faussaire, et sous la pression de cette haine extraordinaire, ils ont fait naître partout des sentiments et des actes réellement antiSystème (*), tandis que le débat des idées a de plus en plus porté sur les problèmes et les crises en cascade suscitées par la Crise Générale du Système. Ainsi ont-ils suscité, sans vraiment le vouloir ni en avoir une conscience nette, effectivement comme par cet effet-miroir inverti, des éveilleurs de la perception de la Grande Crise. Tous les débats de contestation, aujourd’hui, se réfèrent directement ou indirectement à cette Grande Crise.

Ainsi et pour la raison que je ne trouve aucune autre cause sérieuse et aimable à une telle mécanique, je pense qu’il y a une dynamique en route dont le dessein nous dépasse, dont l’intensité ne cesse de nous presser, dont les effets nous stupéfient à chaque instant. Ce n’est pas d’impuissance ni même d’incompréhension que nous sommes frappés. Il s’agit plutôt d’une sorte de sensation que les choses se décident et se passent à un autre niveau que le nôtre, que celui de notre monde.

 

Note

(*) Je tiens à cette différence d’orthographe selon l’évolution que j’ai suivie dans mon appréciation du phénomène. L’attitude “anti-système” (orthographe variable) désigne désormais pour moi les actes et les personnes sans conscience de la chose, sinon parfois des simulacres. Qui identifie justement l’“antiSystème” (orthographe invariable), celui-là se trouve réellement, selon mon jugement et ma responsabilité d’appréciation, dans le vrai de la résistance au Système.