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1332Il y a bien des années déjà, au détour d’une passionnante discussion où nous avions abordé des questions aussi bien politiques que philosophiques, le général libanais Michel Aoun, héros de la lutte contre l’occupation syrienne et aujourd’hui chef du Courant Patriotique Libre, avait proclamé cette curieuse sentence : «La domination de l’homme blanc touche à sa fin».
Sur le coup, je dois avouer avoir pris la chose un peu comme une boutade, sans en mesurer toute la pertinence. Mais la fulgurante accélération observée depuis 2008 en la matière m’incite à saluer ici, a posteriori, la clairvoyance de cet homme admirable.
Ainsi, après la crise économique mondiale que le G20 croit, à tort, avoir résolu en nationalisant les pertes des banksters et autres prédateurs du capitalisme financier, les révolutions qui secouent aujourd’hui le monde arabe ouvrent une nouvelle brèche dans l’édifice du Système occidentalo-américaniste.
Là où la crise économique avait montré la fragilité d’un Système bâti sur la folie nihiliste d’une économie de la spéculation, le printemps arabe met en évidence la perte de contrôle et d’influence de ce même Système sur des événements pourtant d’importance stratégique pour lui.
Le Système s’est en effet montré totalement impuissant à anticiper d’abord, puis à gérer une révolution arabe met directement à mal sa tutelle. Tous les régimes qui se sont effondrés (et ceux qui sont menacés) ne sont, en effet, que des extensions du Système, mis en place et soutenus ensuite par le Système pour la défense des seuls intérêts du Système.
Déconnectée de la réalité depuis trop longtemps, l’élite politico-médiatique occidentale réduit bien sûr cette révolution à la seule aspiration des peuples à la démocratie, c'est-à-dire à leur désir trop longtemps brimé de rejoindre le merveilleux monde libre et ses vertus, dans sa version hollywoodienne s’entend.
Or en réalité, l’aspiration de ces peuples à se libérer du joug de leur tyran implique aussi, surtout, une même volonté de se libérer de leur bailleur de fonds, c'est-à-dire du Système occidentalo-américaniste justement.
En fait, c’est même le plus formidable, le plus vertigineux, le plus radical et le plus massif mouvement de décolonisation jamais observé. Après avoir perdu son contrôle sur l’Iran, la Turquie, le Qatar ou la Syrie, le Système a donc perdu en quelques semaines son contrôle sur le Liban, sur la Tunisie, sur l’Egypte ; et va sans doute le perdre bientôt sur la Libye, sur l’Algérie, le Yémen, Bahrein, et peut-être aussi à terme sur la Jordanie ou le Maroc.
Le monde arabe de demain ne sera donc plus pro-occidental. Unis par une communauté de destin rendu évidente par la communauté des tragédies consenties pour accéder à leur libération, les peuples arabes seront sans doute animés par un néo-panarabisme qui rendra beaucoup plus difficile leur sujétion aux diktats occidentaux.
Au cœur de ce bouleversement géopolitique, la question israélienne va très rapidement devenir la crise israélienne.
Grâce à la mauvaise conscience européenne, aux calculs stratégiques US et à un terrorisme intellectuel scientifiquement orchestré par Tel-Aviv au cœur du Système, cette théocratie déguisée échappe depuis 60 ans à toute critique malgré la monstruosité de sa politique à l’égard des Palestiniens. Mais l’affaissement de la puissance occidentale dans la région, et plus singulièrement le décrochage étasunien, va changer les règles du jeu.
Maintenir un parapluie ouvert sur Israël lorsque l’on contrôle les gouvernements voisins est une chose. Mais lorsque les chaînes sont rompues, c’en est une autre. Déjà, on a pu voir que l’Egypte a laissé passer deux navires de guerres iraniens par le Canal de Suez, alors que la chose n’était pas arrivée depuis 1979. Le signal est clair. Les choses ont changé.
Dès lors, si l’Etat hébreu persiste à ne vouloir jouer que la carte de
la violence et de l’oppression, il s’effondrera aussi promptement qu’il a été artificiellement construit puisque sa force repose d’abord sur celle d’un bailleur de fonds étasunien désormais à bout de souffle.
Dans cet immense chambardement en cours, d’autres printemps se
profilent, inéluctables. Sans doute verra-t-on bientôt un printemps africain, dernier terrain de jeu absolu du Système qui entretient là-bas guerres et despotes pour favoriser à nouveaux ses seuls intérêts. Mais là-bas aussi, la colère gronde.
Et pourquoi pas un printemps Américain !
Et pourquoi pas un printemps européen !
Car le Système occidentalo-américaniste encage bien sûr ses propres peuples, soumis eux aussi à la dictature des marchés, à la voracité des actionnaires, à une économie darwiniste à l’extrême ; à un Système sans âme, sans vision, sans humanité ; un Système enfermé dans ses contradictions et qui, dépouillé de sa narrative, révèle en Occident aussi une réalité faite de misère, de précarisation, de paupérisation galopante, d’injustice sociale, de meurtre de l’environnement ; tout cela formant une gigantesque, une formidable impasse où viennent se fracasser les rêves et les espérances.
• Crises sanitaires (sang contaminé, poulet à la dyoxine; vache folle).
• Crises environnementales (réchauffement climatique, pollution des sols, de l'air, des mers).
• -Crises sanitaires (empoisonnement par l'industrie agro-alimentaire: explosion des cancers, du diabète, de l'obésité).
• Crise énergétique (raréfaction des énergies fossiles).
• Crises financières / économiques.
• Crises alimentaires.
• Crises sociales.
• Crise du Cablegate (WikiLeaks).
• Crises d’émancipation des peuples arabes.
Dans la réalité virtuelle du Système, toutes ces crises sont dissociée avec, en filigrane, l’idée qu’à termes tout rentrera «naturellement» dans l’ordre d’un Système apaisé dont les structures fondamentales seront préservées moyennant quelques aménagements. C’est une illusion.
Toutes ces crises sont liées entre elles et sont, en réalité, autant de symptômes du pourrissement accéléré du Système quand elles ne sont pas carrément, comme dans le cas des révolutions arabes ou de Wikileaks, des attaques directes contre le Système. Autrement dit, toutes ces crises forment une seule et même crise à tête multiple, la grande crise générale d’un Système en marche vers l’autodestruction. L’effondrement du Système occidentalo-américaniste est donc non seulement logique et inéluctable, mais nécessaire.
«La domination [du Système] de l’homme blanc touche à sa fin», disait le général Aoun. Le constat n’a rien d’effrayant. Le printemps est une si belle saison.
Pierre Vaudan
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