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2243Il est parfois intéressant de s'aventurer dans les méandres d’un grand article technique, agrémenté des interviews qui importent, pour mieux mesurer l’évolution d’une grande force, d’un grand corps, et l’implication politique qui en découle. Le “grand article technique”, lui, ne s’intéresse pas à ces broutilles. D’où notre attention attirée par un article de Air Force Magazine (AFM), avec le titre «New Life for Old Fighters», dans le numéro de février 2011. AFM est le magazine de l’Air Force Association (AFA), principal lobby officiel de l’USAF et courroie de communication de l’USAF vers ses membres et sympathisants pour leur faire connaître plus en détails, et parfois d’une façon inédite, des décisions, des politiques, des consignes, etc.
Nombre d’indications ont été diffusées ces dernières semaines sur les projets de l’USAF de moderniser un certain nombre de ses avions qui arrivent au terme de leur vie opérationnelle normale. Le sujet est essentiellement technique mais il a une importance politique évidente parce que ces décisions de modernisation ont un rapport direct avec une situation où une “soudure” est nécessaire à faire à cause du délai sans cesse grandissant de l’arrivée en service de l’inépuisable et insaisissable JSF/F-35. L’article de AFM apporte un grand nombre de précisions, dans un domaine où l’on s’aperçoit que “the devil’s in the detail” (“le bon Dieu est dans le détail”)… Il traite des trois avions de l’USAF que le JSF doit remplacer, le F-16, le F-15 et le A-10 ; il évoque des processus de modernisation qui, en moyenne, amène ces avions à rester opérationnels jusque dans les années 2030, et plus proche de 2040 que de 2030. Quelques extraits de l’article fixeront les idées, derrière le jargon des différentes démarches de modernisation.
• Concernant le F-16 : «The Air Force has already performed a structural improvement on some F-16s called Falcon STAR, but this was intended to get them to their originally planned service lives. The F-16s, which saw extensive combat from Desert Storm in 1991 to today, were used harder and carried heavier loads than first expected; this caused stress fatigue in some components and cracks in some bulkheads. Falcon STAR—for Structure Augmentation Roadmap—was not meant to be a service life extension program, or SLEP.
»Without a SLEP, ACC thinks that “a small number” of F-16s could make it to 2030, but most will be “gone by 2025.” With a SLEP—which would reinforce or replace bulkheads, some spars, and add maintainability improvements overall—an F-16 fleet of about 300 airplanes could make it “to about 2030 to 2035,” [General] Andersen said…
• Concernant les F-15 dans leurs deux versions majeures (F-15C et F-15E) : «The Air Force plans to retain 176 F-15Cs. Only two units—one at Kadena AB, Japan, and one at RAF Lakenheath in Britain—will serve with the active duty. Some 54 F-15Cs are on contract to be fitted with an AESA radar, and all F-15Cs are now fitted with the Joint Helmet Mounted Cuing System. The F-15Cs will also receive an IRST system to detect stealthy targets.
»The F-15 fatigue test is “on contract,” Andersen said but lags the F-16 test by “about a year and a half.” It is planned to run from Fiscal 2012 to 2015. Assuming no big surprises show up in the test, “we could keep them well past 2025, into about the 2030 time frame,” Andersen said.
»Likewise, the Air Force has decided to do a stress test on an F-15E Strike Eagle. It will begin about a year after the F-15C test gets under way. A specific aircraft to undergo the test hasn’t been chosen yet, but one will have to be sacrificed.
»Unlike the F-15Cs, which will phase out in the next 15 to 20 years, the E fleet is expected to serve another 25 years or more. The aircraft was built later, with tougher, heavier load-bearing structures in order to carry a heavy attack weapons load. That, and expected use of lighter ordnance, should mean the Strike Eagles can make it into the late 2030s…»
• Concernant le A-10 d’appui tactique rapproché : «The A-10 fleet is in the midst of a billion-dollar upgrade in which the aircraft that USAF will retain are getting new wings. At the same time, these aircraft are receiving the precision engagement package, giving the airplane new displays and a digital backbone to allow it to carry most of the most modern munitions in the inventory. About the only air-to-ground weapons the A-10 will not use are Small Diameter Bombs.
»The new wings and structural improvements will boost the A-10’s life expectancy from 16,000 hours to 20,000 hours, buying it a place in the inventory until about 2035. The GAO reported that ACC thinks a helmet mounted cuing system is the “No. 1” upgrade needed to make the A-10 more effective, on top of the improvements already in the pipeline. Software development also is a key requirement for the A-10.»
On observe que ces plans conduisent effectivement à maintenir en service opérationnel un certain nombre de ces trois types d’avion jusque dans les années 2030, certains presque jusqu’en 2040. Le cas du A-10 est le plus remarquable, parce qu’il porte sur l’entièreté de la flotte (autour de 200 exemplaires) d’un avion qui est affecté à une mission extrêmement spécifique (l’appui tactique rapproché). Cela signifie que les A-10 continueront à assurer cette mission, – où ils excellent, – au moins jusqu’en 2035 (l’avion aura alors 60 ans d’âge), à un nombre d’ores et déjà jugé suffisant pour les besoins de l’USAF ; par conséquent, on peut d’ores et déjà conclure que cette mission, que devait remplir le JSF, sera retirée à ce même JSF, impliquant un nombre plus réduit de JSF nécessaire. Le même raisonnement peut être appliqué aux deux autres avions, pour l’instant en partie puisque l’opération de modernisation ne concerne qu’une partie de leur flotte, mais avec une extension à des exemplaires supplémentaires si le besoin s’en fait sentir. Là aussi, cela implique que des centaines de JSF ne seront plus nécessaires avant les années 2030 par rapport à la commande globale de l’USAF telle qu’elle reste officiellement affirmée (un peu plus de 1.700 JSF).
Ces remarques sont très théoriques et minimalistes par rapport à l’ampleur que peut prendre cette dynamique bureaucratique. Car il s’agit bien d’une dynamique bureaucratique, présentée pour l’instant comme une mesure marginale en raison des délais de production du JSF, mais qui peut devenir une dynamique centrale pour la modernisation de l’USAF, concurrençant directement le JSF en mettant en cause la nécessité de cet avion, donc le marginalisant de plus en plus rapidement. La dynamique en question est d’ores et déjà en marche et va se nourrir d’elle-même, d’autant plus puissamment que les problèmes du JSF, ses coûts, etc., vont continuer à le rendre de plus en plus inapte au service actif. Parallèlement, elle va prendre une part budgétaire de plus en plus importante (la modernisation minimale d’un F-16 est prévue à $9 millions, avec les augmentations à mesure dès qu’on veut la raffiner). On retrouve, dans la pratique, les conceptions théoriques exposées dans notre Bloc Notes du 14 février 2011, portant sur l’idée d’une réduction considérable de la commande du JSF, jusqu’à une situation où il s’agirait d’un véritable abandon du programme (avec 10% de la commande initiale de 2.400 pour les trois armes effectivement produits). En d’autres mots, la théorie exposée dans ce texte est d’ores et déjà en cours d’application.
Ainsi assiste-t-on à un phénomène considérable, d’ordre politique, qui se développe derrière des mesures techniques peu spectaculaires et une dynamique bureaucratique discrète. On voit en effet se profiler, avec le probable échec du JSF, la transformation de la principale force aérienne du monde qui a toujours basé son statut de puissance sur la disposition des avions les plus avancées, en une force dont l’essentiel de ses effectifs sera constitué, pendant les 25-30 prochaines années, d’avions de combat qui ont tous été conçus dans les années 1970. La possibilité d’achat d’avions nouveaux (relance du F-22, nouvelles versions très avancées des anciens modèles) sera longtemps et fortement freinée par la fiction, qui devra être maintenue le plus longtemps possible (on voit aussi pourquoi dans le même texte du 14 février 2011), que le JSF sera effectivement produit à hauteur des chiffres initialement prévus avec la part très importante de budget impliqués bloqués dans les projection budgétaires, et entravant une programmation différente. L’USAF est ainsi emprisonnée dans un processus de modernisation qui, à cause de l’échec du JSF, l’enferme dans une sorte de “death spiral”, une déstructuration de son statut de première force aérienne du monde, avec un enfermement dans un sous-équipement qualitatif. Parallèlement à cette évolution, en effet, les principales forces aériennes non-US (russe, chinoise, certaines forces européennes) vont recevoir et reçoivent déjà des équipements de générations beaucoup plus avancés. Il s’agit d’une réduction de puissance, d’un processus de dégradation du statut de la plus puissante force aérienne du monde, qui vont rapidement constituer un fait politique majeur lorsqu’on commencera à la réaliser, dans deux ou trois ans, en précipitant la perception de la réduction de la puissance militaire US. Le fait essentiel est évidemment, ici, celui de la perception, qui entraîne la formulation de la politique. Du côté US, il est assez improbable qu’on réagisse à cette évolution, la psychologie américaniste (le caractère de l’indéfectibilité) étant fermée à une appréciation objective de la situation et interdisant à la bureaucratie US de penser que la politique d’équipement technologique US, – ici, les modernisations des matériels vieux, – ne donnera pas des équipements qui seront malgré tout les meilleurs du monde, puisqu’américanistes.
Mis en ligne le 16 février 2011 à 04H34