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15 août 2002 — Divers constats sont faits aujourd'hui à propos des avatars rencontrés par les plus grandes forces d'application du système économique présenté jusqu'il y a peu comme triomphant. Cela concerne d'abord et essentiellement l'Amérique par la force des choses, parce que l'Amérique est l'inspiratrice et la principale applicatrice, et la principale bénéficiaire du système ; et parce qu'elle est la force principale à être touchée dans sa substance par la crise du système.
Parlant des mises en cause du système présentées avec fracas par le Prix Nobel 2001 Joe Stiglitz, Le Monde ne manque pas, par son fameux souci d'objectivité qui a justement fait sa gloire, de signaler, avant d'utiliser sa critique, « l'arrogance » bien connue dans les milieux spécialisés, de ce même Joe Stiglitz. Puis Le Monde s'appuie effectivement sur la critique de Joe Stiglitz pour éditorialiser à ce propos. C'est-à-dire, pour faire le constat qu'au-delà ...
« ... de ces réserves et des réformes internes qui peuvent être étudiées au sein du FMI, les questions de fond que pose M. Stiglitz touchent au cœur du débat général de l'après-11 septembre sur les relations des Etats-Unis avec le reste du monde. Sur la scène diplomatique et militaire, la supériorité écrasante de l'arsenal américain nourrit les accusations d'unilatéralisme. Dans l'ordre – ou le désordre – financier international, on retrouve les mêmes critiques contre l'unilatéralisme des Etats-Unis, seul pays à bénéficier du droit de veto au FMI, puisqu'il y dispose de 17 % des droits de vote. Là aussi, c'est la superpuissance américaine qui dicte ses règles au reste du monde. »
C'est dans ce contexte qu'il faut observer les résultats d'une conférence à laquelle assistaient divers mouvements et associations type-ONG de pays d'Asie et d'Asie du Sud-Est, pendant trois jours (9, 10, 11 août), à Bangkok, sur le thème de la globalisation ; conférence intéressante parce qu'elle a permis également de constater que le mouvement anti-globalisation, après le coup d'arrêt du 11 septembre, est en train de retrouver, disons sa légitimité. (C'est en effet autour de ce mot que la réflexion se devrait développer aujourd'hui : la légitimité ; effectivement la question centrale est bien celle de “la légitimité” de l'empire exercé sur le monde par la puissance américaine.)
Un point essentiel doit être retenu, tant il résume bien la situation actuelle de la puissance américaine, à la fois à cause des États-Unis eux-mêmes, mais surtout, infiniment plus, à cause du refus des autres nations du monde de tenter d'équilibrer cette puissance. Ce fait est que la ”renaissance” du mouvement anti-globalisation est due à l'Amérique elle-même et à ses propres actes autodestructeurs (les scandales et la crise du corporate system), comme son effacement était du également à un événement affectant l'Amérique (l'attaque du 11 septembre), avec les conséquences sur l'attitude de ce pays et sur l'attitude des autres.
« The crisis in corporate America comes at a moment when the Anti-Globalization movement in the region is reasserting itself after losing some steam following the Sep. 11 attacks on the United States [say some critics from South and South-east Asia, who ended a three-day conference in Bangkok Monday 12 August].
« “There was some disorientation after Sep. 11 and the momentum we had gained till then was lost,” says Walden Bello, executive director of Focus on the Global South, a Bangkok-based think tank. “But with the corporate scandals, we see the other side losing the momentum and our side is gaining,” he said. However, Bello feels that the Asians leading the charge against corporate-driven globalization have still to make up for the lost political ground in the wake of the Sep. 11 attacks. “We are not at the point we were in the region before the attacks in the U.S., but we are getting there,” he said. »
Le plus important dans cette réunion, et c'est un élément qui n'existait pas auparavant dans cet aspect du mouvement anti-globalisation et autour, c'est le constat de la perte de la légitimité du “modèle américain” (légitimité morale, quasiment psychologique pourrait-on dire). Cette question de la légitimité est essentielle ; elle n'a rien à voir avec l'efficacité, la productivité, etc, ni même avec la puissance ; c'est elle qui détermine la capacité d'influence, qui est de très loin la dimension dominante de l'hégémonie américaine.
« An Indonesian delegate asserts that critics can now point to what he called “the hidden face of capitalism”. “The U.S. corporate model has lost its legitimacy. It was not based on fairness, but one favoring the economic elite of the world,” says Tito Soentoro, who heads Solidaritas Perempuan, a Jakarta-based women's human rights lobby. »
C'est sur ce terrain de la légitimité du “modèle américain”, donc de son influence et de son hégémonie, que se joue et se jouera l'évolution des relations internationales. Un fait remarquable est que les Américains, — particulièrement les intellectuels et experts de l'establishment — ne semblent certainement pas avoir compris cet aspect de l'équation de l'hégémonie américaine. C'est certainement la meilleure chance des adversaires de cette hégémonie.