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1295Le sort du comique satirique égyptien Youssef éclaire l’état des relations entre les USA et l’Égypte, et, surtout, suggère que l’Égypte est devenue, avec la Russie, l’un des champs privilégiés de cette activité que nous désignons comme l’“agression douce” de la part des USA. (Dans ce cas, on pourrait dire que, toutes proportions gardées, notamment pour l’écho du systèmle de la communication, Youssef tient, pour l’Égypte vis-à-vis des USA, le rôle des Pussy Riot pour la Russie vis-à-vis des USA.)
Antiwar.com donne le 3 avril 2013, un rapide compte-rendu, avec quelques liens utiles, sur l’état de cette tension entre les deux pays, c’est-à-dire entre le pouvoir des Frères Musulmans (Morsi) et la stratégie de communication des USA : «Tensions between the Obama Administration and Egypt’s ruling Freedom and Justice Party (FJP) seem to be on the rise today, after the FJP issued a statement condemning the US State Department, accusing them of “meddling” in internal matters by criticizing the Youssef case.»
• Russia Today développe plus en détails le cas, le 3 avril 2013. Il décrit notamment l’attitude des USA dans cette affaire et la réaction des Frères Musulmans parlant en leur nom, ce qui permet d’interpréter cela comme une réaction officieuse de Morsi sans que le président égyptien soit personnellement et explicitement impliqué dans cette passe d’armes. (A noter que le seul à garder son calme et à prendre la chose avec philosophie est Youssef lui-même : «“Going to jail is a risk that we have to go through,” he told CNN. “But you know, with big shows and big programs comes creative responsibility and maybe bigger risks. So I think we just have to accept that this could happen any time.”»)
«Bassem Youssef, who is known as Egypt’s Jon Stewart, was detained and grilled in court for five hours on Sunday. He was released on a $2,200 bail. The comic was arrested after Egypt’s investment authority received complaints about Youssef’s show, including “mockery” of “state symbols and prominent personalities” and “sexually suggestive” language, state-run Ahram Gate reported.
»The move prompted the US Department of State spokeswoman Victoria Nuland, to criticize the decision saying it raised concerns about the Egyptian government’s commitment to basic freedoms. “This coupled with recent arrest warrants issued for other political activists is evidence of a disturbing trend of growing restrictions on the freedom of expression,” she said at the State Department’s daily press briefing on Monday. “So there does not seem to be an evenhanded application of justice here.” Nuland added that Egyptian authorities seemed selective in their prosecution, accusing them of cracking down on offenders such as Youssef, while ignoring or playing down attacks on anti-government protesters and cases of “extreme police brutality.”»
»The Justice and Freedom Party, the political wing of the Muslim Brotherhood, condemned the comments and said the government was committed to freedom of expression. “Nuland's statements are...blatantly interfering in Egypt's internal affairs,” a party statement said.»
Il s’agit d’une nouvelle passe d’armes entre les USA et l’Égypte, la première de cette sorte ayant eu lieu à la fin 2011-début 2012 avec l’affaire des ONG pseudo-égyptiennes qui opposa les USA et le pouvoir militaire. Déjà, il s’agissait d’“ingérence” US au nom des habituels refrains (démocratie, droits de l’homme, liberté de parole, etc., dont les USA constituent une référence inégalable), avec financement US de certaines ONG égyptiennes dont l’activisme pouvait être jugé déstabilisant par le pouvoir. Les militaires avaient réagi en dénonçant l’ingérence US et l’affaire avait largement interféré sur les relations entre les deux pays (même si les militaires avaient cédé du terrain, finalement). Cette fois, il s’agit de Morsi et des Frères Musulmans, que BHO a choisi de soutenir malgré divers avatars. Pourtant, il y a cette interférence, semblable à quelques autres, mais celle-là particulièrement stridente et sonore. La protestation de Frères Musulmans reflète nettement le sentiment de Morsi et est prise effectivement comme une réaction du président.
Ce qui est très remarquable, c’est que les USA agissent de cette façon alors qu’ils ont choisi de soutenir Morsi, malgré ce qu’ils peuvent lui reprocher, et malgré sa situation très faible, comme un pis-aller certes mais essentiel parce qu’il y a la nécessité stratégique de garder des liens avec l’Égypte et d'éviter que ce pays sombre dans le désordre. Le résultat net est que, dans cette circonstance, ils affaiblissent Morsi, non au profit de quelque opposition organisée qu’ils pourraient choisi de soutenir, mais simplement un profit d’un désordre plus grand encore. Une autre conséquence est que cette intervention devrait nourrir les sentiments antiaméricanistes ici et là, qui sont prompts à s’enflammer dans des situations de faiblesse du pouvoir et de désordre. Mais, comme l’on sait, cet étrange agissement politique, qui reflète d’ailleurs assez bien l’indécision désormais proverbiale d’Obama, est de toutes les façons le produit d’un processus bureaucratique, notamment au département d’État ; c’est aussi la production d’un phénomène que nous désignons l’infraresponsabilité (1), dont certains des attendus sont souvent énoncés, d’une façon peu consciente sinon inconsciente quant aux implications, par les acteurs eux-mêmes (voir le 15 juin 2012, sur l’ambassadeur des USA à Moscou, McFaul).
Le point le plus étonnant de ces circonstances est que le processus ainsi décrit affecte essentiellement deux des pays (la Russie et l’Égypte) qui devraient être les plus importants pour les USA, et dont les relations avec les USA sont les plus délicates et souvent proches d’un réel antagonisme. En ce sens, on pourrait aisément conclure que l’“agression douce”, qui fait évidemment partie des impulsions où le Système joue un rôle particulièrement important, participe d’une façon affirmée à la phase d’autodestruction du Système puisque le résultat net est de compromettre des relations très importantes pour la politique américaniste, qui n’est évidemment qu’un succédané de la politique-Système. Il y a dans tout cela une grande logique qui renvoie aux agitations et aux développements du Système
• On observera, selon un lien certes indirect mais ressortant du même domaine qui nous importe, que le Qatar, autre pays de la même bande accoquinée au bloc BAO et même le plus extrémiste d’entre tous, se trouve confronté à des difficultés en Égypte tenant également à des interférences dans la situation du pays, sous une autre forme. Là aussi, on retrouve un mélange paradoxal renvoyant à la situation de l’équation surpuissance-autodestruction du Système, les avatars du Qatar étant dus à sa puissance même, à sa politique très active (sinon activiste, dans tous les cas pour ce qui est de l'Egypte), mais bien entendu menée à coups de $milliards et faisant fi d’une façon générale des principes structurants de la légitimité et de la souveraineté, – situation assez normale même si paradoxale, après tout, puisque le Qatar est aussi ignorant de tels principes dans leur manifestation chez les autres comme chez lui que le sont les USA… Voici donc comment Roula Khalaf, dans le Financial Times, nous présente la chose, le 1er avril 2013.
«Qatar’s Hamad bin Jassim al-Thani was visibly frustrated when asked about the Gulf state’s involvement in Egypt at the concluding press conference of the Arab League summit. No, Doha is not buying the Suez Canal, he declared. Nor is it leasing the Pyramids, he added, dismissing rumours of Qatari intentions swirling in Cairo’s media. And no, Qatar is not taking sides between Islamists and liberals, the prime minister claimed, pointing out that his country gave $2bn in aid to Egypt when the military ruled and before the election of Mohamed Morsi, the Muslim Brotherhood leader.
»That the Qatari prime minister had to answer last week for his backing for Egypt is just one of the signs of the massive backlash against the Gulf state. As Sheikh Hamad recognised: “We are now blamed for anything that happens in Egypt.”
»Riding the Islamist wave in the region makes political sense for a small country with huge ambitions and the need to secure its future. But as Qatar is discovering, becoming a party in domestic political struggles is a risky business, more hazardous than Doha had bargained for…»
Mis en ligne le 4 avril 2013 à 15H02
(1) Voir aussi notre texte mis en ligne après la parution de cet article, le 6 avril 2013.