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939Il faut signaler un intéressant article d’un spécialiste des affaires du Moyen-Orient, Lamis Andoni, le 9 mars 2011 sur Aljazeera.net. Andoni traite la question de ce qui s’avère être de plus en plus la conviction des dirigeants et des élites US selon laquelle la “démocratisation” en cours au Moyen-Orient, avec le départ des dictateurs, conduira nécessairement à une situation plus favorable aux USA et à Israël que celle qui existait avant le mouvement en cours.
Andoni expose d’abord la position d’Obama sur cette question, position parfaitement conforme à l’état d’esprit qui prévaut dans les élites US.
«Barack Obama, the US president, has still not fully grasped the essence of the revolutions underway in the Arab world. He genuinely seems to believe that the people rallying for democracy in the region are making a pro-Western, if not pro-Israeli, statement. “All the forces that we're seeing at work in Egypt are forces that naturally should be aligned with us, should be aligned with Israel - if we make good decisions now and we understand sort of the sweep of history,” Obama recently told a group of Democrats in Florida.
»I am not sure how Obama drew this conclusion, but he is either terribly misinformed or engaged in a serious bout of wishful thinking.»
Andoni observe que ce jugement rencontre effectivement celui de la grande majorité des élites américanistes, notamment des “experts” du problème. Ces élites et experts tirent la conclusion assez remarquable que, puisqu’il n’y a pas eu de signes manifestes d’antiaméricanisme et d’hostilité à Israël durant les événements, ces événements sont favorables aux USA et à Israël. Pour plus de sûreté dans ce raisonnement, on se livre à l’exercice favori de réécriture de l’histoire, en arrivant à l’exploit intellectuel, ou schizophrénique c’est selon, de faire a posteriori de Moubarak un antiaméricaniste pour tenter de dissimuler ses propres vices…
«Over the years, the Egyptian people have repeatedly shown – through demonstrations, their media and even their cinema – that they oppose US policies in the region and Israeli aggression towards the Palestinians. But now some American analysts, officials and former officials are seeking to rewrite history - and possibly to convince themselves in the process - by claiming that popular animosity towards Israel was simply a product of the Mubarak regime’s efforts to deflect attention from its own vices.
»Jackson Diehl, a Washington Post columnist, has even blamed the former Egyptian regime for deliberately keeping the peace with Israel cold and for sometimes challenging the US. “Imagine an Egypt that consistently opposes the West in international forums while relentlessly campaigning against Israel. A government that seeds its media with vile anti-Semitism, locks relations with Israel in a cold freeze and makes a habit of publicly rejecting ‘interference’ in its affairs by the United States. A regime that allows Hamas to import tonnes of munitions and Iranian rockets into the Gaza Strip,” Diehl wrote of the Mubarak regime in an article published on February 14.
»Diehl seems to think that a democratic Egypt will be friendlier to the US and Israel than what he deemed to be an insufficiently cooperative dictatorship. The same idea has been presented by Condoleezza Rice, the former US secretary of state, who argued that Mubarak’s fear of the “Arab street” prevented him from fully endorsing US policies towards the Israeli-Palestinian conflict.
»But what Rice and others seem not to realise – despite the fact that their statements implicitly acknowledge it – is that Mubarak’s supposed shortcomings reflected his realisation that he could go no further in his support of US policies without provoking popular anger.
»Arab regimes have always sought to appease the opposition by paying lip service to the Palestinian cause, because they understand the place it holds in the Arab psyche. And while the revolutions have revealed that this tactic is no longer sufficient to keep the forces of opposition at bay, it is wrong to assume that the new Arab mood is somehow consistent with a friendlier posture towards a country that continues to occupy Palestinian land and to dispossess Palestinian people.»
Andoni propose une explication de cette attitude, qui décrit plutôt l’argumentation implicite du processus de rationalisation de la position US, ou plutôt de la “croyance” US à propos de cette situation. Cette argumentation est appuyée sur le dogme intangible que la vertu suprême est la démocratie, que les USA sont l’essence même de la démocratie, donc que les USA représentent la “vertu suprême” en matière de politique… Les foules égyptiennes, enfin éclairées, auraient compris cela.
«In the prevailing US political culture, supporting Washington’s policies is considered synonymous with democratic thinking and behaviour, while opposing the American outlook and Israel is judged to derive from the backwardness of ‘captive’ minds. According to this perspective, a mentality of imagined victimhood feeds ‘hatred’ of and resistance towards Israel.
»But, it is, in fact, this thinking that is utterly undemocratic. If we assume that democratic values are universal values and move away from a Western ethno-centric interpretation, we will find that the rejection of occupation is totally consistent with ideas of freedom and human dignity – two supposedly integral components of democratic thought…»
La description de la situation de la position US par Andoni est pertinente, y compris celle d’Obama qui s’avère à cet égard totalement américaniste. Mais ce qui nous intéresse surtout, bien entendu, ce sont les causes et les racines profondes, qui nous ramènent inéluctablement à la très particulière psychologie américaniste, – et à ses composants majeurs , tels que nous en faisons l’hypothèse, qui sont essentiellement les caractère d’“inculpabilité” et d’“indéfectibilité”. Ces caractères déterminent d’une façon non consciente ni rationnellement élaborée, ce qui exclut le mensonge au sens courant du terme, mais par simple entraînement d’une psychologie spécifique de l’américanisme, que les USA ne peuvent être fondamentalement coupables de quoi que ce soit, et que leur action ne peut fondamentalement conduire qu’à un triomphe pour eux-mêmes et pour les vertus qui sont leur essence même. Cette psychologie si spécifique est en effet fondée sur la conviction de la vertu américaniste générale, qui regroupe précisément les vertus de la politique considérées par cette forme de pensée pavlovienne comme objectives, et dont la “démocratie” est la plus haute.
Si l’on peut remarquer que plusieurs nations et groupes divers ont souvent de ces jugements sur eux-mêmes, notre appréciation est qu’il n’y a que l’américanisme qui affirme cela par l’automatisme d’une psychologie qui possède elle-même une sorte d'essence inconsciente affirmant ces choses. De là, l’automatisme irréductible, insensible à toute raison, à toute expérience, à toute vérité, incapable de toute nuance et de toute révision, du jugement américaniste sur les USA, sur le monde et sur l’action des USA dans le monde. Ce caractère extraordinaire de la psychologie américaniste fait que l’intellect américaniste est insensible à toute manifestation de l’intuition haute, puisqu’aucun apport supérieur à lui-même n’est acceptable. (Nous disons “américaniste” pour bien illustrer notre hypothèse qu’il s’agit là d’une conformation artificielle de la psychologie, essentiellement dans ses élites et dans les couches les plus conformistes de la population, due à l’action formidable aux USA du système de la communication, et du Système lui-même, dont nous faisons remonter les origines de sa phase actuelle à la fin du XVIIIème-début du XIXème siècles, justement au temps de la formation des USA, – voir notre thèse de La grâce de l’Histoire. Par contre, il existe une psychologie américaine, surtout chez les dissidents, très souvent chez les écrivains US, qui est dégagée de cette chape psychologique et qui peut porter un jugement beaucoup plus libre sur le phénomène des USA.)
De ce qui précède, on peut aisément conclure une explication de l’attitude des dirigeants et des élites US, notamment appuyée, pour son action politique, sur le mot “démocratie” dont on a vu notre hypothèse qu’il constituait une véritable prison de l’esprit, un “mot-matière” qui ne peut pas évoluer et reste figé d’une façon terroriste dans sa représentation vertueuse, américaniste et par extension américaniste-occidentaliste. Ainsi arrive-t-on à ces représentations stupéfiantes faisant de Moubarak jusqu’à sa chute un obstacle à la fois à l’influence évidemment vertueuse de l’américanisme en Egypte, et à la politique également vertueuse des USA au Moyen-Orient. Il n’y a pas d’argument, de mot qui puisse exprimer la fausseté mystificatrice de ce jugement extravagant, qui montre son extravagance par lui-même, par le poids insupportable de sa charge virtualiste imposée par la psychologie américaniste.
Il faut noter que cette attitude est évolutive et ne s’embarrasse évidemment pas de contradictions dont l’existence n’a pas lieu d’être (d’où la nécessité de récrire l’histoire, le plus souvent, sinon toujours en toute bonne foi). Il y a 4 ou 5 mois, les quelques critiques contre Moubarak qui ressortent aujourd’hui comme arguments impératifs, étaient perdues dans la satisfaction générale du Système de la coopération, sinon la collaboration de Moubarak avec tous les objectifs et les pratiques US (jusqu’à la “sous-traitance” des tortures pour le compte de la CIA, qui n’entament en rien la vertu générale du Système). Aujourd’hui, Moubarak est traité comme il l’est, en dictateur nécessairement (puisque non-démocrate) antiaméricaniste. Bien entendu, c’est un terrain fécond pour le développement des théories a posteriori sur l’action des USA pour se débarrasser de lui, par les amateurs de la manipulation de l’Histoire par la puissance de l’esprit humain et complotiste, particulièrement de l’esprit US.
Le plus surprenant, ou le plus décevant certes, est de voir Obama sembler se conformer parfaitement à cet emprisonnement psychologique. Il faut donc en déduire que ce personnage remarquablement intelligent, qu’on pouvait espérer être sensible à l’intuition haute qui l’aurait poussé à chercher des réformes radicales des USA (“American Gorbatchev”), serait en fait totalement prisonnier d’une raison particulièrement développée, et elle-même devenue complètement prisonnière de l’influence du Système, et de cette psychologie américaniste qui s’est formée à partir du Système.
Il n’est pas sûr que les Israéliens (notamment et essentiellement pour les dirigeants et les élites essentiellement likoudistes, qui devraient être les plus proches des USA) partagent la même attitude psychologique que les USA sur cette question égyptienne. Eux aussi ont une psychologie particulière, qui rejoint certains traits de la psychologie américaniste, mais elle est plus formée majoritairement par les circonstances historiques et par les pesanteurs culturelles et religieuses, que par l’emprise et l’influence du Système, comme dans le cas US. Les Israéliens ont ouvertement regretté le départ de Moubarak et craignent beaucoup, et à juste raison, l’orientation et l’évolution de l’Egypte. Mais ils ne feront pas le poids face aux certitudes de la psychologie américaniste, qui est par définition quelque chose d’insensible à l’argument ; malgré tous les AIPAC (lobby israélien) du monde, ils ne pourront empêcher les erreurs catastrophiques qui sont à prévoir très rapidement du fait de la politique US face à la nouvelle situation dans les pays arabes.
Mis en ligne le 10 mars 2011 à 06H58
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