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418Hier fut donc, en Egypte, une journée de rage, avec poursuite possible ces jours-ci. Bien entendu, tout le monde a à l’esprit la “théorie des dominos” et se demande assez classiquement : après la Tunisie, l’Egypte ? “Un barrage a cédé en Egypte”, titre le Christian Science Monitor du 26 janvier 2011. RAW Story du 25 janvier 2011 donne un rapport succinct des événements.
«Tens of thousands of demonstrators took to the streets across Egypt Tuesday, facing down a massive police presence to demand the ouster of President Hosni Mubarak in protests inspired by Tunisia's popular uprising.
»Gamal Mubarak, son of President Hosni Mubarak, had fled the country along with his family, according to the Adnkronos International news service.
»Demonstrators calling for economic and political reforms broke through police barriers and began marching in Cairo's streets. Protesters gathered outside the Supreme Court in downtown Cairo and held large signs that read “Tunisia is the solution” amid massive police deployment, an AFP correspondent said.»
Effectivement, si on reste indécis sur le nombre de manifestants, le nombre de policiers mobilisés est connu, – près de 30.000, ce qui mesure le sentiment de la direction égyptienne… D’où, peut-être, les interrogations attristées de Mark LeVine, sur Aljazeerra.net, du 25 janvier 2011.
«The question is, why?
»Why would Obama, who worked so hard to reach out to the Muslim world with his famous 2009 speech in Cairo, be standing back quietly while young people across the region finally take their fate into their own hands and push for real democracy? Shouldn't the president of the United States be out in front, supporting non-violent democratic change across the world's most volatile region?»
@PAYANT …Effectivement, pourquoi Obama n’est-il pas au Caire, à la tête des foules contestataires, plutôt que devant le Congrès, égrenant un discours SOTU (State Of The Union) d’un désintérêt et d’une pompe conformiste surprenantes par la parfaite conformation aux us et coutumes de Washington D.C. ? … (Il paraît, nous dit Reuters ce 25 janvier 2011, que ce fut un “Sputnik Moment” dont le but n’est rien moins, en toute simplicité, que de profiter d’une remontée dans les sondages pour retrouver la “magie” de 2008, en toute simplicité, – «…whether [Obama] can build upon this momentum and recapture the magic of his 2008 election.»)
Ce qui est très remarquable et presque vertueux, dans les événements d’hier en Egypte, c’est qu’ils correspondent précisément aux vœux des USA tels qu’ils étaient proclamés dans les années 2002-2003, lorsque la doctrine de la “démocratisation” du Moyen-Orient n’impliquait pas seulement l’Irak et l’Iran, mais également l’Arabie Saoudite, la Jordanie, l’Egypte, etc. C’était évidemment la doctrine des néoconservateurs, dont le bellicisme avait besoin comme soutien de l’argument massue de la “démocratisation”. La même idée fut reprise par Obama lors de son discours du Caire d’avril 2009, mais retournée en un sens, avec cette fois l’apparence réformiste du nouveau président ayant également besoin du même argument massue (“démocratisation”). Contrairement à ce que nous serions tentés d’écrire, tous y croyaient fortement, chacun à sa façon mais chacun aussi loyalement, à cette “démocratisation”. Aujourd’hui, les uns et les autres se trouvent devant la perspective de ce qui ressemblerait effectivement à une voie nécessairement troublée, dans le but d’instaurer une “démocratisation”, passant d’abord évidemment par la chute des divers “tyrans” en place ici et là. Aussitôt s’établit un silence assourdissant, de Washington à Paris notamment, sur cet axe de la vertu américaniste-occidentaliste qui ne supporte pas qu’une matraque puisse être brandie contre un réformiste iranien.
L’affaire tunisienne est, comme on le sait, loin d’être résolue. Elle est flanquée sur son Ouest de l’affaire algérienne et sur son Est de l’affaire égyptienne, dans deux pays dont le système de la communication se plaît à faire des chaudières bouillonnantes prêtes à exploser. Les gens, dans les rues de ces deux pays, semblent prêts à confirmer cette prospective, – ou, dans tous les cas, ils sont aisément entraînés à le dire, d’autant qu’ils se sentent effectivement, grâce encore à l’activité du système de communication, comme s’ils faisaient partie d’une sorte de mouvement irrésistible. La défense policière habituelle des régimes ainsi assiégés n’est pas sans faille. Une très grande impression a été faite hier, par une vidéo montrant, au Caire, des manifestants poursuivant une escouade de la police anti-émeute caparaçonnée de visières, de boucliers et de matraques et prenant les jambes à son cou alors que c'est le contraire qui est censé se produire, – et l’incident alimentant surtout l’idée que, comme en Tunisie, les forces de sécurité égyptiennes sont très peu sûres et pourraient, à un moment ou l’autre, céder devant l’émeute, voire passer du côté de l’émeute, et accentuer effectivement jusqu’au déferlement ce phénomène du “barrage qui cède”. Par ailleurs, et s’il faut d’autres réserves alarmistes, il y a toujours le Liban, et les Palestiniens eux-mêmes, qu’on dit très agités avec les révélations d’Aljazeera.net via les Palestine Papers, et prêts à renverser la Haute Autorité. (L’argument est surtout développé par ceux qui font de ces “fuites massives” une arme anti-israélienne, faite pour torpiller le vertueux processus de paix, où USA et Israël ont le si beau rôle, alors que l’autre hypothèse des autorités palestiniennes déclenchant elles-mêmes ces fuites est beaucoup moins citée parce qu’elle ne donne le beau rôle ni aux USA, ni à Israël. C’est pourtant cette hypothèse que nous tenons pour assurée, au contraire de l’habituelle narrative virtualiste de l’Ouest, relayée par tous les spécialistes du domaine.)
Ces agitations extrêmement nombreuses répondent à des intérêts divers et à des manipulations sans nombre, sur fond de la paralysie de la diplomatie occidentaliste, évidemment prise dans l'étau de ses contradictions. On sait bien que tous les champions occidentalistes-américanistes de la “démocratisation” ne craignent rien tant que la “démocratisation” parce qu’ils croient bien que c’est en général le chemin de l’islamisation. Ni les neocons ni Obama ne semblaient donc s’en être avisés ? La réalité à cet égard est d’ailleurs plus complexe que l’alarme effrayante que fait naître en général le mot “islamisation”, qui fait aussitôt songer à l’extrémisme et, chez les idéologues du cru, à Washington D.C., aux “islamo-fascistes”… En fait, les agitations des pays musulmans, si elles se poursuivent, ont beaucoup plus de chance de s’orienter vers des régimes semi-parlementaires et/ou semi-religieux, sur le modèle de l’Iran ou, plus sûrement encore, sur le modèle turc. On prête trop peu d’attention à une certaine rencontre conjoncturelle entre l’évolution de la Turquie, l’extraordinaire popularité des Turcs et d’Erdogan dans les pays musulmans depuis l’affaire de la “flottille de la paix” (juin 2010), et l’extension extrêmement rapide du “modèle turc” comme alternative aux divers régimes pourris et corrompus par l’Occident qu’on trouve dans les pays musulmans “modérés” de la région. Cela, c’est beaucoup, beaucoup plus sérieux que les frayeurs diverses sur l’extrémisme des islamistes dans lequel continuent à se complaire les officines virtualistes américanistes-occidentalistes… Il apparaît évident, aujourd’hui, qu’une certaine réussite des mouvements en cours, avec certains soutiens extérieurs, a toutes les chances d’orienter nombre de ces pays vers le “modèle turc”. C’est la pire chose qui puisse arriver au bloc occidentaliste-américaniste, qui sera privé de ses deux principaux arguments de communication, – la “démocratisation” à faire mais qui ne parvient jamais à être faite parce que le risque de l’extrémisme islamiste la rend trop dangereuse, – ceci (“démocratisation” impossible) et cela (“islamisation” extrémiste et menaçante) justifiant le soutien aux régimes pourris en place.
Mis en ligne le 26 janvier 2011 à 15H08
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