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763Plusieurs rapports mettent en évidence, depuis deux semaines, une résurgence très sérieuse et importante des activités, incidents et crimes raciaux aux USA. On se réfère notamment à un rapport de AP, du 14 novembre, et à un rapport plus complet d’AFP, relayé par RAW Story, le 19 novembre.
C’est du rapport d’AFP que nous extrayons les citations suivants.
«Barack Obama's historic election as America's first black president has led to a surge of racist incidents across the United States, hate-crime monitoring groups and analysts say.
»Mark Potok, director of the Alabama-based Southern Poverty Law Center, said the final weeks of the US election campaign and its immediate aftermath had witnessed “hundreds and hundreds” of hate-related incidents. “Since the closing weeks of the campaign, we've seen a real and significant, white backlash break out and I think it's getting worse,” Potok told AFP.
»Potok traced the onset of the incidents to around the time of election rallies by Republican vice-presidential hopeful Sarah Palin where shouts of “Kill Him!” were reportedly heard from sections of the crowd. “But what we're seeing now is everything from cross burnings, to death threats, to Obama effigies hanging in nooses to ugly racial incidents in schoolyards around the country,” Potok said. “It's been really quite something. I can't quantify the figures beyond saying that clearly there have been hundreds and hundreds of these incidents.”
»Brian Levin, a professor from the Center for the Study of Hate and Extremism at California State University, San Bernardino also said the rise in hate crimes appeared to fit into part of a longer term trend. “We don't have exact figures but what I can say anecdotally is that there does seem to be a significant spike in hate crimes from around the election period up until now,” Levin said. […]
«The Southern Poverty Law Center's chief Potok said the increase in racist crimes could be attributable to a “perfect storm” of conditions. The increase in non-white immigration, the recent estimate by the US Census Bureau that whites would lose their majority status by 2040 and rising unemployment all helped create a climate favorable for hate groups. “Add to all of that the idea of a black man in the White House and you have a very significant number of whites who feel as if they've lost everything, that the country built by their forefathers has somehow been stolen from them,” Potok said. “I think we're seeing an identity crisis on the parts of whites.”»
Les observations importantes dans ces premiers commentaires sont de deux ordres: d’abord l’observation que ces incidents semblent prendre l’orientation d’un phénomène “à long terme” au lieu d’être simplement conjoncturels («the rise in hate crimes appeared to fit into part of a longer term»), l’un des signes étant notamment que la vague d’incidents raciaux va s’aggravant («Since the closing weeks of the campaign, we've seen a real and significant, white backlash break out and I think it's getting worse»); d’autre part, l’observation que cette résurgence des incidents racistes caractérise un malaise qu’un des spécialistes perçoit comme une “crise d’identité” des Blancs des USA («I think we're seeing an identity crisis on the parts of whites»).
Nous observons là le paradoxe sociologique fondamental de l’élection d’Obama. Cette élection a été unanimement, parfois hystériquement saluée comme quelque chose qui serait “la fin du racisme” aux USA, ou, dans tous les cas, l’indication que le racisme est définitivement sur la voie d’être éradiqué aux USA (avec l’avantage de propagande des “USA en avance pour la tolérance” qui va avec, répercuté outrageusement par la mécanique de communication du système). La même leçon en a été aussitôt tirée, notamment dans les pays européens pour leur propre situation (“nécessité” d’amener des immigrants de couleur à des postes de responsabilité très voyants). C’est évidemment, selon un travers absolument constant de notre époque virtualiste, confondre pour la signification de l'élection le symbolisme virtualiste forgé par l’idéologie avec la réalité.
L’élection du 4 novembre doit être comprise dans son contexte réel. Obama n’a pas été fondamentalement élu parce qu’il est Noir, ni malgré le fait qu’il soit Noir, – c’est-à-dire en aucun cas (positif ou négatif) avec beaucoup d’importance pour ce facteur. Notre appréciation est qu’il a été élu sans que les électeurs tiennent pour fondamental le fait qu’il soit Noir. La fortune électorale d’Obama, après différents changements, a changé décisivement après le 15 septembre. Auparavant, à partir de la fin août, il était mené par McCain-Palin dans les sondages (et là, le facteur racial pouvait jouer un rôle). La crise, d’une ampleur terrible, a tout changé en terrorisant les électeurs. McCain, identifié avec l’administration responsable de la crise et perçu comme peu compétent en matière économique, a chuté d’une façon irrésistible; Obama s’est imposé sans beaucoup d’efforts, presque sans qu’il ait développé cet argument, comme l’homme capable d’affronter la crise, pour toutes les raisons du monde, bonnes ou mauvaises (démocrate, perçu comme plutôt à gauche, voire réformiste, l’aspect racial jouant alors indirectement en sa faveur en le faisant percevoir inconsciemment comme hors des normes de l’establishment). L’élection d’Obama n’a pas été une “élection de l’espoir’” (fin du racisme, multiculturalisme) mais une élection du désespoir (“le seul homme qui peut nous sortir de la crise”); et l’enthousiasme a été à la mesure de cette “réaction de désespoir”, avec l’“espoir” qu’Obama réussirait à imposer des changements fondamentaux. (C’est un problème que nous traitons souvent; il n’a rien à voir avec la couleur de la peau et le racisme, et tout avec le système en place.)
Parallèlement, et sans que ceci ait un rapport avec cela, l’élection d’un Noir à la présidence semble avoir formidablement activé toutes les tensions raciales potentielles, en symbolisant (pour le coup, le symbolisme a une signification) ce qu’un des experts définit justement comme une “crise d’identité” des Blancs. Cette crise passe par la mise en cause radicale du statut suprématiste de cette “communauté”. (En effet, dans l’histoire des USA, il est plus juste de parler de “suprématisme” des Blancs fondé sur une perception idéologique, voire mystique, liée à l’idée américaniste originelle définie par les Puritains, plutôt que d’un racisme sociologique né de circonstances sociologiques et psychologiques diverses, qui se serait ajouté plus tardiuvement.) L’élection d’Obama est le “symbole” de cette mise en cause, appuyé sur tous les autres éléments de ce que Mark Potok nomme «a perfect storm» (l’immigration notamment, particulièrement des “Latinos”).
Le problème devient alors que le symbole considérable de cette “crise d’identité” est sous peu à la Maison-Blanche, qu’il sera chaque jour bien visible, sous les feux constants de l’actualité, avec les polémiques politiques qui vont avec et qui seront interprétées par certains selon l'argument racial, et cela pendant des années. Cette “crise d’identité” va donc être constamment exacerbée et il est à craindre que le malaise racial mis en évidence par l’augmentation des incidents ne fera que s’amplifier. Le pire peut survenir avec la constitution de groupes s’appuyant sur ce malaise et déclenchant des désordres racistes plus généraux. La perception de ces groupes, et peut-être d’un grand nombre de Blancs, risque de devenir qu’Obama a été placé à la tête des USA alors qu’il est issu d’un groupe minoritaire (peu importe dans ce cas qu’il ait été majoritairement élu par des Blancs, à cause de l’ambiguïté de cette élection, décrite ci-dessus). La situation risque de devenir d’autant plus instable que le sentiment des autres communautés (les Africains Américains, les “Latinos”) n’est pas du tout celui de l’apaisement mais celui d’une “victoire” sur la voie d’une reconnaissance loin d’être acquise, et cette voie vers la reconnaissance étant alors perçue comme gravement entravée par l’éventuelle réaction des Blancs.
La situation qu’aurait créée l’élection d’Obama pourrait être paradoxalement et tragiquement inverse de ce qu’on en a fait dans l’enthousiasme du 4 novembre. Elle aboutirait à la mise en cause fondamentale du modèle d’une société multiculturaliste, avec une résurgence du racisme “actif” et l’instabilité sociale qui va avec. Dans ce cas, la responsabilité centrale de cette évolution échoirait, une fois de plus, à cette société de la communication qui a outrancièrement appuyé sur le symbolisme racial de l’élection qu’elle a fabriqué pour l'occasion et pour satisfaire ses penchants idéologiques. Les salons politiquement et culturellement “avancés” sont effectivement satisfaits mais la réalité pourrait en sortir fortement aggravée; mais l’on sait que de celle-ci, la réalité, ceux-là, les salons, n’en sont nullement préoccupés…
Mis en ligne le 20 novembre 2008 à 07H57
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