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19 janvier 2006 — Sans doute suffira-t-il de citer un paragraphe du texte de William Pfaff du 12 janvier sur la puissance militaire US, — une puissance éléphantesque (« The Elephant's Hegemony »), dont on constate chaque jour les limites dramatiques, voire, et même surtout, l’effet pervers considérable.
Voici le paragraphe. (Il nous permet également de confirmer la mesure du chemin parcouru, à l’heure où l’on compare les coûts respectifs des guerres):
« Late last year the U.S. Command in Iraq made known that the road from Baghdad to its airport was finally secure from guerrilla attacks, or mostly so. This was 32 months after the invasion, and 28 months after the insurrection began in mid-summer 2003. In 1941-1944 it took 29 months for the United States to go from Pearl Harbor to the Normandy Landings. »
Pfaff s’intéresse au livre de Michael Mandelbaum (The Case for Goliath: How America Acts as the World’s Government in the Twenty-first Century ), dont on peut trouver une sorte d’“abstract” dans la revue Foreign Policy, dans le numéro courant, sous le titre de
Effectivement, à lire ces deux intéressants articles on peut mesurer la distance séparant les planètes qui abritent ceux qui discourent du monde virtuel dont le modèle le plus évident est celui d’un monde passé, et ceux qui se trouvent dans la réalité. Il nous semble difficile de trouver une illustration plus éclatante de cette irréalité du discours du stratège néo-conservateur et assimilé qu’est Mandelbaum, que ce passage où il brûle un cierge à la bienfaisante vertu stabilisatrice de la présence des troupes US à l’étranger. Hormis quelques vénérables allumés ici ou là, en Pologne ou dans quelque club très britannique et londonien sous le portrait de Churchill, qui peut raisonnablement imaginer, comme hypothèse majeure et comme hypothèse de bon sens, l’esquisse d’un futur conflit entre la Russie et ses voisins de l’Ouest, ou cette autre esquisse de l’Allemagne de Merkel mobilisant ses panzerdivisionen pour aller déterrer la hache de guerre dans les steppes russes? Tout cela, comme il se doit, entre deux réunions des amis de l’UE à Bruxelles, car on ne perd pas aisément les bonnes habitudes… A l’inverse, plaider l’aspect rassurant et apaisant du traité nippo-américain quand on voit les craintes qu’il fait naître de façon complètement artificielle à cause d’une perspective de conflit totalement fabriqué qu’il évoque, voilà qui confirme toutes les craintes imaginables à propos du goût de l’auteur pour cette même irréalité. Il nous semble que l’apparente logique du propos, la mesure du style font d’autant mieux ressortir l’hystérie du fond du jugement :
« For instance, U.S. military power helps to keep order in the world. The American military presence in Europe and East Asia, which now includes approximately 185,000 personnel, reassures the governments of these regions that their neighbors cannot threaten them, helping to allay suspicions, forestall arms races, and make the chances of armed conflict remote. U.S. forces in Europe, for instance, reassure Western Europeans that they do not have to increase their own troop strength to protect themselves against the possibility of a resurgent Russia, while at the same time reassuring Russia that its great adversary of the last century, Germany, will not adopt aggressive policies. Similarly, the U.S.-Japan Security Treaty, which protects Japan, simultaneously reassures Japan’s neighbors that it will remain peaceful. This reassurance is vital yet invisible, and it is all but taken for granted. »
Il n’y a rien à répondre de circonstancié aux calculs habiles de stratège de Mandelbaum. Il n’y a rien à répondre parce qu’une réponse accréditerait ce calcul comme étant une possibilité sérieuse, ce qu’il n’est pas. Pfaff le dit bien dans ce sens : « Michael Mandelbaum of Johns Hopkins University has recently posed what seems a logical question. If international society really objects to American hegemony, why has there been no effort to build a military coalition to oppose it? (This is in his new book, The Case for Goliath: How America Acts as the World’s Government in the Twenty-first Century).
» The question is from another age, when things were done that way. Conventional military coalitions are gone because the utility of military force is not what it was. Who would imagine going to war against the United States? If American “hegemony” is a problem, there are other ways to deal with it. »
La conclusion de William Pfaff va de soi, par conséquent. Elle se réfère simplement à l’évidence de la réalité, contre le virtualisme : « Political, economic, and social forces are what count most in the major nations today. These all are areas in which the U.S., despite its military power, is vulnerable. The American obsession with military power and a “war” against terrorism distracts it from what’s really important. It is not as powerful as it thinks. There are more internal than external threats to America’s integrity and real interests. »
Le problème que posent Mandelbaum et les autres de la même tendance est un problème de crédit et de position d’influence. Le problème est que ces gens, — les Mandelbaum & compagnie, — sont sérieux et qu’ils ne sont pas nécessairement stupides (nous devons garder sur notre bureau, comme universellement applicable, cette citation du beau-frère de Lénine, — Vladimir Illitch, dit “Volodia”, — dite en 1918 : « Volodia est très intelligent mais c’est fou ce qu’il peut dire comme bêtises ») ; le problème est que ces gens sont là où ils sont pour se faire entendre et qu’ils se font entendre bien plus que d’autres ; le problème, d’ailleurs, est que le pouvoir à Washington est peuplé de gens comme eux et que les uns et les autres se renvoient la même balle qui n’existe pas (un peu comme, dans Blow Up d’Antonioni, cette fameuse partie de tennis qui termine le film où les adversaires échangent des coups forcenés alors qu’il n’y a pas de balle).
Le phénomène est mis en évidence par Jim Lobe, dans un commentaire à propos du soi-disant antisémitisme de Chavez, canard lancé notamment par les néo-conservateurs, un article du Wall Street Journal, etc. Lobe fait remarquer que des interventions contre l’interprétation d’un Chavez anti-sémite ont été faites, notamment par Fred Pressner, président de la principale organisation juive vénézuélienne, et par diverses organisations juives américaines, dont le American Jewish Committee et le American Jewish Congress. Toutes ces interventions ont été signalées, notamment par la publication juive américaine The Rampart. Lobe poursuit: « Whether that will make any difference in the public or internal administration debate over U.S. policy towards Chavez is doubtful, however, as both the Journal and the Standard reach a much wider audience than The Forward and are particularly influential in key administration offices, notably that of Vice President Dick Cheney. The New York Times has reported that the White House receives 50 copies of the Standard, which is edited by William Kristol. »
On l’a lu, Pfaff termine en énonçant cette evidence de bon sens: « ...There are more internal than external threats to America’s integrity and real interests ». On pourrait suggérer une fois de plus l’idée que la plus grave de ces menaces internes, — si l’on se place, objectivement, du point de vue du système américaniste, — serait bien l’existence de la croyance, dans cette “élite” washingtonienne, qu’il y a des menaces extérieures contre l’Amérique plutôt que des menaces intérieures. Dans ce cas, la frange néo-conservatrice que représente Mandelbaum, loin d’être une excroissance monstrueuse qui usurpe son influence, ne fait que traduire à haute voix ce que tout le monde espère, tout bas, entendre effectivement. On comprend que cette tragique erreur de perception est ancrée dans le système lui-même, comme dans tous les systèmes de cette sorte ; on comprend d’ailleurs qu’elle est moins une “erreur de perception” qu’une défense par la perception faussée d’une situation acquise ; on comprend, pour finir, que, pour ce même système, reconnaître qu’il y a plus de menaces intérieures que de menaces extérieures, c’est reconnaître son échec, — et, comme ils disent, « failure is not an option ».