L’embargo européen vers la Chine, ou le “sparadrap transatlantique”

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L’embargo européen vers la Chine, ou le “sparadrap transatlantique”


30 mars 2005 —On connaît, dans les aventures de Tintin, la blague récurrente du sparadrap collant dont le capitaine Haddock ne parvient pas à être quitte, qui lui revient sans cesse, etc. L’affaire de la levée de l’embargo des armes européennes vers la Chine est en train de prendre cette allure pour les relations transatlantiques, — car c’est à ce niveau-là qu’est sa réelle importance, dès lors que les Américains, par la dramatisation qu’ils ont suscitée en février-mars, en ont fait une question stratégique majeure, à la fois sino-européenne et transatlantique. Aujourd’hui, on ne parvient plus à se débarrasser de ce “sparadrap”, et son effet devrait être grandissant, à la mesure de l’importance dont on l’a investi.

Autour du 20 mars, il y a eu une réaction brutale, d’inspiration britannique comme d’habitude, pour que l’Europe cède aux pressions américaines et écarte la décision temporairement (au moins jusqu’en 2006, après la présidence britannique de l’UE), en espérant que le temporaire devienne définitif. La presse d’inspiration anglo-saxonne a emboîté le pas. Le conformisme de nos cercles dirigeants et annexes a fait le reste. Le vote de la loi sur la sécession par la Chine continentale a fourni le prétexte qu’on attendait; en réalité, l’évolution était la conséquence de l’accueil glacial, hargneux, hostile, qu’avait reçu la délégation de l’UE partie le 13 mars expliquer au Congrès US le caractère bénin et innocent de la décision de levée de l’embargo. La réalité de l’hostilité washingtonienne avait glacé la sensibilité exacerbée des Européens rassemblés, comme d’habitude, autour de l’espérance d’une Amérique meilleure qui permît de retrouver la douceur et la chaleur des liens de la sujétion transatlantique traditionnelle, solide mais pas trop voyante. Des déclarations britanniques, — les Britanniques paniquent devant une présidence de l’UE (juillet-décembre) qui pourrait les désigner à la vindicte américaine s’ils devaient conduire des décisions qui déplaisent à Washington — avaient accéléré ce qu’on est bien obligé de désigner techniquement comme une “prise de conscience”.

Autour du 20-25 mars, l’affaire semblait entendue: la décision semblait renvoyée aux calendes grecques et certains pouvaient juger qu’il s’agissait d’une grande victoire américaine. Nous préférions parler d’une victoire tactique, temporaire par définition. Il est possible que nous ayons péché par pessimisme, d’un point de vue européen. Il est possible que le “sparadrap” de la décision de levée de l’embargo s’avère encore plus collant que prévu.

Quelques éléments épars.

• Les Chinois ont entrepris une campagne d’explication sur leur loi anti-sécession. Leur thèse est qu’on a bien mal lu cette loi, qui ne fait que transcrire un principe reconnu internationalement, qu’elle est utilisée artificiellement par “l’autre côté” (USA et Taïwan) pour accroître la tension dans la zone. (Et accessoirement, qu’elle est utilisée contre la levée de l’embargo.)

• Des sources européennes indiquent que « cette affaire de la levée de l’embargo interfère gravement dans des négociations fondamentales entre l’UE et la Chine, des négociations pour établir un partenariat stratégique alors que l’UE est devenue le premier partenaire économique de la Chine en 2004. On n’en sera pas quitte par une simple volte-face de type médiatique. L’affaire va revenir sur la table, il ne faut pas en douter, et dans son vrai contexte ».

• Dans ses plus récentes communications avec les services européens, le gouvernement luxembourgeois, qui occupe la présidence de l’UE jusqu’au 30 juin, insiste sur le fait que la décision de levée de l’embargo est toujours fermement à son agenda. C’est une indication que l’affaire est loin d’être enterrée, que cela plaise ou non aux Britanniques. (On voit confirmées avec cette affaire l’alacrité et la fermeté des Luxembourgeois, déjà évidentes avec les déclarations rafraîchissantes du Premier ministre Junkers avant le sommet Bush-UE des 21-22 février, lorsque Junkers observait qu’il était heureux que le ridicule ne tue plus, «  sans quoi les rues de Bruxelles seraient encombrées de piles de cadavres »; cela après la ruée des dirigeants européens pour avoir l’honneur insigne de pouvoir parler quelques minutes avec GW Bush. Les Luxembourgeois ont aussi montré leur activisme en bloquant une manœuvre britannique, téléguidant les pays de l’Est contre l’accord sur la PAC. Cela a été fait avec des mots sévères de Junkers, ministre des finances en plus d’être PM, à l’intention du Britannique Gordon Brown.)

• Enfin, les mêmes sources européennes observent qu’il va être bien difficile de continuer à accepter l’accusation US du risque d’exacerbation des tensions Chine-Taïwan, alors que les Américains rallument d’une façon incroyablement impudente l’incendie de la tension indo-pakistanaise en plaçant leur quincaillerie sans le moindre discernement, sinon l’arrogance de leurs évaluations. (Les mêmes qui ont annoncé que Saddam nageait au milieu d’une mer d’armes de destruction massive disent à propos des relations indo-pakistanaises “boostées” par les futures livraisons de F-16 et de F-18 : « But [a] U.S. official said “we don’t see any impact on the relevant military balances in the region.” The sale was to make Pakistan more secure, the official said. “It’s in the interest of India, Pakistan and the United States that Pakistan feels secure” »).