L’empereur est nu

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L’empereur est nu

29 juillet 2003 — Deux événements ont montré, en l’espace de quelques heures, à quel degré d’affaiblissement est tombée l’administration GW. La débâcle irakienne commence à peser de tout son poids pour faire de cette administration un corps politique aux abois, soumis à toutes les pressions et à toutes les influences, dépendant de montages divers, prisonnier d’événements qui ne se produisent même pas. Ce pouvoir est plus que jamais une mosaïque d’influences qui sont désormais antagonistes, contradictoires, qui exigent d’être rétribuées, protégées, etc. Le spectacle est singulier car jamais, certainement, on ne vit puissance auto-proclamée de cette taille dépendre d’un exécutif aussi inconsistant, divisé et de plus en plus gagné par l’impuissance.

• Il y a d’abord l’affaire James Baker. Dimanche, Baker était donné comme un nouveau membre important de l’administration, avec comme mission de regrouper les investissements en Irak. Sa mission était perçue comme un retour en force des modérés multilatéralistes et, en même temps, un certain désaveu du pro-consul US à Bagdad Paul Bremer. Hier, annonce brutale d’un changement complet : Baker ne viendra pas dans l’administration. En quelques lignes, le résumé de cette affaire qui a vu Bremer, soutenu par Rumsfeld, s’opposer avec violence à l’idée de faire venir Baker, idée qui était venue jusqu’à GW par l’entourage de Bush-père :

« Officials in several offices of the administration said last week that President Bush believed the Iraq reconstruction effort needed to be augmented, and some of these officials said that the administration hoped to persuade Baker to lend his stature to the effort.

» A senior administration official confirmed yesterday that Baker was one of several names on lists circulating in the administration as possible candidates to assist L. Paul Bremer, the U.S. administrator in Iraq. The official said Bremer created those lists.

(...)

» Over the weekend, officials said that when the idea of reaching out to Baker was made public, it quickly became clear that it would be seen as undermining Bremer and any such notion was discarded. »

• Deuxième affaire, celle des Saoudiens, furieux d’une section de 28 pages dans le rapport de 900 pages du Congrès sur l’attaque du 11 septembre 2001, les circonstances, les responsabilités, etc. Les 28 pages, qui sont “classifiées”, concernent le rôle et l’éventuelle responsabilité des Saoudiens dans l’attaque. Les Saoudiens sont furieux. Ils sont intervenus auprès de GW et ont obtenu une entrevue immédiate (aujourd’hui), juste après Sharon, du ministre saoudien des affaires étrangères. Le Washington Post, qui commente cette affaire, note sobrement : « The hastily scheduled White House visit, which will take place shortly after Bush meets with Israeli Prime Minister Ariel Sharon, demonstrates the level of Saudi anger and the kingdom's clout with the Bush administration. »

Ces deux affaires témoignent de plusieurs situations aujourd’hui au sein de l’administration GW Bush, toutes caractérisées par un diagnostic général : la pathétique faiblesse de cette administration, extraordinaire si on la compare à l’image qu’on prétend en donner.

• L’administration est totalement le jouet des groupes de pression qui la composent. L’épisode Baker montre à la fois l’isolement du président, la gravité de la situation en Irak et l’impossibilité de lui appliquer des remèdes radicaux, la puissance bureaucratique de groupes dont l’échec dans la réalité est par ailleurs patent (le groupe Rumsfeld-Breman).

• L’administration est totalement prisonnière de ses propres intrigues, des liens variés et nombreux que tous ses membres ont établis et continuent d’entretenir, dans différentes directions. La fureur saoudienne et la façon presque comminatoire dont les Saoudiens ont exigé et obtenu une entrevue avec GW Bush montrent également la faiblesse des membres de l’administration, y compris GW et la famille Bush, vis-à-vis des milieux saoudiens. Ainsi cohabitent des gens totalement liés à Israël (le groupe Perle, Wolfowitz, etc), des gens liés à l’Arabie Saoudite dans une mesure qui est à peine moindre, des gens liés à l’industrie pétrolière, d’autres à l’industrie de l’armement et ainsi de suite. Comment concilier ces liens contradictoires quand les déboires sur le terrain conduisent à un repli général de chacun sur ses intérêts particuliers ?

• On mesure la distance entre les projets, les plans, les rapports, les intrigues diverses, et la réalité. Qu’on compare le bruit fait, il y a un an, autour de l’affaire Murawiecz, dont on croyait pouvoir tirer l’idée qu’une attaque US contre l’Arabie était probable, juste après l’attaque contre l’Irak, — et la réalité, illustrée par l’entrevue avec GW exigée et obtenue séance tenante par les Saoudiens. Les vastes plans de “démocratisation” et d’américanisation du Moyen-Orient et du monde, spécialité des néo-conservateurs, doivent être appréciés à cette lumière.

• La soi-disant solution à ces différentes impasses, c’est le virtualisme, — l’invention d’une réalité à la place de la réalité. Cela ne marche qu’un temps. La situation qui s’installe pendant ce temps est pathétique. Aujourd’hui, comme le montre justement Richard Reeves dans le Herald Tribune d’aujourd’hui, l’administration est prisonnière d’événements qui n’ont même pas le temps de commencer à se produire (« Bush and Cheney, too, have become prisoners of events ») : prisonnière d’événements annoncés, et qui ne se produisent même pas à cause de cette impuissance quasiment “prémonitoire”. L’Empire, aujourd’hui, apparaît tel qu’en lui-même. Tout le monde peut constater que l’empereur est nu.