L’“encercleur” encerclé

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L’“encercleur” encerclé

19 octobre 2012 – Deux éléments significatifs, d’ordre militaire et technologique et en développement dans ces domaines, mais d’ores et déjà effectifs au niveau de la communications et donc d’ores et déjà transformés en équivalents postmodernistes d’évènements effectifs, affectent la situation autour de la crise haute en développement dans sa zone moyenne-orientale. Ces deux évènements liés aux crises syrienne et iranienne, touchent en réalité une zone géographique beaucoup plus large, englobant comme limites extérieurs la Syrie, Israël, la Turquie, la Russie (l’Arménie) et l’Iran, l’Irak éventuellement… Il s’agit donc d’un cercle stratégique, – désignation symbolique plus que géométrique, à la fois géographique, technologique et de communication, – qui vient se superposer, en l’annihilant notablement, au “cercle” existant autour de la crise syrienne et de l’agitation diplomatique et de provocation autour d’elle. C’est une avancée importante (décisive?) d’une “association” stratégique de circonstance, notamment entre la Russie, l’Iran et la Syrie. (… Avec à l’esprit, également, que l’Irak a sa place dans une recomposition de la situation stratégique où la Russie exerce une maîtrise impressionnante par rapport aux comportements des acteurs du bloc BAO qui ne cessent de dénoncer la Russie et de moquer son impuissance. [Pour l’Irak et la Russie, voir notre texte F&C du 12 octobre 2012.])

Pour exposer ce constat d’une situation nouvelle, on citera donc essentiellement deux évènements. Il s’agit d’évènements technologiques et militaires liés aux systèmes et à l’armement, mais qu’il importe d’appréhender du point de vue de leur signification de communication, au sens la plus large. Comme instruments de communication d’abord, avant leur fonction stratégique, ces évènements participent de l’évolution d’une situation générale caractérisée plus que jamais par la stupéfiante rapidité de l’Histoire, elle-même si rapide qu’elle en dévore l’actualité pour lui en substituer aussitôt une dimension historique, ou métahistorique, selon une appréciation très spécifique (essentiellement identifiée par la substantivation de ces évènements par une communication préliminaire à leur accomplissement) ; il s’agit de la description opérationnelle du phénomène que nous ne manquons pas de souligner à chaque occasion, de l’accélération de l’Histoire et de sa contraction très rapide en prolongements décisifs et fondamentaux qui en est la conséquence… Face à cette poussée de l’Histoire, les évènements secondaires, en général machinations dérisoires de sapiens à la dérive, sont de plus en plus vite identifiés comme tels, et laissés à leur absence totale de substance et d’importance.

• Le premiers des deux évènements que nous signalons pour cette phase supplémentaire d’accélération de l’Histoire, c’est l’affaire Ayoub, du nom du drone iranien à capacités furtives, livré au Hezbollah et lancé dans une mission d’observation au-dessus d’Israël, qui a surtout servi à démontrer la faiblesse de la défense aérienne d’Israël, – domaine absolument vital et prioritaire pour ce pays, donc faiblesse aux conséquences catastrophiques pour son équilibre interne et le crédit de sa politique de sécuruté. On voit (on lit) ce 19 octobre 2012, une évaluation de la situation de cette mission Ayoub, essentiellement des points de vue de la perception psychologique et de la communication. On lit une citation de l’expert israélien Alex Fishman, de Yedioth, qui est partisan d’une politique israélienne dure mais qui situe parfaitement le réel niveau de l ‘incontestable victoire Iran-Hezbollah que constitue l’affaire Ayoub, – victoire dans une “guerre” de communication livrée en tant que telle, où la psychologie joue un rôle fondamental de relais de cette forme d’hostilité, – et une psychologie nullement manipulée, mais bien dans un rôle opérationnel de substantivation des “évènements” de communication : «But in the language of the Iranians and Nasrallah, the fact that the unmanned aircraft penetrated Israeli airspace is a huge achievement on a psychological level. As far as they are concerned, this was the purpose of the mission.»

Enseignement principal et caractères de ce qu'on perçoit comme une victoire Iran/Hezbollah dans l’affaire Ayoub : Israël a perdu sa puissance de communication de constituer, face à ses adversaires, un sanctuaire de hautes technologies contre l’agression. L’Iran peut agir en Israël même, d’une manière ouverte, selon une méthodologie et des moyens qui sont le symbole même de la puissance du bloc BAO (la guerre des drones, jusqu’ici menée unilatéralement par le bloc BAO). Ici, on en est à nouveau dans le modèle “arroseur arrosé”, puisque les initiateurs de la guerre des drones s’en retrouvent être les victimes.

• Le second point est l’annonce, qui est un coup de tonnerre de communication stratégique (pour les oreilles attentives et bien disposées), du déploiement des derniers missiles sol-air russes à capacités stratégiques S-400 Triumph, sans doute dans la base russe en Arménie de Gyumri, qui est sur la frontière entre l’Arménie et la Turquie. Les Russes ont annoncé la nouvelle sans fioritures il y a deux jours, par la voix du porte-parole du District Sud des forces armées russes, d’au moins un régiment de S-400 qui sera opérationnel à la fin de l’année. (Voir le 17 octobre 2012, AirForce-Technology.com, la communication du colonel Gorbul, porte-parole.) La base du Gyumri fait évidemment partie du District Sud, et elle abrite notamment des MiG-29 et des S-300, – ces derniers, qui seraient alors renforcés ou remplacés par les S-400, d’une puissance nettement supérieures avec leur rayon d’action allant jusqu’à autour de 400 kilomètres pour les modèles en service (les affuts S-400 peuvent utiliser neuf versions différentes du missile).

Bien que classé dans la rubrique à la fois défensive et purement militaire des missiles sol-air, le S-400, par sa puissance, par sa réputation, etc., doit être considéré en termes de communication comme un système stratégique et politique ; c’est-à-dire qu’il exerce une influence directe sur la situation stratégique et politique, ce qui est complètement inédit pour un missile sol-air, mais commençait nettement à poindre avec son prédécesseur, le S-300. L’annonce du déploiement du S-400 a été aussitôt interprétée comme directement connectée avec les évènements en Turquie (titre de l’annonce de PressTV.com, le 18 octobre 2012 : «Russia installing S-400 anti-aircraft missiles to target Turkey»). Les Russes sont particulièrement à l’aise pour une éventuelle présentation du déploiement du S-400, puisqu’ils ont l’argument d’une mesure en rapport avec le déploiement en Turquie des stations radar des réseaux anti-missiles de l’OTAN BMDE ; mais, bien entendu, la destination de l’effet de communication du déploiement des S-400 est plus immédiate, comme l’exprime justement DEBKAfile le 17 octobre 2012… Bref, ce n’est pas un hasard si cette annonce russe vient quelques jours après l’interception d’un avion civil syrien puis d’un avion civil arménien par les Turcs, avec des Russes à bord de l’avion syrien.

«DEBKAfile's military sources say that, beside the issue of the NATO missile defense system to which Russia is firmly opposed, Moscow is relaying a double warning to Ankara on two additional scores: One, that any more interceptions of Syria-bound aircraft coming from Russia after the incident of Oct. 10 would bring forth a Russian military response; and two, that Moscow will not tolerate aerial intrusion in the Syrian conflict by Turkey or any other NATO member. This warning was directed specifically against the imposition of a no-fly zone over Syria which Turkey is in the process of enforcing… »

On se découvre alors avec une évolution remarquable du schéma stratégique de la région. D’une part, les Iraniens sont en train d’acquérir une profondeur stratégique considérable dans leur influence politico-militaire, en Syrie et sur la frontière israélo-libanaise avec le Hezbollah devenant désormais un épouvantail technologique en plus de sa réputation de virtuose de la G4G (“Guerre de 4ème Génération”) depuis l’été 2006 ; cela, alors que l'activisme du bloc BAO, avec la politique de menace permanente d’attaque d’Israël, devaient conduire à un isolement stratégique du pays préparant le terrain pour une frappe ultime. Au contraire, c’est l’Iran, qui est coutumier du fait, qui écarte démesurément les limites de son “isolement”, qui devient alors un véritable investissement de zones de protection pour lui-même, jusqu’à conduire des menaces de pression technologique sur la frontière même, et dans le ciel du pays qui menace depuis des années de l’anéantir avec des frappes aériennes : la profondeur stratégique d’Israël se dissout effectivement à mesure qu’augmente celle de l’Iran. L’affaire Ayoub constitue, avec l’affaire S-400 dont nous parlons ci-après, une des deux branches d’une sorte de tenaille technologique qui inflige au bloc BAO un véritable calvaire politique et stratégique de communication, – puisqu’aujourd’hui, c’est bien la communication qui “fait substance” des choses et des faits.

La Turquie, estimant pouvoir s’appuyer sur le soutien de l’OTAN et jugeant dans le chef fort impulsif d’Erdogan pouvoir jouer un jeu facile et gagnant, croyait occuper une position de maîtrise sur la Syrie, en tenant à distance l’Iran et l’Irak dans cette crise. La voilà prise complètement à revers par la pression russe avec ses S-400, en même temps qu’elle est pressée par une situation syrienne incertaine, le foyer d’agitation des “réfugiés” syriens sur son sol, les mauvaises humeurs complémentaires iranienne et irakienne, l’agitation kurde. Pendant ce temps, les USA sont aux abonnés absents ; l’Europe prépare son Prix Nobel et choisit la stratégie de la méthode Coué pour en finir avec sa propre crise, ce qui l'occupe considérablement, tandis que les séparatismes (Catalogne, Écosse, Flandre) la rongent à belles dents ; les pays du Golfe se mirent dans les miroirs de leurs palais des Mille et Une Nuits en se répétant qu’ils sont puissants et manipulateurs, et entretiennent des querelles internes, entre eux, à propos des interventions de soutien diverses qu'ils pratiquent (notamment en Syrie)… La Turquie est seule et encerclée.

Les S-400 russes représentent un point très particulier, ce pourquoi nous les baptisons “système stratégique et politique”. Placés où ils vont sans doute être, avec un rayon d’action très important, ils vont balayer un nombre important d’axe d’intervention de la région, parallèlement et d’une façon interférentielle avec diverses hypothèses et menaces d’attaque qui font partie de la dialectique courante du bloc BAO, – contre la Syrie, contre l’Iran notamment, et que ce soit de la part de la Turquie et d’Israël. On parle moins ici de l’efficacité opérationnelle que de l’“image” d’efficacité qui accompagne les missiles sol-air russes, déjà mise en évidence a contrario par la campagne diplomatique et d’influence frénétique conduite par Israël auprès de la Russie pour empêcher la livraison de S-300 à l’Iran. (Visites spécifiques de dirigeants israéliens à Moscou dans ce but.) Le S-400 apparaît comme un système d’une plus grande efficacité encore, et l’importance éventuelle de la base de Gyumri, dans un pays (l’Arménie) qui a un accès direct à la fois avec la Turquie et avec l’Iran, prend l’allure d’un pivot stratégique central à partir duquel un complet bouleversement stratégique peut se développer, ou dans tous les cas menacer (en termes de communication) de se développer, pour affecter toute la région.

L’ensemble de l’évolution en cours, encore une fois au travers des effets de perception qui contrôlent et dirigent le jugement, se résume dans le fait d’ouvrir la situation stratégique vers le Nord et le Nord-Est, c’est-à-dire vers la Russie. Tous les grands projets d’attaque ou d’investissement du bloc BAO (Syrie et Iran notamment) sont désormais soumis à cette hypothèque du poids russe pesant directement en un mode défensif puissant sur ces axes d’attaque, notamment à l’aide d’équipements militaires puissants et redoutés, aussi bien ceux qui se trouvent en place à partir de zones sous contrôle ou influence russe que d’autres pouvant survenir à partir de livraisons ou d’interventions russes. C’est-à-dire que la perception ouvre soudain le jeu à la possibilité d’interventions multiples des Russes (par pressions beaucoup plus qu’opérationnelles, certes) à partir de zones stables et sûres. Ces zones existaient déjà, bien sûr, mais l’affaire des S-400 substantive soudain cette situation et change la perception générale.

Comme L’arroseur arrosé

D’une certaine façon, il s’agit d’une sorte d’inversion stratégique… Les assiégeants (le bloc BAO, notamment Israël, la Turquie, en second rideau les pays du Golfe, la foule des pays de l’OTAN et de l’UE jacassant des invectives, etc.) qui encerclaient diverses zones, – la Syrie, l’Iran et le Golfe au travers des sanctions et des déploiements pompeux et bombastiques de forces navales, – se retrouvent eux-mêmes, de plus en plus, en position d’encerclés et d’assiégés. Cela se décrit en termes de communication, bien entendu, voir en termes purs de technologisme théorique avec démonstration opérationnelle (affaire Ayoub), et n’implique aucune situation stratégique fixe et conséquente, ni quelque conflit fondamental… Mais qu’importe, puisqu’il n’existe plus aucune position stratégique fixe et conséquente, que la stratégie est effectivement du type tourbillonnaire, extrêmement rapide, se fixant par à-coups sur un moment de communication plus remarquable que d’autres, et stratégie de plus en plus rétive à des situations conflictuelles classiques.

On n’insistera jamais assez, dans de telles circonstances très fluides et très insaisissables, inattendues et imprévues, qui se marquent décisivement en un instant et disparaissent aussi vite avant un nouvel épisode, mais en ayant imprimé un changement important, sur la structuration très particulière des évènements, avec le rôle de la communication et sur la rapidité stupéfiante de ces “évènements de communication”, qui suscite des circonstances absurdes… Alors que la Turquie est aujourd’hui “sous la menace” des S-400 russes (“menace” paradoxale puisque défensive, comme l’est un missile sol-air, mais disposant d’une image de puissance qui emporte l’évènement de communication jusqu’à en faire un facteur offensif de rupture dans la situation politique), elle négociait il y a trois mois l’acquisition du même S-400, lors d’une visite d’Erdogan à Moscou ! (Novosti, le 18 juillet 2012 : « …Erdogan devrait évoquer […] la livraison de nouveaux systèmes antiaériens russes S-400 à la Turquie dans le cadre d'un appel d'offres lancé par le pays en 2009… […] Erdogan […] proposera à Vladimir Poutine de présenter pour l'appel d'offres les systèmes S-400, et non pas les (plus anciens) S-300 actuellement retenus”, lit-on dans le quotidien Milliyet.») On doit comprendre qu’il y a eu dans le chef de la politique turque, vertueuse et triomphante il y a un an, une chute catastrophique parce que sa direction a cédé au vertige de l’“idéal de puissance” suscité par la “politique-Système de l’idéologie et de l’instinct”. Cette politique turque est devenue subversive et, derrière son apparence de puissance, extrêmement vulnérable ; et l’“encercleur” se laisse alors facilement piéger, et devient encerclé lui-même. (Quant à ses S-400, qu'elle ne désespère pas d'acquérir tout de même, puisque tout est fluide dans la situation générale, la Turquie devra tout de même attendre...)

“D’une certaine façon, il s’agit d’une sorte d’inversion stratégique”, mais vertueuse bien entendu, qui se manifeste dans cette circonstance de “l’‘encercleur’ encerclé”, exactement sur le modèle de l’arroseur arrosé… Il s’agit d’une situation (celle du bloc BAO et consort) qui a été établie par des affirmations de force brute, de dialectique sans substance, de “politiques” construite sur l’affectivité et exprimées dans ce que nous nommons la “politique-Système de l’idéologie et de l’instinct”. L’effet est effectivement une poussée de puissance, selon la logique de ce que nous nommons l’“idéal de puissance”, mais sans la moindre substance positive, sans aucune possibilité de devenir une politique essentielle dans le sens d’avoir une essence parce qu’appuyée sur des principes de légitimité et du respect des souverainetés. Cette situation est celle des menaces contre l’Iran et du siège de la Syrie tel que nous l’avons vu depuis fin 2011 ; non que l’Iran et la Syrie, et leurs politiques, soient nécessairement vertueux, mais les attaques contre ces deux pays et leurs politiques étaient et restent nécessairement subversives et dissolvantes, et donc nécessairement en-dessous des objectifs qu’elles prétendent investir.

Selon les circonstances, et lorsque les circonstances évoluent d’une façon favorable sans nécessairement être ni spectaculaires ni puissantes, l’effet finit par être d’un renversement complet, – une inversion vertueuse, justement… La cause en est simplement que la politique qui est opposée au relais du Système qu’est le bloc BAO, même si elle n’est qu’au stade de la communication, manifeste, elle, sa substance et son essence, et sa source principielle. Ni les Iraniens, ni les Russes n’ont une politique absolument exceptionnelle et suprêmement intelligente ; mais la “politique” à laquelle ils s’opposent est si basse, si pauvre, si insensée (absence de sens), et leur politique bien entendue et conçue, naturellement fondée sur des principes si fondamentaux (souveraineté, légitimité), qu’ils parviennent à des résultats de complète inversion. C’est une telle occasion (l’inversion vertueuse) qui s’offre aujourd’hui, ou qui poursuit sa révolution (dans le sens astronomique) après diverses étapes depuis plusieurs mois, qui voient l’épuisement de la politique-Système du bloc BAO, sous le poids considérable de sa propre sottise.

(On sait que cette “politique-Système de l’idéologie et de l’instinct” renvoie directement au “déchaînement de la Matière”, et peut être caractérisée d’un point de vue métaphysique par une extrême proximité du Mal ; d’où un facteur de sottise, une sottise presqu’ébahie à certains moments, absolument constant ; cela, selon la roborative remarque de René Guénon que nous ne manquons jamais de citer selon l’opportunité, et sans nous attacher à la problématique de la diversité des dénominations diverses de l’origine de la chose, – “Mal”, “diable”, etc., – pour ne pas troubler les esprits forts : «On dit même que le diable, quand il veut, est fort bon théologien ; il est vrai, pourtant, qu’il ne peut s’empêcher de laisser échapper toujours quelque sottise, qui est comme sa signature…» Pour le bloc BAO, fidèle à sa mission, on ne saurait mieux dire, la sottise à ce point semblant avoir, dans le chef de leurs politiques, la régularité presque exemplaire des besoins naturels bien régulés. Comme s’ils suivaient une cure, nos dirigeants BAO…)