L'enfer à venir de Moby Dick

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L’un de nos articles de foi, dans notre travail, est de nous accorder au constat que dans une structure du monde qui est devenue une structure crisique, c’est-à-dire par définition une “structure de l’imprévisible”, la prévision est par définition impossible parce qu’absurde. Cela n’empêche que le Rest of The World (hors-dedefensa.org) continue à faire des prévisions, et à long terme éventuellement et si possible. En un sens, cela rassure même si la prévision est catastrophique, parce qu’ainsi est posée l’idée qu’en 2030, en 2040, en 2050 (les projections à long terme), ils comprendront encore le monde où nous serons, – donc avec l’illusion d’éventuellement le contrôler…

Ce long préambule, qui contient certaines de nos idées favorites sur lesquelles nous reviendrons de plus en plus souvent, pour avancer cette autre idée que si les prévisions à long terme n’ont aucun intérêt dans leurs résultats pour notre réflexion, nous reconnaissons par contre qu'elles ont une importance capitale sur la pensée actuelle pour ceux qui tendent à en tenir compte. Ceux-là modifient éventuellement leurs choix et leurs politiques aujourd’hui en fonction de ce qu’ils jugent qui surviendra en 2040, même si cette prédiction n’a objectivement aucun sens si les remarques ci-dessus (“structure de l’imprévisible”) sont justifiées. Tout cela nous conduit à observer l‘intérêt malgré tout du long article de Fortune mis en ligne par CNN.New le 10 juin 2009.

L’article donne comme titre : « The next great crisis: America's debt», suivi par ce sous-titre: «At this rate, your share of the load will be $155,000 in a decade. How chronic deficits are putting the country on a path to fiscal collapse.» Enfin, l’entame de l’article qui, comme tout bon article de l’école anglo-saxonne de journalisme nous dit tout de la substance ce même article…

«Normally Paul Krugman, the liberal pundit and Nobel laureate in economics, and Paul Ryan, a conservative Republican congressman from Wisconsin, share little in common except their first names and a scorching passion for views they champion from opposite political poles. So when the two combatants agree on a fundamental threat to the U.S. economy, Americans should heed this alarm as the real thing. What's worrying both Krugman and Ryan is the rapid increase in the federal debt – not so much the stimulus-driven rise to mountainous levels in the next few years, but the huge structural deficits that, under all projections, keep building the burden far into the future to unsustainable, ruinous heights.»

Viennent ensuite tous les détails de cette “crise” avec ce qu’elle va provoquer, – crise que nous ne nions évidemment pas (normal, puisque nous sommes dans une structure crisique), mais dont les projections ne nous intéressent guère pour notre compte, toujours selon le “principe de l’imprévisibilité” qui gouverne désormais notre monde selon notre analyse. Par contre, nous mettant dans l’esprit des très nombreux planificateurs et spécialistes US, nous comprenons qu’à part les détails, et selon la logique de la remarque initiale (tous sont d’accord, des conservateurs aux libéraux, sur la réalité de cette crise), tous s’appuient sur les constats de la projection ainsi offerte.

Un passage nous intéresse particulièrement, parce qu’il symbolise l’une des orientations centrales qui est désormais dans l’esprits de tous ces gens qui acceptent la perspective. Nous soulignons en gras les mots qui nouds intéressent.

«It can't go on forever, and it won't. What will shock America into action is the prospect of fiscal collapse, which will grow more vivid each year. In 2008 federal borrowing accounted for 41% of GDP, about the postwar average. By 2019 the burden will double to 82% by the CBO's reckoning, reaching $17.3 trillion, nearly triple last year's level. By that point $1 of every six the U.S. spends will go to interest, compared with one in 12 last year. The U.S. trajectory points to the area that medieval maps labeled “Here Lie Dragons.” After 2019 the debt rises with no ceiling in sight, according to all major forecasts, driven by the growth of interest and entitlements. The Government Accountability Office estimates that if current policies continue, interest will absorb 30% of all revenues by 2040 and entitlements will consume the rest, leaving nothing for défense, education, or veterans' benefits.»

Voici donc ce qui est dans l’esprit des planificateurs. En 2040, au rythme actuel, il n’y aura plus un seul dollar disponible pour le Pentagone. (Nous nous attachons au Pentagone, bien que les autres postes aient autant d’importance, parce que ce Moby Dick-là est la clef de la politique fondamentale de sécurité nationale des USA, donc de l’orientation globale des structures d’hégémonie et de la justification intellectuelle et opérationnelle de la politique belliciste et de confrontation partout à l’œuvre.) Cela signifie que tous les planificateurs sont aujourd’hui devant le défi impératif de réduire tout ce qui peut l’être dans le budget fédéral pour tenter de faire mentir ces prévisions, en tentant de réduire les dépenses fédérales d’abord, – plutôt qu’en augmentant la ponction fiscale, parce que cette issue représente toujours, dans l’esprits des politiciens et quoi qu’il en soit de la réalité, la plus sûre recette pour la défaite électorale, – et que, par conséquent, consigne est faite d’écarter jusqu’aux limites de la rupture cette possibilité dans un mode massif.

Par conséquent, et nous attachant cette fois nous plus aux prévisions soi disant “objectives” mais aux réactions psychologiques des planificateurs aujourd’hui même, – ce qui reste le dernier domaine qui soit assez assuré et structuré parce qu’il s’agit du monde aussi complètement virtualiste et conformiste que le monde washingtonien pour imposer une réaction psychologique assez identitaire et identifiée, – on peut tenir comme acquis que tous les efforts des planificateurs se portent vers la réduction des dépenses budgétaires fédérales. Compte tenu des priorités diverses actuelles, essentiellement économiques et “civiles”, il est logique d’accepter l’idée que l’exercice QDR 2010 sur la planification des quatre prochaines années du Pentagone sera le premier à avoir comme objectif central la réduction réelle des dépenses du Pentagone. La note que nous publiions le 8 juin 2009 sur “Moby Dick à la diète” est largement confirmée, et confirmée la mission de Robert Gates qui est de réduire à tout prix le budget du Pentagone. Est confirmée également la tendance nouvelle qui est ainsi mise en avance de la réduction progressive, mais qui pourrait s’accélérer en raison de la dynamique inhérente aux réflexes américaniste, de la réduction des capacités impériales de projection et de possession des points d’appui et des engagements extérieurs qui constituent la structure hégémonique de l’“empire” de Moby Dick. Les chiffres, cette fois-ci d’une comptabilité qui serait d’ores et déjà mise en route avec la QDR, d’un budget DoD réduit à $440 milliards pour FY2013 (le dernier budget DoD du terme actuel de l’administration Obama), sont tout à fait acceptables. Ils seront, dès l’année prochaine, avec les résultats connus de la QDR, l’enjeu d’une terrible bataille avec les partisans du maintien à tout prix de la structure hégémonique.


Mis en ligne le 11 juin 2009 à 05H42