L'énigme américaine

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L'énigme américaine


Le 17 avril 2002 — Voici quelques notes sur un vaste problème, en fait le seul véritable problème de notre temps, qui est ce que nous nommons ici “l'énigme américaine”. Nous y invitent quelques textes, quelques événements, sans rapports avec les banalités sur-médiatisées qu'on nous présente comme les réalités du monde.

• Un article du député Ron Paul, un des rarissimes hommes politiques de Washington à refuser l'opinion enrégimentée de ses confrères du monde washingtonien. Ce que nous dit Ron Paul, c'est que la politique suivie aujourd'hui, ultra-interventionniste, est une trahison constante, absolue, sans la moindre discussion possible, de toutes les conceptions originelles américaines.

Ron Paul : « Last week I appeared on a national television news show to discuss recent events in the Middle East. During the show I merely suggested that there are two sides to the dispute, and that the focus of American foreign policy should be the best interests of America – not Palestine or Israel. I argued that American interests are best served by not taking either side in this ancient and deadly conflict, as Washington and Jefferson counseled when they warned against entangling alliances. I argued against our crazy policy of giving hundred of billions of dollars in unconstitutional foreign aid and military weapons to both sides, which only intensifies the conflict and never buys peace. My point was simple: we should follow the Constitution and stay out of foreign wars.

» I was immediately attacked for offering such heresy. We've reached the point where virtually everyone in Congress, the administration, and the media blindly accepts that America must become involved (financially and militarily) in every conflict around the globe. To even suggest otherwise in today's political climate is to be accused of ''aiding terrorists.'' It's particularly ironic that so many conservatives in America, who normally adopt an ''America first'' position, cannot see the obvious harm that results from our being dragged time and time again into an intractable and endless Middle East war. The empty justification is always that America is the global superpower, and thus has no choice but to police the world. »

Ce rappel des réalités fondamentales américaines est précieux à un autre titre. Nous considérons en général, aujourd'hui, que l'Amérique est unilatéraliste comme elle n'a jamais été ; c'est-à-dire qu'en substance, nous dirions du point de vue psychologique, elle nous apparaît en réalité comme totalement isolée du reste du monde. C'est une autre façon de dire : “isolationniste”. Nous peinons à dire “isolationniste” à cause de notre dévotion pour l'Amérique et de l'épouvantable réputation du mot, mais nous le pensons. Nous poursuivons de notre vindicte cette attitude actuelle de l'Amérique, que nous opposons à l'attitude internationaliste, tout à l'avantage de cette dernière.

Ron Paul nous rappelle que l'isolationnisme a une autre signification, qui est l'isolationnisme originel, celui de Washington et de Jefferson, absolument hostile à l'interventionnisme. Ron Paul nous indique par conséquent que le débat américain n'est pas entre isolationnistes et internationalistes mais entre isolationnistes traditionalistes (non-interventionnistes) et isolationnistes interventionnistes. Nous devrions constater le fait pour ce qu'il est et admettre qu'il s'agit bien là de la situation américaine, sans fard, telle qu'elle n'a jamais cesser d'exister. Ce que nous prenions pour l'internationalisme américain n'a jamais été que de l'unilatéralisme (de l'isolationnisme interventionniste) civilisée. Aujourd'hui, les experts de Washington ne prennent plus de gants, et nous pouvons observer la réalité sans fard : isolationnisme interventionniste contre isolationnisme traditionnel (lorsqu'il en reste encore).

• Un article étonnant du journaliste et reporter britannique Robert Fisk, de The Independent. Fisk est un reporter qu'on retrouve sur tous les fronts de notre époque, au Kosovo, en Afghanistan, entre Israéliens et Palestiniens, selon la saison. C'est l'un des plus célèbres de cette famille traditionnelle des “correspondants étrangers” de la presse britannique. Ses prises de position sont connues. C'est un adversaire farouche des entreprises impérialistes américaines, éventuellement anglo-saxonnes, éventuellement occidentales, un critique forcenée de l'attaque de l'OTAN contre la Serbie, comme de l'intervention de l'Amérique en Afghanistan, comme de l'opération lancée par Sharon contre les Palestiniens. Fisk est à la fois un reporter d'une grande audace et un commentateur d'un grand talent polémique.

Récemment, Fisk a été invité pour plusieurs conférences aux États-Unis, dans l'Iowa, en Californie. Il s'y est rendu avec une réelle appréhension. Si l'on s'en tient à ce qu'on dit du climat aux USA, du patriotisme exacerbé, des pressions dans ce sens, ses conférences risquaient d'être agitées, pleines de contestation, d'interventions agressives, etc. Fisk s'attendait à trouver un pays anesthésié, fixé dans une attitude de complète défiance du monde extérieur, assuré de son bon droit et de sa puissance. La surprise a été totale. Fisk rapporte plusieurs épisodes de son voyage dans un article de The Independent, publié aujourd'hui.

« And for the first time in more than a decade of lecturing in the United States, I was shocked. Not by the passivity of Americans – the all-accepting, patriotic notion that the President knows best – nor by the dangerous self-absorption of the United States since 11 September and the constant, all-consuming fear of criticising Israel. What shocked me was the extraordinary new American refusal to go along with the official line, the growing, angry awareness among Americans that they were being lied to and deceived. At some of my talks, 60 per cent of the audiences were over 40. In some cases, perhaps 80 per cent were Americans with no ethnic or religious roots in the Middle East – ''American Americans'', as I cruelly referred to them on one occasion, ''white Americans'', as a Palestinian student called them more truculently. For the first time, it wasn't my lectures they objected to, but the lectures they received from their President and the lectures they read in their press about Israel's ''war on terror'' and the need always, uncritically, to support everything that America's little Middle Eastern ally says and does. »

Si l'on se réfère à ce que Ron Paul nous dit plus haut, Fisk a rencontré l'attitude traditionnelle de l'Américain, qui commence à s'effrayer des délires washingtoniens et des folies des idéologues d'extrême-droite. Il a rencontré l'isolationnisme traditionaliste, version 2002, l'attitude de l'américanisme traditionnel, qui préfère la dimension continentale aux ambitions des aventures extérieures.

La question qui vient à l'esprit est de savoir si cette réalité américaine finira par pouvoir s'exprimer derrière le rideau de fumée de l'establishment washingtonien et des sempiternels sondages. C'est l'énigme américaine. En attendant, ce que nous disent ces diverses indications, c'est la fragilité américaine, la fragilité de l'engagement américain, de l'unanimisme américain, de l'image d'Épinal présentée par le système médiatique et le virtualisme washingtonien.