L’énigme Rumsfeld et les “conservateurs” déchirés

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L’énigme Rumsfeld et les “conservateurs” déchirés


12 avril 2003 — La question que nous posions le 3 avril dernier concernant le secrétaire à la défense Rumsfeld est bien sûr complètement d’actualité, et beaucoup plus vite qu’on ne pouvait attendre. C’est la question de savoir quelle politique Rumsfeld va suivre, lui qui occupe désormais une position de plus grande puissance qu’il n’a jamais eue auparavant.

A première vue, la question paraît futile tant il apparaît évident que Rumsfeld doive suivre la ligne ultra-dure, belliciste, d’occupation maximale des territoires extérieurs et de poussée interventionniste. Dans le texte que nous signalons plus haut, nous faisions référence à une analyse de Jim Lobe qui envisageait le contraire, estimant que Rumsfeld appartient à la catégorie des nationalistes. Lobe introduisait une nuance politique américaine bien réelle.

La politique que prônent les néo-conservateurs (Wolfowitz, Perle et les autres), qui a été adoptée par le parti républicain, n’est pas naturelle à ce même parti républicain. On s’en aperçoit, avec le durcissement spectaculaire et dramatique de l’opposition entre républicains dits “paléo-conservateurs” (les républicains conservateurs traditionnels qui se sont eux-mêmes donnés ce nom) et les néo-conservateurs, qui se disent conservateurs mais sont de plus en plus présentés comme des libéraux super-interventionnistes, venus de la gauche et de l’extrême-gauche (trotskiste). Un professeur de philosophie, William Rusher, constate qu’il y a aujourd’hui une “guerre civile” au sein de la droite conservatrice. Une “paléo-conservatrice”, Ilana Mercer, l’approuve dans un article publié le 9 avril — un texte où elle désigne ostensiblement les néo-conservateurs sous le nom de “sociaux-démocrates” globalistes, ou gauchistes (« global social democrats or rank leftists »). C’est un signe révélateur de la tension qui existe entre ces groupes.


« William Rusher of the Claremont Institute is right. There is an ideological war between Bush's social democrats, known as neoconservatives, and those of us who stand on the Old Right, namely paleoconservatives and paleolibertarians.

» Rusher, however, is not about to tell his readers what it is about the set of policies which neoconservatives support that makes them global social democrats or rank leftists. It's probably more accurate to speak both of modern-day liberals and neoconservatives as proponents of a highly centralized – and hence dictatorial – managerial form of government, except that, as we've seen in the past two weeks, the neoconservatives are far more dangerous to liberty, life and livelihoods. »


William Rusher se réfère notamment à un article de David Frum, le 7 avril dans National Review, attaquant violemment les “paléo-conservateurs” en lançant contre eux une accusation impardonnable pour des conservateurs patriotes : trahison. Rusher fait l’analyse que ce débat est fondamental, parce que son résultat va influencer la politique étrangère des USA pour les 30 prochaines années. Rusher estime que l’article de Frum a mis le feu aux poudres, que la droite conservatrice (ou ce qui est désigné comme tel puisque l’on tend à dénier aux néo-conservateurs le titre de conservateurs) va être désormais déchirée.


« Observers who keep an eye on the internal dynamics of the conservative movement registered a seismic event scoring 8.0 on the political Richter scale when the April 7 issue of National Review, the movement's leading journal, ran an eight-page “cover essay” by David Frum entitled “Unpatriotic Conservatives – A war against America.”

» Under that unappetizing heading, the magazine grouped some famous names and others well known to students of conservatism, including Pat Buchanan, Robert Novak, Llewellyn Rockwell, Thomas Fleming, Samuel Francis, Scott McConnell, Justin Raimondo, Joseph Sobran, Jude Wanniski, Taki Theodoracopulos and Paul Gottfried. If “unpatriotic” at first seems a strange word to apply to these people, Frum is determined to make it stick. His condemnation is sweeping and uncompromising:

» “Only the boldest of them as yet explicitly acknowledge their wish to see the United States defeated in the War on Terror. But they are thinking about defeat, and wishing for it, and they will take pleasure in it if it should happen. They began by hating the neoconservatives. They came to hate their party and this president. They have finished by hating their country. ... In a time of danger, they have turned their backs on their country. Now we turn our backs on them.” »


C’est dans ce contexte qu’il faut placer la question sur la position de Rumsfeld. En théorie, Rumsfeld semblerait plus proche des vrais conservateurs, voire des “paléo-conservateurs”, que des néo-conservateurs. Avant le 11 septembre 2001, il était partisan de retraits substantiels de forces US à l’étranger ; aujourd’hui, il reste effectivement partisan de retraits d’Europe et de Corée du Sud (des négociations sont en cours avec la Corée du Sud pour explorer cette voie). Ces mesures sont de la sorte que réclament les “paléo-conservateurs”. Sur la question du stationnement des troupes US en Irak, Rumsfeld a montré dernièrement quelques prudences, voire des réticences, laissant entendre qu'il faudrait qu'elles quittent le pays dès que l'essentiel de leur mission de reconstruction serait achevé.

Les menaces de Rumsfeld contre la Syrie semblent-elles, au contraire, le placer dans l’autre camp, celui des néo-conservateurs interventionnistes ? C’est possible. Rien n’est simple aujourd’hui, à Washington, où le pouvoir est éclaté en une multitude de tendances, de groupes de pressions, d’intérêts privés. Il faut pourtant savoir qu’existe cette inconnue-Rumsfeld et qu’elle se place à l’arrière-plan d’une querelle idéologique très intense, très haineuse, entre deux courants se disant conservateurs et s’excluant l’un l’autre. La fin de la guerre contre l’Irak décharge certains d’entre eux d’un devoir de réserve qu’ils s’étaient imposés, comme Patrick Buchanan, qui a soutenu la guerre contre l’Irak par devoir,

mais qui retrouve sa liberté critique.


« America stands on the threshold of military victory. But the fear and loathing of America in the Islamic world is on a scale none of us has ever known. President Bush has an opportunity to alter this harsh and hateful perception. If he will honor his commitment to rebuild an Iraq ruined by dictatorship, sanctions and war, if he will let the Iraqis choose their own leaders, if he will bring American occupation troops home at the earliest possible date, he can give the lie to the myth that America seeks an empire in the Islamic world.

» But he must first tell Woolsey, Perle & Co. that he, not they, runs U.S. foreign policy. It is all up to him. Republic or Empire. The president alone will decide. »