L’épuisante saga des S-300 russes pour l’Iran à son terme...

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L’épuisante saga des S-300 russes pour l’Iran à son terme...

On peut admettre que le Saker-US n’a pas tout à fait tort lorsqu’il fait une comparaison entre l’épuisante et décourageante affaire des Mistral français pour la Russie, transformée en catastrophique débâcle financière et de communication pour la France, et l’affaire absolument interminable, et essentiellement du fait de la Russie, du contrat des S-300 russes pour l’Iran : «It is often forgotten that what happened to Russia with the French Mistrals is very much a case of bad Karma coming back: just as Russia had already paid France for the Mistrals, so had Iran already paid Russia for the S-300 SAMs. Both Russia and France reneged after the contracts were signed and finalized. And just as France’s reputation will suffer from the Mistral fiasco, the Russian reputation will suffer from the S-300 fiasco.» (Le 17 août 2015 sur le Saker-US.)

Certes, depuis que cet article a été écrit, la nouvelle est venue de la signature finale du nouveau contrat et de la livraison décidée des S-300 “plus tard cette année”. (L’article du Saker-US a ajouté depuis le 17 août un update annonçant la nouvelle, avec un “ouf” de soulagement.) Si l’on prend cette forme de jugement, on dira de façon assez banale que, — au contraire de l’affaire des Mistral, — “mieux vaut tard que jamais”. Dans ce cas, et toujours selon cette logique, on observera qu’on attendait d’un gouvernement qui a montré toute sa habileté, toute sa fermeté, toute sa résilience dans une situation si difficile, qu’il fasse mieux que l’épouvantable direction française réduite à l’état de limace politique qu’on lui connaît, et qui épuise même le goût de l’invective chez les meilleurs polémistes. Selon ce point de vue, cette affaire des S-300 contrasterait terriblement avec l’habituel brio de la direction russe et montrerait le côté négatif engendrant la perception de la paralysie et de la faiblesse d’une prudence de comportement qui agit d’habitude comme une méthode de contrôle vertueuse de la politique générale dans un environnement fait de pression, d’une communication faussaire, des agressions provocatrices et ainsi de suite.

Mais, enfin, paraît-il, l’affaire est enfin (re)faite. Les principales informations à cet égard, s’en tenant aux seuls faits sur un ton neutre, sont retranscrites en français sur la chaîne privée israélienne I24newstv, le 18 août 2015, recoupant ce que nous dit RT en anglais le même 18 août 2015.

«Moscou et Téhéran sont parvenus à un accord sur la livraison des systèmes de missiles antiaériens S-300. L'accord est scellé “malgré certaines questions techniques qui restent en suspens”, a déclaré mercredi le vice-ministre russe des Affaires étrangères, Mikhaïl Bogdanov, à l'agence de presse RIA. “Dans l'état actuel des choses, le sujet est clos. Nous avons trouvé un accord sur la question des missiles avec notre partenaire iranien. Le reste ne concerne que quelques détails techniques”, a déclaré Bogdanov. La livraison des systèmes de missiles antiaériens S-300 par la Russie à l'Iran se fera plus tard dans l'année.

»Une source de haut rang au sein du ministère russe des Affaires étrangères a annoncé que le nombre exact de systèmes de missiles a été déterminé et se trouve inscrit dans un contrat déjà signé, selon RIA. “Il y en aura autant que le nombre mentionné dans le contrat,” a-t-il ajouté, répondant à la question de savoir si la Russie allait fournir à l'Iran quatre batteries de S-300 au lieu de trois, comme cela avait été précédemment annoncé par une source au ministère iranien de la Défense. [NDLR : source citée par Sputnik.News.]

»Le ministre iranien de la Défense, le général Hussein Dahqa, a précisé que selon les termes du nouveau contrat, Téhéran obtiendra la version modernisée des systèmes de missiles S-300.» (Il pourrait alors s’agir de la version dite Antei-2500 dont Sputnik.News annonçait le 25 février 2015 qu’elle avait été proposée à l’Iran en remplacement du S-300 standard, qui ne serait plus en production.)

Une autre façon de voir cette affaire est d’accepter l’idée que la Russie, et également l’Iran qui n’a finalement montré guère d’impatience ces derniers mois, ont agi en cherchant une stricte conformation à l’évolution des négociations sur l’accord nucléaire que chacun sait, plutôt qu’une conformation aux résolutions de l’ONU en vigueur qui, d’ailleurs, n’interdisent pas la vente de systèmes d’arme défensifs dont le S-300 fait partie. Disons qu’il s’agirait alors d’une sorte d’accord de respect de l’“esprit de la loi“ (si l’on peut parler de loi en l’occurrence) tel qu’il avait été interprété puisque la décision russe de 2010 de ne pas livrer des S-300 avait été prise dans le cadres des résolutions de l’ONU en vigueur. Les deux pays ont accepté la logique de l’attitude déterminée en 2010 pour éviter toute provocation, et ils ont attendu l’accord nucléaire de juillet, qui permet effectivement d’écarter nombre des législations anti-iraniennes sans courir le risque d’être accusé de provocation. Ce souci du légalisme est typiquement russe et ne doit pas nécessairement déplaire aux Iraniens, dont tout le jeu est d’établir de nouvelles normes internationales selon l’accord.

De ce point de vue encore, on peut alors développer une logique inverse à celle qui a d’abord été présentée, qui était notamment très défavorable aux Russes. Tactiquement, le fait d’attendre la conclusion de l’accord avec la levée de certaines sanctions et l’espèce de caducité de facto des résolutions de l’ONU qui, de plus, n’interdisaient pas la vente des S-300, aurait l’avantage de rendre d’autant plus illégale par contraste, toujours selon l’espèce d’“esprit de la loi” qui gouverne ce raisonnement, une décision US de refus de l’accord à cause d’un vote défavorable du Congrès en septembre prochain. Le but de la Russie et de l’Iran est, en l’occurrence, d’isoler complètement les USA si une telle décision était prise, pour pouvoir ouvrir complètement la voie de la reprise des relations normales entre l’Iran et les autres pays, et pour cela une conduite scrupuleusement conforme à la chronologie de l’accord est complètement nécessaire.

De ce point de vue, la chronologie russo-iranienne n’est donc pas mauvaise, même si elle exacerbe l’opposition à l’accord au Congrès. En effet, il est très probable que la signature du contrat S-300 va être utilisée par les adversaires de l’accord dans leur action de lobbying au Congrès actuellement en plein développement. Selon la logique qui nous gouverne, on devrait même s’en réjouir, puisqu’ainsi l’imbroglio washingtonien s'en trouverait accentué, avec un renforcement de l’opposition entre le Congrès et Obama, sans qu’aucun argument sérieux (la question de la vente des S-300 n’étant alors qu’un argument à la fois émotionnel et une simple resucée) ne vienne renforcer la position US si Washington était contraint de revenir sur son engagement dans l’accord nucléaire.

Cette interprétation, contraire effectivement à la première que nous avons présentée, est renforcée d’autre part par des indications très précises selon lesquelles l’Iran pourrait très vite enchaîner sur l’achat des S-300, avec l’achat d’avions de combat russes de type MiG-31, voire Su-35. Cette idée est largement substantivée par l’annonce de la décision qu’aurait prise la Russie de livrer à la Syrie six MiG-31 qui sont des avions de défense aérienne et d’interception à très hautes performances, dont la tâche devrait être en fonction de cette spécialisation de lutter contre l’établissement d’une no fly zone illégale sur une partie de la Syrie proche de la Turquie, par la Turquie et éventuellement les USA. Cette livraison semblerait indiquer en effet que la Russie est désormais dans un état d’esprit de ne plus hésiter à livrer des armements à leurs alliés du Moyen-Orient, ou aux pays dont ils partagent les intérêts (l’Iran). Dans le cas des MiG-31 livrés à la Syrie, une interprétation (celle de DEBKAFiles) est d’avancer que cette livraison est faite pour sauver Assad aux abois, mais le type d’avion livré, effectivement fait pour contrecarrer une no-fly zone qui a besoin d’établir une supériorité aérienne “sur zone”, n’est pas précisément le type d’armement qui sauverait un régime aux abois dans les conditions qu’on connaît en Syrie, qui serait surtout menacé par des pressions terrestres demandant des interventions air-sol qui ne sont pas du tout du type des missions assignées aux MiG-31. Une no-fly zone ne menace pas le régime Assad, elle menace l’intégrité du territoire de la Syrie de la part de pays excipant au contraire de Daesh d’un existence légale (la Turquie, éventuellement les USA) ; la défense des situations légales et d’intégrité territoriale est l’un des aspects essentiels sous-tendant l’intervention russe dans la région. Dans tous les cas, cette décision russe, si on la place en corrélation avec la décision de vente des S-300, pourrait effectivement faire penser qu’une ouverture est en train de s’effectuer pour la livraison d’armes défensives russes à l’Iran, dont font partie des avions de combat pour les missions de défense aérienne (le MiG-31 notamment). (Il n’est pas assuré que l’Iran ait besoin d’armes offensives, dans la mesure où ce pays a choisi de suivre, dans certains cas où il intervient à l’extérieur, des moyens de “guerre de basse intensité” ou de “guerre hybride”, qui ne demandent pas des systèmes de hautes technologies. Dans ce cas, l’Iran n’a pas nécessairement besoin de livraisons extérieures, il est quasiment autosuffisant selon la stratégie et les tactiques qu’il a choisies.)

Dans ce cas, l’évolution de l’affaire des S-300 prend un tout autre sens et s’avère plutôt être une excellente manœuvre tactique, avec l’avantage d’une implantation durable de la coopération en matière d’armements entre la Russie et l’Iran. On verra ce que la suite nous dira de l’une ou l’autre de ces interprétations.


Mis en ligne le 20 août 2015 à 14H02