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10045 juin 2014 – Un lecteur aimable et averti nous signale un article de George Monbiot, spécialiste au Guardian des “questions de l’environnement” au sens le plus large possible. L’article est publié le 27 mai 2014 sur le site Monbiot.com de l’auteur, le 28 mai 2014 dans le Guardian. D’une façon caractéristique, qui marque l’inquiétude réelle du chroniqueur d’une part, la “prudence” qu’il doit montrer lorsqu’il passe de son site au Guardian d'autre part, les titres diffèrent : radical sur son site («The Impossibility of Growth») où l’accès est surtout le fait de lecteurs conscient de la gravité de la crise fondamentale et catastrophique qui constitue l’essence du Système, plus technique dans le Guardian («It's simple. If we can't change our economic system, our number's up») où la diversité et l’abondance des lecteurs nécessitent une approche disons plus “aménagée”. (On notera tout de même que le titre “softened” du Guardian est suivi d’une sous-titre qui va au cœur de notre problème par rapport à la question évoquée, qui rencontre tout à fait notre perception du refus général d’accepter cette vérité catastrophique de situation : «It's the great taboo of our age – and the inability to discuss the pursuit of perpetual growth will prove humanity's undoing.») A part ces nuances, les deux textes sont similaires, sauf que la version du site de Monbiot est agrémentée de précisions scientifiques et techniques supplémentaires, venues en commentaires, concernant la parabole initiale qu’il offre à ses lecteurs.
• Parlons donc de cette parabole de départ. A partir d’un exemple chiffré théorique, il s’agit de la démonstration mathématique de l’impasse de la croissance. Répétons ici que l’exemple donné, qui manie des chiffres colossaux indiquant la puissance cosmique de l’impasse, est suivi (sur le site de Monbiot) d’interventions de scientifiques qui lisent Monbiot et apportent des correctifs à telle ou telle donnée. Il s’agit de précisions de variations d’évaluations scientifiques et aucune, bien entendu, ne dément cette “puissance cosmique de l’impasse”. La valeur démonstrative de la parabole reste intacte. (Nous avons supprimé les appels de note dans le texte initial. On les retrouve dans le texte [site] de Monbiot, ces notes renvoyant effectivement aux précisions et variations que nous avons signalées.)
«Let us imagine that in 3030BC the total possessions of the people of Egypt filled one cubic metre. Let us propose that these possessions grew by 4.5% a year. How big would that stash have been by the Battle of Actium in 30BC? This is the calculation performed by the investment banker Jeremy Grantham. Go on, take a guess. Ten times the size of the pyramids? All the sand in the Sahara? The Atlantic ocean? The volume of the planet? A little more? It’s 2.5 billion billion solar systems. It does not take you long, pondering this outcome, to reach the paradoxical position that salvation lies in collapse.»
• Aussitôt vient une substantivation de la parabole en un constat paradoxal («To succeed is to destroy ourselves»). On reconnaîtra aisément dans ce constat l’esprit de notre équation fameuse sur ce site, concernant l’activité du Système, – la bien connue surpuissance-autodestruction, – au plus le Système produit de puissance (dite “surpuissance” pour montrer que sa dynamique de puissance implique la fatalité de la volonté déjà productrice en un moment donné de plus de puissance qu’il n’en développe en ce moment donné), au plus le Système avance dans son processus d’autodestruction... «To succeed is to destroy ourselves. To fail is to destroy ourselves. That is the bind we have created. Ignore if you must climate change, biodiversity collapse, the depletion of water, soil, minerals, oil; even if all these issues were miraculously to vanish, the mathematics of compound growth make continuity impossible.»
• Monbiot poursuit encore par une autre remarque concernant la responsabilité spécifique et exclusive du mode de développement choisi dans cet enchaînement catastrophique. Il fait coïncider avec la technique de combustion des matières fossiles le début de cette pente nécessairement catastrophique (ou, paradoxalement, “ascension catastrophique“, ce qui suggère selon l’habituelle logique de l’inversion que le processus quantitatif vers le haut [toujours plus] est un leurre, un simulacre, puisqu’il entraîne en fait vers le bas, vers la chute, vers l’effondrement, – simplement plaçant la chute de plus haut, du type-“plus dure sera la chute”). Il rejoint ainsi notre appréciation de l’aspect catastrophique de “la révolution du choix de la thermodynamique” (ou Choix du feu, selon Alain Gras, qu’on retrouve intégré dans le phénomène du “déchaînement de la Matière” qui est un des fondements de notre approche générale de la situation du monde, présent également bien entendu dans la thèse géérale de La Grâce de l'Histoire.
«Economic growth is an artefact of the use of fossil fuels. Before large amounts of coal were extracted, every upswing in industrial production would be met with a downswing in agricultural production, as the charcoal or horse power required by industry reduced the land available for growing food. Every prior industrial revolution collapsed, as growth could not be sustained. But coal broke this cycle and enabled – for a few hundred years – the phenomenon we now call sustained growth.
»It was neither capitalism nor communism that made possible the progress and the pathologies (total war, the unprecedented concentration of global wealth, planetary destruction) of the modern age. It was coal, followed by oil and gas. The meta-trend, the mother narrative, is carbon-fuelled expansion. Our ideologies are mere subplots. Now, as the most accessible reserves have been exhausted, we must ransack the hidden corners of the planet to sustain our impossible proposition...»
• Monbiot met en évidence les caractéristiques du processus en cours, dans le cadre d’une accélération potentielle du saccage des ressources, avec toutes les conséquences, y compris la vanité et la fausseté des diverses “réformes” illusoires qu'on annonce régulièrement grâce aux “progrès” annoncés des technologies (l’augmentation de la consommation d’acier alors qu’on annonçait son déclin, l’augmentation de la production de papier alors que l’âge de l’informatique était censé le diminuer, etc.). Il s’agit simplement de l’incapacité de cette civilisation et du développement de la croissance par les moyens du Choix du feu de déterminer un nouvel équilibre, d’organiser l’harmonie et l’ordre d’elle-même, mais au contraire de sa tendance à produire exactement le contraire : déséquilibre, déstructuration et destruction des harmonies, désordre, avec l’évolution de la production toujours vers le maximum possible, sans souci des besoins réels et des effets, avec le gaspillage, la cupidité, l’inversion de la notion de prospérité au profit de l’inégalité antagoniste et radicale entre une hyper-minorité de riches et l’énorme majorité du reste évoluant entre frustration, révolte et pauvreté catastrophique. Il y a là l’effet d’une pathologie impossible à contenir, qui s’appuie sur une psychologie infectée par l’’hybris...
« The trajectory of compound growth shows that the scouring of the planet has only just begun. As the volume of the global economy expands, everywhere that contains something concentrated, unusual, precious will be sought out and exploited, its resources extracted and dispersed, the world’s diverse and differentiated marvels reduced to the same grey stubble.
»Some people try to solve the impossible equation with the myth of dematerialisation: the claim that as processes become more efficient and gadgets are miniaturised, we use, in aggregate, fewer materials. There is no sign that this is happening. Iron ore production has risen 180% in ten years. The trade body Forest Industries tell us that “global paper consumption is at a record high level and it will continue to grow.” If, in the digital age, we won’t reduce even our consumption of paper, what hope is there for other commodities?
»Look at the lives of the super-rich, who set the pace for global consumption. Are their yachts getting smaller? Their houses? Their artworks? Their purchase of rare woods, rare fish, rare stone? Those with the means buy ever bigger houses to store the growing stash of stuff they will not live long enough to use. By unremarked accretions, ever more of the surface of the planet is used to extract, manufacture and store things we don’t need. Perhaps it’s unsurprising that fantasies about the colonisation of space – which tell us we can export our problems instead of solving them – have resurfaced.»
• Cette évolution catastrophique est devenue le tabou absolu de nos réflexions et de nos supputations, dans le monde officiel du Système, dans un temps qui psalmodie hystériquement le triomphe du Progrès, de la liberté de parole, de la vertu civilisatrice. L’esprit est impuissant, alimenté par une psychologie infectée par une consigne absolue de silence sur l’inéluctabilité des conséquences catastrophique, et une raison subvertie toute entière tournée vers le déni, la terrorisation des dissidents de ces consignes, le refus absolu d’affronter la réalité. Le Système règne et dicte sa loi totalitaire.
«The inescapable failure of a society built upon growth and its destruction of the Earth’s living systems are the overwhelming facts of our existence. As a result they are mentioned almost nowhere. They are the 21st Century’s great taboo, the subjects guaranteed to alienate your friends and neighbours. We live as if trapped inside a Sunday supplement: obsessed with fame, fashion and the three dreary staples of middle class conversation: recipes, renovations and resorts. Anything but the topic that demands our attention. Statements of the bleeding obvious, the outcomes of basic arithmetic, are treated as exotic and unpardonable distractions, while the impossible proposition by which we live is regarded as so sane and normal and unremarkable that it isn’t worthy of mention. That’s how you measure the depth of this problem: by our inability even to discuss it.»
Bien entendu, nous sommes coutumiers de ces divers thèmes qui renvoient à des références que nous utilisons largement dans notre thèse principale de La Grâce de l’Histoire (la référence de l’anthropocène, la référence du livre d’Alain Gras Le Choix du feu, etc., avec de nombreuses interventions sur ce site dans ce sens, – notamment, parmi les plus récentes, le 4 novembre 2013 et le 21 novembre 2013). Comme nous le disons souvent, il s’agit d’une question qui dépasse d’une façon décisive, véritablement d’une autre nature, les polémiques comme celle du global warming et de l’action humaine dans ce phénomène (voir, par exemple, le 18 juillet 2011). Il ne s’agit rien moins que de l’essence, de l’origine, du sort ultime de notre civilisation en tant qu’elle est devenue “contre-civilisation” depuis le début du XIXème siècle, et qu’elle a enfanté un système qui accomplit sa mission destructrice, – dito, “le Système” dans notre arsenal dialectique pour marquer sa singularité extraordinaire, sa dimension eschatologique, la nécessité d’en juger d’un point de vue métaphysique, etc.
On comprendra par conséquent qu’à la fois nous jugions nécessaire de nous attacher à ce texte de Monbiot qui fournit quelques arguments/données de plus pour enrichir la mise en évidence du même phénomène, et qu’à la fois nous rappelions effectivement que tous ces faits et jugements sont connus, référencés, irréfutables. Mais il s’agit d’un phénomène d’une telle ampleur, qui dépasse naturellement la seule histoire et les seules matières terrestres, que la répétition dans l’exposition des données et des réalités du problème est non seulement une vertu dans ce cas, mais une nécessité vitale de communication, un devoir impératif, etc.
Nous voudrions nous attacher ici à un aspect particulier, ou plutôt une hypothèse particulière, représentant une opérationnalisation du phénomène décrit par Monbiot dans un domaine qui nous est très familier et que nous jugeons essentiel. Il s’agit, et cela ne surprendra certes pas nos lecteurs, de la dimension psychologique. Notre thèse générale à cet égard est que les conditions de la crise générale du Système dans sa plus haute dimension, telles que les décrit Monbiot notamment, se font chaque jours plus pressante et exercent, même si elles semblent bloquées dans le champ de l’expression primaire par les consignes du Système, une pression considérable, qui ne cessera d'augmenter.
Depuis 2008, nous sommes entrés dans une période nouvelle. Nous avons observé cela, notamment au niveau de l’unification des politiques selon les pressions du Système, en ce que nous avons nommé politique-Système, s’exerçant essentiellement sur le “bloc” des pays complètement sous l’empire du Système, dit bloc BAO. Ce que nous observons dans le chef du Système, malgré ses manigances diverses, que ce soit sa politique expansionniste, ses falsifications systématiques des données statistiques, sa propagande de communication, ses projections optimistes sur les diverses “reprises”, la complète soumission aux consignes de la presse-Système, c’est sa complète impuissance à seulement nuancer la sensation d’une crise extrêmement puissante, extrêmement indéfinie, insaisissable, irréductible à une catégorie ou l’autre, etc., par conséquent une crise dont nul ne peut se rendre maître et qui devient la matière même des relations internationales, des situations intérieures, voire des comportements et des humeurs. (C’est ce que nous nommons également infrastructure crisique.) Par ailleurs, depuis 2008 également, les conditions de dégradation de la situation, et d’alimentation de la crise par conséquent, ont vu leur développement accélérer à une très grande rapidité, suscitant des situations de plus en plus incontrôlables, accroissant le désarroi des esprits à mesure.
Nous pensons qu’il faut développer des hypothèses explicatives notamment de cette sorte de phénomène, en fonction d’une pression psychologique extrêmement forte, qui oriente le jugement, l’“impression”, dans le sens effectivement d’une crise insoluble par les moyens normaux, ceux du Système, mais aussi, à la limite, ceux des recettes courantes de type antiSystème qui opposent au Système des propositions réformistes, voire révolutionnaires, mais opérant toujours dans les champs contrôlés par le Système. Cela signifie que nos psychologies subissent la pression d’une perception alliant dans le sens d’une crise sans précédent d’une part, d’une crise insoluble tant que subsiste le Système qui régente tout d’autre part. Selon nous, l’explication de la force de ces pressions se trouvent dans la puissance et l’activité extraordinaires du système de la communication, qui entretient ce qu’il nous est déjà arrivé de nommer “un bruit de fond” exprimant cette probabilité de la crise générale, et les caractères extraordinaires de cette crise générale.
Nous ne disons pas que nous comprenons nécessairement de quelle crise il s’agit (celle qu’explique Monbiot). Certains acceptent cette explication parce qu’ils la cherchent et la trouvent, parce qu’ils y sont inclinés, etc. ; d’autres, – les autres, – repoussent l’explication, par idéologie, par scepticisme déstructurant, etc. ; mais tous sont touchés par l’intensité de la pression. Cela fait qu’il n’est pas nécessaire, ni de lire Monbiot (ou dedefensa.org dans certains articles), ni de l’accepter, pour subir l’influence puissante et profonde de la crise par le biais des pressions que subissent les psychologies. Le “bruit de fond” fait le reste, en maintenant les effets de cette pression sur les psychologies. On aboutit finalement à une situation où tout le monde sent le poids de la crise, même sans explication, même en état de déni de la crise, etc. La crise de la civilisation, la crise du Système (ou crise d’effondrement du Système pour nous), pèse absolument de tout son poids, sans avoir besoin ni de se justifier, ni de s’expliquer, ni de susciter des recherches sérieuses pour tenter de trouver un substitut au Système.
Il n’est nullement assuré que cette situation soit la conséquence seulement d'une incapacité ou d’une impuissance de notre part (pour ceux qui, effectivement, repoussent la perspective, plus ou moins consciemment). «That’s how you measure the depth of this problem: by our inability even to discuss it», écrit Monbiot (“C’est là la mesure de la profondeur de ce problème, dans notre incapacité même d’en discuter”) : en même temps ou même plutôt qu’“incapacité... d’en discuter”, nous pourrions dire : “peur... d’en discuter”, “terreur... d’en discuter”. Cette hypothèse est d’ailleurs extrêmement compréhensible, dès lors qu’on est assuré, ou même simplement que l’on sent et devine que cette crise ne peut être résolu par les moyens humains ; nous pourrions même avancer l’idée que la “peur” et la “terreur” de discuter de cette crise immense ont largement progressé ces dernières années, à mesure que la pression de cette même crise s’exrrçait sur nos psychologies.
Plus encore, nous élargirions l’hypothèse en observant que ces mêmes pressions, avec leurs effets sur les psychologies, constituent la raison essentielle du désordre qu’on observe chaque jour, en constante augmentation, dans les diverses politiques en cours qui se transforment toujours plus en non-politiques, en décisions absurdes, qui épousent avec une constance et une impudences incroyables des narrative absolument grotesques, qui s’appuient sur des analyses faussaires, qui se justifient par des simulacres de stratégie, etc., – l’Ukraine étant le dernier exemple en date... De même, le triomphe des comportements hystériques où l’affectivité disperse tous les restes de la raison, des attitudes maniaco-dépressives, des comportements impliquant une infraresponsabilité des différents inspirateurs, concepteurs et acteurs des pseudo-politiques que développe principalement le bloc BAO, pourraient être mis au compte de ces pressions considérables sur les psychologies. On se trouverait alors en présence d’un cycle complet particulièrement intéressant, une sorte de Full Circle de l’effet crisique fondamental ; la crise repoussée d’une façon inconsciente revenant indirectement par le biais des pressions qu’elle exerce sur les psychologies, provoquant au-delà des effets d’accélération du désordre des politiques ; ce désordre nourrissant lui-même, à son tour, la crise générale dans ses effets divers...
Notre conviction est effectivement qu’un événement d’une telle ampleur ne peut rester cantonné à ses constituants terrestres, physiques, etc., jusqu’à se trouver interdit dans ses manifestations nécessaires. En effet et bien entendu, nous attribuons nécessairement une dimension métahistorique à cette crise, et il importe alors que ses effets se manifestent d’une façon ou d’une autre dans les événements terrestres. Le biais des pressions sur la psychologie nous semble l’explication la plus évidente et la plus logique, ce qui permet effectivement de comprendre également le caractère totalement désordonné, insensé en même temps qu’incontrôlé, des politiques conduites particulièrement par le bloc BAO, le centre humain le plus complètement investi par le Système.
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