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16 avril 2008 — Gordon Brown a certes montré un certain enthousiasme en embrassant Clara Bruni sur diverses joues et cet enthousiasme le poussa à proclamer avec le mari de Clara “l’Entente formidable”. Cela ne suffit pas pour en faire un personnage sexy. Martin Walker, de UPI, rapporte le 15 avril, que Brown a rapidement été surnommé par l’entourage de Angela Merkel, elle-même référence pourtant notable en matière d’être sexy, “l’ermite de Downing Street”:
«Brown, while witty and engaging in private, often seems to freeze in front of the TV cameras and come across as a dour and grumpy figure. In Berlin, aides to German Chancellor Angela Merkel have nicknamed him ''the hermit of Downing Street'' from his evident dislike of traveling to Europe for meetings with his partners in the European Union. Brown lacks the easy charm of Tony Blair that saw him come smiling through a number of setbacks.»
Brown s’est envolé la nuit dernière pour une visite de la plus haute importance de trois jours aux USA, qui s’avère avant de commencer être une catastrophe en relations publiques. La fine équipe de Downing Street assure que la nouvelle selon laquelle cette visite aurait lieu en même temps que celle du Pape Benoit XVI dans ces mêmes USA n’était pas connue des deux parties lorsque fut décidée la visite de Brown. Est-ce bien sûr (de la part des Américains)? Sinon, on soupçonne sans malice excessive que les gens de la Maison-Blanche ont dû prendre un malin plaisir à découvrir la coïncidence de date, lorsque furent choisies avec le Vatican les dates du voyage de Benoît XVI. La coïncidence fut cachée aux services du Vatican (qui auraient peut-être insisté pour qu’on changeât les dates, pour ne pas gêner Brown) jusqu’à ce que le voyage ait été conclu. Brown bénéficie à Washington d’une solide inimitié pour cette tare fondamentale qu’il ne montre pas l’entregent dans la servilité dont son prédécesseur ne fut jamais avare. Bref, il n’a pas le “body language” du type aligné et formidablement heureux de l’être.
Quand elle en parle (le voyage est souvent renvoyé dans les pages intérieures), la presse britannique daube, plutôt mi-figue mi-raisin, sur cette malencontreuse coïncidence, où il apparaît que “l’ermite” devrait s’effacer dans l’anonymat, au milieu des pompes et circonstances de la visite du Souverain Pontife. En général, la discrétion accompagne ce voyage qui aurait dû être flamboyant, tant on a conscience que la coïncidence des visites pourrait bien être une humiliation de circonstance fort bien montée à Washington.
Le Guardian, mi-ironique, mi-attristé, consacre aujourd’hui quelques paragraphes à cette malencontreuse rencontre qui n’aura pas lieu.
«He's been on the front pages of newspapers and the focus of fevered public attention for days. He will appear at baseball stadiums and address the United Nations.
»But the world leader whose visit has America transfixed is not the man from Kirkcaldy. It's the cleric from Bavaria causing all the commotion, and it appears inevitable that he will upstage Britain's prime minister.
»Gordon Brown flew into the US last night hours after Pope Benedict XVI arrived for his first visit.
»Although Brown's three-day trip has been billed by Downing Street as one of the most important of his premiership, it is being swamped in the US by the coverage of the Pope's visit.
»The pontiff has already had thousands of column inches in the US papers – and been on the front pages of the New York Times and Washington Post since last week — while Brown's visit has yet to warrant a mention in either publication. Last night's TV news was dominated by the Pope's admission that he was “deeply ashamed” by sexual abuse scandals in the US Catholic church.
»British officials disclosed yesterday that they had been unaware of the Pope's plans to visit the US when a date for meeting George Bush was fixed. It was days before they discovered that it would coincide with a papal visit, but by then it was too late. An official said: “We knew early on that the visit clashed with the Pope. There was no suggestion of moving it.”
»The Pope is due to meet Bush at the White House this morning, an event to be attended by thousands, while Brown is scheduled to visit tomorrow.
»The biggest diary clash will be on Friday, when Brown is to make a speech on foreign policy, calling for the reshaping of international institutions such as the UN. But the prime minister's speech in Boston is in danger of being largely overlooked as the Pope, in an unfortunate piece of timing, is addressing the UN general assembly on the same day. An official tried to put a brave face on it yesterday, claiming publicity was not necessarily the most important criterion and that Brown's speech would be read by foreign policy specialists.
»The prime minister gave a television interview to CBS, which aired a much shortened version last night…»
Brown n’a pas de chance. Il succède à un Premier ministre, soi-disant ami, qui avait le génie de la publicité. Blair a accumulé, ces dernières années, un amoncellement de catastrophes dont il s’est sorti, sourire aux lèvres et flamberge au vent, applaudi par la communauté internationale esbaudie. Il a tellement bien réussi à bien s’en sortir après tant de catastrophes qu’il est effectivement l’archétype du dirigeant postmoderne. Brown hérite de toutes ces catastrophes (certaines auxquelles il a prêté son concours, il ne faut pas non plus s’en dissimuler), sans le brio pour les faire passer pour des triomphes.
Martin Walker détaille, dans son article, tous les problèmes auxquels le nouveau Premier ministre est confronté. Il termine sur l’affaire Yamamah-BAE, qui, avec le jugement infâmant de la Haute Cour, vient de revenir vilainement dans l’actualité, et dont les suites sont pour l’instant accompagnées d’un silence révélateur (quand l’affaire est sérieuse pour l’équilibre du système, la plume du journaliste londonien retient son encre, – or, elle l’est, au point où l’ancien ministre de la justice Goldsmith, qui ordonna l’arrêt de l’enquête du SFO, supplie ce même SFO de faire appel contre le jugement de la Haute Cour). L’énoncé qu’en fait Walker marque bien l’enchaînement de la responsabilité complète de Tony Blair aboutissant à la placer Gordon Brown devant un problème extrêmement épineux; après avoir rappelé les péripéties du scandale, l’enquête du Serious Fraud Office (DFO) sur le point de conduire à la mise en évidence des responsabilités, Walker écrit:
«…Blair wrote a letter to Attorney General Lord Goldsmith to warn of “negative conséquences” for national security if the [SFO] inquiry continued.
»It was dropped. But it may reopen after last week's thundering report by the two judges who accepted private lawsuits demanding a judicial review of the process. This represents a new headache for Brown, at a time when he least needs one, when the Conservative opposition is baying at his heels, his own supporters are demoralized and a new election is less than two years away.»
Gordon Brown n’était pas fait pour devenir un Premier ministre chargé d'autant de responsabilités internationales, et engagées d’une façon catastrophique, que celles que lui lègue son prédécesseur. Il aurait dû être plutôt un Premier ministre de repli sur les affaires intérieures. Mais il ne le peut pas. Il doit assumer le legs de son prédécesseur. Puisqu’il le fera contraint et forcé et sans brio, on peut s’attendre à une politique étrangère qui se voudrait sans trop de changement sur le fond mais qui le sera radicalement dans la forme. Aujourd’hui, la forme compte énormément et peut entrainer des changements de fond importants.
La réalité qui est en train de prendre forme avec Gordon Brown est une hostilité grandissante de Washington à son encontre. Elle le sera encore plus lorsqu’il apparaîtra évident à ce même Washington que la seule innovation de politique étrangère que Brown voudrait apporter dans l’axe transatlantique-Europe est une amélioration des rapports avec Moscou.
Le cas Brown présente donc une possibilité intéressante: une dégradation des relations entre les USA et le Royaume-Uni du fait des USA principalement, essentiellement à partir de jugements de forme et d’apparence, plutôt par inattention, indifférence et par un certain dédain. Dans une société virtualiste et complètement médiatisée, ce ne serait pas une réelle surprise que des sentiments si futiles déterminent une orientation politique. D’autre part, les multiples difficultés internationales auxquelles Brown doit faire face ne donnent guère à l’option d’un certain repli sur soi (disons, un “modest isolationnism”) ni beaucoup d’intérêt ni beaucoup d’attrait, sans parler de la seule possibilité de la conduire à bien. La convergence de ces différents courants, ajoutée à une tentative de relance d’une politique vers le continent (autant avec la France qu’avec la Russie), pourrait conduire Brown à accentuer une tendance européenne, par simple élimination des options alternatives.
De toutes les façons, le Royaume-Uni est en train de sortir de l’ivresse blairiste par la petite porte, conduit par un “ermite“ ronchonnant qui n’a vraiment plus le goût des aventures. Encore une fois, et encore plus avec une puissance financière en pleine déroute, le principal atout en Europe du Royaume-Uni reste une affirmation traditionnelle au niveau de la puissance militaire, malgré les terribles contraintes imposées par les folies blairistes dans ce domaine. Là aussi, par défaut, les Britanniques peuvent être tentés de jouer un jeu à la fois européen, et de la défense européenne ; sans enthousiasme ni ambitions excessives, parce qu’il faut bien faire quelque chose… Un choix d’époque.