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356529 avril 2021 – On a le cliché facile, n’est-ce pas, dans des temps si désespérants et incontrôlables. La presseSystème et ses cohortes, confrontées aux épuisantes litanies fallacieuses et trompeuses, modèle-Covid19, doublées des escarmouches épuisantes sur l’islamogauchisme, se sont plongées avec un délice non dissimulé dans un bain de Jouvence que je dirais d’essence quasi-religieuse, quelque part entre une messe de Bach et une chanson gaillarde de Georges Brassens.
Ce fut la Réincarnation, ou même peut-être bien la Résurrection : l’American Dream est de retour (ou “back again”, si vous voulez). Qu’il ait pris, à presque son 100è jour et en retenant ses toussotements pour me permettre de faire mon titre, la bouille nette et fraîche de “Ol’White Joe”, mesure l’ampleur formidable du désarroi désespéré où se trouve notre classe des élitesSystème, – ici même (presque), dans le pays de Jeanne d’Arc, de Napoléon et de Clémenceau. Quoi qu’il en soit, pour les théologiens du Système, le problème effectivement théologique reste entier : était-ce FDR réincarné, ou plus encore, FDR rené comme Christ Lui-même ?
A ce point, et pour déblayer le terrain de l’explication de mon intervention, voici quelques lignes présentant les éléments d’une rationalité exacerbée sur l’effet qu’a produit, dans nos contrées, cette apparition miraculeuse :
« Il suffisait de lire le portrait élogieux de ‘L’Obs’ jeudi dernier pour mesurer l’ampleur du phénomène : la presse française a des yeux de Chimène pour Joe Biden. Et si le sauveur de l’Amérique, engluée dans la crise du Covid-19 depuis un an, était simplement sous nos yeux ? Nullement avare en panégyriques, l’hebdomadaire de gauche voit dans le président démocrate l’heureux élu, l’incarnation du renouveau des Etats-Unis. Après quatre années de trumpisme, accusé d’avoir plongé la première puissance mondiale dans les limbes de la dictature et des “fake news”, l’histoire est écrite : Joe Biden sonne enfin le tocsin de la descente aux enfers de la plus grande démocratie. A tel point qu’un surnom commence à faire florès dans la presse française : le “nouveau Franklin Delano Roosevelt”. L’origine de ce sobriquet flatteur trouve-t-il sa source dans ce qui a été l’un des premiers réflexes du nouveau locataire de la Maison Blanche, à savoir l’installation du portrait du 32e président américain dans le Bureau ovale ?
» “FDR” est resté dans les consciences américaines comme le catalyseur de la relance économique des Etats-Unis, durement impactés par la Grande Dépression de 1929, via la mise en place d’un interventionnisme économique et l’instauration du New Deal, des subsides économiques destinées à redonner du pouvoir d’achat aux ménages américains. Un hommage on ne peut plus symbolique de la part de Joe Biden, à l’heure où l’interventionnisme économique revient en force à gauche dans un pays encore marqué par les années Reagan, détracteur d’un Etat-Providence perçu comme un obstacle. En ce sens, Joe Biden prévoit l’imminente mise en place d’un “Build Back Better” (“reconstruire mieux” en anglais), soit une reconstruction écologique raisonnée, considérée par certains comme un “Green New Deal” – plan de relance vert – qui devrait injecter près de 2 300 milliards de dollars dans l’économie, en plus des 1 900 milliards de son plan de “sauvetage” économique. Des mesures d’investissement colossales comparables à celles entreprises par “FDR”, mais qui pourraient rapidement être reléguées au rang de vœu pieu, à l’heure où la dette américaine atteint 102% de son PIB… »
Je vais tenter d’abord de prendre sérieusement la comparaison proposée par le biais de cette Réincarnation-Résurrection. Biden peut-il être un nouveau FDR ? Pour répondre, il faut d’abord rappeler qui fut FDR dans la période proposée (le FDR de 1933-1940). Je connais bien la chose et le bonhomme, ayant beaucoup travaillé sur la Grande Dépression aux USA. Je ferais court alors qu’il y a tant de choses à dire, qu’on peut retrouver sur ce site...
(130 références à “Grande Dépression”, 69 à FDR, etc., et tout cela croisant de nombreux sujets ; ou bien de nombreux sujets spécifiques croisant en profondeur avec leur éclairage propre la Grande Dépression, dont par exemple, et exemples intéressants : « Le soleil noir de la Beat Generation » et « Notes sur le CMI [Complexe Militaro-Industriel] à l’origine ».)
... D’où il apparaît évident que, en mettant à part (autre débat à coups de marteau) les personnages avec leurs valeurs et leurs psychologies, la vérité-de-situation de Biden n’a rien à voir avec celle de FDR.
• Roosevelt n’intervint nullement dans un pays divisé jusqu’à la haine de la guerre civile possible comme c’est le cas aujourd’hui, mais dans un pays absolument, et psychologiquement en état d’effondrement accéléré, toutes classes et races confondues. Il y avait une sorte d’unité nationale, d’unanimité catastrophique à cet égard, même chez ceux qui souffraient peu de l’événement. Dans le texte référencé sur la “Beat Generation”, comme dans d’autres, on écrivait ceci qui décrit l’état de la chose :
« Le professeur américain Albert Guérard nous dit, en 1945 : “Je doute [que] beaucoup d’Européens [aient] pleinement ‘réalisé’ l'étendue du désastre, et à quel point le pays était proche de sa ruine absolue, au moment où Roosevelt prit le pouvoir.” En septembre 1933, le Français André Maurois, retour d’un séjour là-bas, rapportait ces remarques dans ses ‘Chantiers américains’ : ”Si vous aviez fait le voyage vers la fin de l'hiver (1932-33), vous auriez trouvé un peuple complètement désespéré. Pendant quelques semaines, l’Amérique a cru que la fin d'un système, d’une civilisation, était tout proche.” »
• Ainsi l’action qui fit de Roosevelt un grand homme d’État, et presque un magicien, fut essentiellement psychologique. Littéralement, il ranima un peuple entré dans une prostration, une paralysie totale, un coma de la mort sans retour. Sa très fameuse exhortation de son discours d’inauguration (« La seule chose dont nous devons avoir peur, c’est de la peur elle-même ») renvoie à une de ses premières interventions en tant que président, quelques semaines plus tard, peut-être dans un discours ou peut-être dans une de ses premières fameuse-“causeries au coin du feu”, où il faisait l’une ou l’autre suggestion à ses concitoyens, et terminant par cette exhortation à nouveau, comme s’il s’agissait de réveiller un mort : “Faites ceci, faites cela, selon ce qu’il vous plaît et qui s’offre à vous“, – « ...Mais faites quelque chose ! »
• Par contre, l’action économique est très fortement ouverte à la discussion et à la mise en cause du jugement, au travers des diverses initiatives prises. Il reste que l’abîme absolu autour de 1932-1933 (chômage proche des 25% de la population active) se résorba fortement en 1933-1935, avant de replonger jusqu’à des chiffres proches de ceux de 1932-1933. En 1939-1940, les USA étaient à nouveau dans une crise très profonde et c’est bien entendu l’entrée en guerre qui annula le chômage avec la mobilisation et un élan formidable de surproduction. (L’image symbolique classique, avec quai-correspondance des chiffres est d’observer comme une parabole que les 13-15 millions de chômeurs de 1939-1940 furent mobilisés à partir de 1942 puisque les forces armées comptèrent jusqu’à 15 millions de personnes au plus haut de leurs effectifs).
Pour résumer, je dirais donc que Biden n’a aucun rapport avec FDR parce que la situation de 2021 n’a rien à voir, dans sa structuration, dans sa psychologie, dans sa dynamique culturelle, avec celle de 1932-1933. L’imagerie-FDR déployée depuis quelques jours par les divers domaines de la communication-Système, si elle est bien entendu un simulacre, a un tout-autre but que simplement économique puisque les économies impliquées n’ont strictement aucun rapport. A nouveau, je me tourne vers la psychologie.
Dans les attitudes, commentaires, appréciations de l’intervention, de la situation de Biden, pas un mot de la politique extérieure de brigandage, pas un mot de la véritable situation intérieure, pas un mot des plus grossières affirmations de Biden durant ses affirmations extravagantes discours... Car, – ceci pour l’exemple, – dire que l’“insurrection” du 6 janvier dernier au Capitole, cette palinodie grotesque, est « la pire attaque contre la démocratie depuis la Guerre de Sécession », en gommant l’attaque du 11 septembre, Pearl-Harbor, alors que la Guerre de Sécession était tout ce qu’on veut sauf une “attaque contre la démocratie”, dire une telle chose montre l’extraordinaire désintérêt en même temps que la haine cachée du discours pour la moindre parcelle de vérité-de-situation historique, présente, transcendante, etc.
Pas un mot chez tous nos chroniqueurs... Rien qu’une jubilation absolument folle, quasiment hystérique, que j’ai moi-même retrouvée dans telle ou telle intervention des économistes qui vont bien, dans telle et telle émission du genre ; l’on voit bien qu’une magie soudaine balaie tous les motifs de crise, d’angoisse, d’incompréhension. Soudain disparaissent toutes les mauvaises humeurs crisiques, les humeurs d’encre, les discours justifiés des prophètes de mauvais augure ; voilà, enfin ! Le virus doit se le tenir pour dit, Poutine doit retirer ses troupes des nombreux pays qu’il occupe, et Assad, et Xi idem, la Bourse doit remonter (elle obéit docilement), les généraux putschistes purgés et mis en prison pour sédition vis-à-vis de la narrative de notre éternité démocratique, le Rassemblement National exilé sur l’île du Diable pour y retrouver l’âme torturée de Dreyfus. Pour quelques heures, pour quelques jours, peut-être deux ou trois semaines, la peur a desserré son étreinte...
Cette dernière remarque ramène paradoxalement à FDR, hors-Biden qui n’a pas le moindre intérêt. Cette poussée de fièvre-bidenesque, qui ressort d’une bouffée délirante d’un épisode maniaque que toutes les forces du Système s’acharnent à faire perdurer cerne aussi bien la “peur” dont parlait FDR lors de son discours d’inauguration, mais en en actualisant complètement le sens alors que les conditions de politique générale, ou de métapolitique pour s’inscrire comme un relais vers la métahistoire, sont complètement différentes.
(Ce mot de “métapolitique” ainsi défini par Joseph de Maistre : « J'entends dire que les philosophes allemands ont inventé le mot métapolitique, pour être à celui de politique ce que le mot “métaphysique”est à celui de physique. Il semble que cette nouvelle expression est fort bien inventée pour exprimer la “métaphysique de la politique, car il y en a une, et cette science mérite toute l'attention des observateurs. »)
Cela revient à dire que cet enthousiasme pour Biden est une façon évidente d’écarter la peur dans ce domaine, – et retrouver le simulacre américain, l’Amérique comme référence, comme “phare de la liberté”, en vérité comme principale base opérationnelle du Système alors complètement rétablie. Ainsi j’en reviens à FDR, cette fois-ci sans aucune idée de comparaison ou de référence à Biden. Lorsque FDR demande à ses concitoyens de ne plus “avoir peur”, il fait à la fois un acte d’homme d’État, de grand psychologue et au bout du compte, – car il fut véritablement cela, – un acte de saltimbanque, de montreur de spectacle. La peur des Américains qui les paralysait, en vérité était complètement justifiée, et même vertueuse, car elle empêchait de s’opposer à ce qui aurait dû se passer, qui est la chute du Système. C’est pourquoi je pense clairement, et l’ai écrit à plus d’une reprise, que “FDR le socialiste”, selon ses adversaires, fut en réalité le sauveur du Système en son temps.
Ceux qui n’ont pas peur de ce qui se passe aujourd’hui sont des amis du Système, des défenseurs du Système. Pour balayer tous les domaines, on cite l’exemple de la gauche-en-France, qui s’oppose frénétiquement à la peur de l’insécurité en niant l’insécurité, parallèlement à la gauche-aux-USA vis-à-vis des cassages des Black Live Matters ; ces deux gauches-là, les meilleurs alliées et complices du Système dans le temps présent, dans les circonstances présentes.
Il y eut, il y a quelques temps, début 2018, un article sur « la question de “l’absence de la peur” », qui commentait l’exubérance, absurde par rapport aux événements, des marchés financiers tout au long de l’année 2017. Cet article prenait comme marchepied de sa réflexion un autre article, bien entendu, celui du 11 janvier 2018 de ZeroHedge.com, reprenant lui-même (quel parcours) un article de Lance Roberts, dans RealInvestmentAdvice.com le même jour, avec comme titre : « La seule chose dont il faut avoir peur c’est de l’absence de la peur elle-même » (“The Only Thing We Have To Fear Is The Lack Of Fear Itself”).
Comme on le comprend, cette formule est celle de Roosevelt inversée, puisqu’elle recommande d’“avoir peur de ne plus avoir peur”. Je pense que cette façon de voir les choses est très intéressante ; elle mêle jugement de l’esprit et intuition touchant l’esprit, et cela en saluant le charlatan de génie que fut Roosevelt ; lequel FDR sauva l’Amérique de l’effondrement, alors qu’elle échappait ainsi au Système, pour la remettre en mains propres au Système, avec en prime une victoire dans la Deuxième Guerre Mondiale où nous nous battîmes quasiment jusqu’au dernier Russe... Puisque nous y sommes, qu’on me permette de glisser quelques lignes de cet article qui concernait la finance mais qui concerne en fait tous les domaines, ou sousSystème comme il est dit dans ce cas :
« La vérité à cet égard est qu’en plus de n’avoir plus de références, plus de bornes émettrices, plus de radar ni de sonar, plus de cornes de brume, nous naviguons dans le brouillard le plus épais, – “the fog of the Great Crisis” comme il y a “the fog of war”, – alors, nous naviguons en aveugle et nous sommes pires que des sourds-muets parce que la parole que nous nous dispensons à nous-mêmes est faussaire, trompeuse, simulacre pur. Les anglo-saxons de la corbeille électronique ont des expressions qui font bien l’affaire : “It’s music for your ears” pour décrire l’enchantement que vous procurent un discours, un bruit, une perception si agréable pour votre psychologie et votre jugement de plaisir ; mais il y a aussi, “la musique s’est arrêtée” (réplique fameuse de Margin Call [*]), pour signifier que les marchés financiers ne fonctionnent plus et que l’effondrement est là, – alors que, pour nous, justement, rien ne s’effondre, que les marchés tiennent par pur phénomène de lévitation, que la musique semble continuer sur un rythme endiablé mais que c’est celle du “joueur de flûte de Hamelin”(“Der Rattenfänger von Hamelin” des frères Grimm) ; c’est cette musique aussi fascinatoire et faussaire que celle du charmeur de serpent, et qui mène les rats (pardon, les sapiens) vers leur destin funeste de la noyade volontaire, comme s’ils comprenaient dans un sens complètement inverti puisqu’ils y restent, le fameux adage “les rats quittent le navire”.
» Même si elle est remarquable et semble spécifique parce qu’illustrée par le marqueur à la réputation formidable qu’est la variation des indices boursiers, et principalement celui de Wall Street, cette attitude de “l’absence de la peur elle-même” est renouvelée un nombre considérable de fois, si l’on veut d’une façon sectorielle, dans un monde devenu Système et de plus en plus hermétiquement cloisonné en autant de systèmes [nommons cela sousSystème en un seul mot] qu’il y a d’activités différentes et parties prenantes de la postmodernité.
» Chaque sousSystème exerce sur son domaine une intolérance absolue à tout ce qui n’est pas la tolérance et la liberté d’éprouver cette “absence de la peur elle-même”, laquelle “absence” est obtenue grâce à l’ivresse fascinatoire d’une activité paroxystique magnifiée par la communication, – comme dans le cas de la Bourse, chaque secteur avec ses moyens propres et selon ses activités. Cette intolérance absolue porte justement sur la formule du titre (“La seule chose dont il faut avoir peur c’est l’absence de la peur elle-même”), en la renversant pour qu’elle soit acceptable : “La seule chose dont il est interdit d’avoir peur c’est de l’absence de la peur elle-même”. Ainsi, chaque sousSystème donne-t-il un diagnostic faussaire symbolisé par une musique pleine d’allant et résolument tournée vers l’“éternel présent”, – ou ‘Big Now’ pour les amis. (L’instant actuel où il est proclamé que tout va bien, que la musique continue, et qu’on espère voir durer ce cirque jusqu’à ce que le présent devienne le futur lui-même, acquérant ainsi une sorte d’éternité. »
Si l’on se réfère à cette image de la musique dont il est question dans “Marging Call” [*] ou avec le “joueur de flûte de Hamelin”, je dirais que, dans le simulacre-spectacle du monde de la communication européen et surtout en France, le déchaînement d’amour enthousiaste et fou pour le sexy-Biden, le toujours-jeune Biden, ressemble à cette musique qui est une ivresse qui nous empêche d’avoir peur, comme une drogue bienfaisante nous tenant dans ses griffes.
En d’autres termes plus lestes et plus dérisoires, l’on dira gravement que le coup de sang pour le sénile Biden est une sorte de Prozac fermement flanc-gardé par une bonne dose de Viagra pour ne pas avoir peur. Ce qui importe à tous nos échotiers du Système, à notre troupeau bêlant et moutonnant, c’est d’assurer une érection jusqu’au-delà de la fin des temps. Allez, en cadence : en avant ! en avant ! Souquez ferme et chantez avec nous, sur l’air de la ‘Fernande’ de Brassens, – « Quand je pense au vieux Joe, Mon Dieu je bande encore ».
[*] Extrait du dialogue du film, où le PDG John Tuld (Jeremy Iron) interroge le jeune prodige de l’analyse financière Peter Sullivan (Sachary Quinto), avant d’ordonner en catastrophe la liquidation de tous les avoirs “toxiques” de la banque : “Vous voulez dire, jeune homme, que la musique est sur le point de s’arrêter, dans les heures qui viennent, c’est cela ?” “Non monsieur, je ne dirais pas exactement cela, je dirais plutôt que la musique s’est arrêtée déjà depuis quelques jours” ...