Les Allemands et leurs contradictions face au défi du “patriotisme économique” à-la-Sarkozy

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C’est fait : dans le langage politique et économique européen et libéral courant, l’expression honnie “patriotisme économique” est désormais employée pour le président Sarkozy, mais aussi pour caractériser le débat européen. C’est un pas en avant géant dans la dialectique du débat. Cette expression, officiellement employée par les Français avec le gouvernement Villepin, est désormais utilisée par le Financial Times et le “patron des patrons” allemands (Jürgen Thumann, président de la fédération des industries BDI), interviewé par le quotidien financier dans un article ce 1er août. La continuité française est donc complètement rétablie et l’orientation à la fois souverainiste et nationale de Sarkozy symboliquement marquée.

Pour autant le moins à l’aise n’est pas celui qu’on pense, tant s’en faut. Manifestement Sarkozy se fout du tiers comme du quart d’être “accusé” (drôle d’accusation) de “nationalisme économique”, — dito, de protectionnisme, ou néo-protectionnisme. Et Thumann, dans sa critique, est si peu à l’aise qu’il ferait aussi bien figure de suspect proche d’être accusé.

• D’abord, la principale cible de sa critique est moins Sarkozy que Merkel, qui est accusée de suivre la politique française. C’est bien le sens du paragraphe d’ouverture de l’article du FT : «Germany’s leading industry lobbyist warned Berlin on Tuesday not to follow France’s lead in raising the state’s influence on the economy in response to the challenges of globalisation.»

• Ensuite, Thumann est lui-même désigné par le FT comme quelque peu hypocrite, dans la mesure où il soutient la principale initiative de Merkel qui justifie son avertissement doctrinal à cette même Merkel, qui est la protection du système bancaire allemand par l’instauration d’un organisme inspiré du CFIUS américaniste, chargé de surveiller les investisseurs étrangers s’implantant aux USA. Le “pourtant” (“Yet”) de ce passage dit tout : «Yet the challenges of globalisation, which inspires as much fear in the German public as in the French, have led to contradictions. That was illustrated by Mr Thumann’s endorsement of Chancellor Angela Merkel’s plans to shield industry from investments by cash-rich foreign governments, raising the likelihood of a decision on erecting such protective measures next month.»

• Et le FT enfonce le clou, en signalant de surcroit que l’initiative de Merkel est directement inspiré d’une intervention de Thurman, qui dit par ailleurs tout son dégoût pour le protectionnisme qui est dans son esprit une machination française («The “economic patriotism” championed by Nicolas Sarkozy, the French president, was among the factors fuelling a protectionist zeitgeist in Europe. This zeitgeist exists. But I do not have to follow the zeitgeist. On the contrary, it encourages me even more to fight the temptation of protectionist measures.»). Le FT ne manque donc pas d’enchaîner, assez fielleusement, sur cette protection de foi par l’exposé de son contraire:

«Mr Thumann said the government should set up a mechanism modelled on the Committee on Foreign Investments in the United States, which vets foreign acquisitions of potentially strategic US assets.

»Business leaders have had difficulties squaring their calls for state protection against unwelcome investors with their rejection of protectionism in principle.»

• Ce qui conduit à une profession de foi (suite) finale du même Thurman, aussi ardente et affirmative qu’embarrassée et contradictoire, illustrant à merveille l’actuelle situation de l’Allemagne (et nombre d’autres pays dans la même situation), entre leur credo anti-potectionniste et les réalités de leus intérêts économiques.

«“We support the free movement of capital and oppose all barriers to investment. Our motto is: no protectionism,” he says.

»“The only thing I’m saying is that when state funds, for example from Russia and China but not only from these countries, seek to invest in key industries or companies in Germany and other countries, then I can understand that the government sees a certain need for control.”

»Mr Thumann is less preoccupied with potential threats to national security and more concerned about foreign states siphoning off know-how and patents.

»“We cannot rule out the possibility that states may have other interests than private investors and do not follow the rules of the market,” he says.»

Conclusion : Sarkozy, en faisant de l’affaire du “patriotisme économique” un sujet essentiel de l’agenda européenne, a réussi un coup de maître en transmettant à la puissante Allemagne la patate chaude particulièrement brûlante de la contradiction entre le catéchisme conformiste libéral et les réalités des intérêts nationaux.


Mis en ligne le 1er août 2007 à 06H06