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5 avril 2004 — L’historien néo-conservateur George Davis Hanson est connu. Il fait marcher l’histoire au son du canon et du tambour, enrôle Thucydide sous sa bannière pour nous parler avec passion de Sherman et de Patton, et de l’invincible supériorité de la démocratie occidentale sur les champs de bataille. Sa phrase exaltée est souvent aussi lourde qu’une canonnade à Verdun, en 1916. Par ailleurs, cela n’empêche rien comme on va le voir.
Dans un très récent article, datant du 1er avril sur National Review Online, Hanson nous parle de l’Europe. Sa phrase, les termes qu’il choisit, les images dont il use ne sont pas toujours flatteuses. Par contre, l’idée générale mérite qu’on s’y arrête. Elle est bien résumée, après tout, par son titre « Lovin’ Europe by Leavin’ », dont l’idée générale peut se traduire comme ceci : “la meilleure façon pour l’Amérique de bien aimer l’Europe, c’est de la quitter”.
Voici donc ce que nous dit Hanson.
• Le désaccord USA-Europe n’est pas la conséquence de l’attitude US après l’attaque 9/11 (unilatéralisme, etc). Il existait avant.
• Hanson nous dit encore (avec quelque mépris) que la faiblesse de l’Europe ne date pas d’aujourd’hui. « Yet this litany is ancient history now. So is the record of America's role as savior since World War II — the Marshall Plan, protection of Europe from Soviet Communism, American support for German unification, our leadership in NATO, pledging our cities to save Europe from Soviet nuclear blackmail, and the current protection of Europe itself. Blah, blah, blah — we've all heard it ad nauseam and its recitation leads us nowhere. »
• C’est avec de tels liens, qui sont censés améliorer les relations et prévenir les crises, qu’au contraire les relations ne cessent de se détériorer et les crises de s’accumuler. Les réactions aux USA sont alors en train de se développer, et l’on imagine bien dans quel sens :
« Meanwhile, the American people who don't read Foreign Affairs or go to briefings at Brookings grow increasingly cynical. It is not just that they grow tired with the French, or expect predictable German ingratitude — and are disgusted by Belgian silliness, Scandinavian moralizing, or Spanish and Greek antics. No, most Americans have simply lost their old willingness to support and protect Old Europe. This is a grassroots feeling, and it is relatively new — and even the cheap anti-European rhetoric of the cable news shows does not capture the simmering anger of the American people. »
• ... Et il n’y a aucune raison de se réjouir de cela, après tout. Hanson reconnaît que l’Europe lui est précieuse, qu’il y a un héritage commun, une culture idem, et bla bla bla. Cela mérite d’être sauvé, — justement ... « But it is for those very reasons of wishing to preserve some sort of relationship that we must abandon the status quo and think of radically new ways to relate to our friends and stewards of our common cultural ancestry. »
• Hanson poursuit son raisonnement en posant cette évidence, à partir du constat que les relations transatlantiques doivent être considérées dans le domaine où elles s’exercent précisément, qui est le psychologique : « Precisely because we protect Europe, Europe will need ever more protecting, and will grow ever more weak. And because it will need the United States to defend it, it will ever more resent the United States. »
• D’où cette péroraison : si nous (Américains) voulons à la fois une Europe plus puissante, qui nous soit éventuellement d’une aide appréciable, et si nous voulons préserver la qualité de nos relations avec elle, alors nous devons quitter l’Europe, en quelque sorte lui “donner son indépendance”.
« Yet I am not sure that these old arguments for either staying or downsizing in Europe are the chief reasons we should continue our radical reassessment. True, we pay for the costs of very wealthy peoples' own defense when they are more than able to foot the bill. There is no more Soviet Union on the borders of Europe — no raison d'être, in other words, for NATO as we once knew it. At a time of enormous budget deficits and trade imbalances with the Europeans, it makes no sense to spend billions to patrol the German countryside, keep Spanish airspace safe, or guard the Cretan Sea. All these are legitimate, practical economic concerns; but again, they are not the chief grounds to begin leaving Europe.
» No, the real reason is not to end the European relationship, but to save it. And thus we must not see the current problem merely in a context of money or troops or even ingratitude, hypocrisy, and perfidy — but rather in psychological terms of dependency and its associate pathologies of enablement and passive-aggressive angst.
» Precisely because we protect Europe, Europe will need ever more protecting, and will grow ever more weak. And because it will need the United States to defend it, it will ever more resent the United States. Without a real menace like the Soviet Union on its borders, Europe will find ever more outlets to vent cheaply and without consequences — at precisely the time it is most threatened by terrorists and rogue states.
» In contrast, the withdrawal of Americans throughout Old Europe — sober analysts can adjudicate a remnant figure of about 30,000 or so, down from our present numbers in Spain, Holland, Belgium, Germany, Italy, Turkey, and Greece — will encourage Europe to rearm or face the consequences of institutionalized appeasement. That radical step — despite popular misconceptions that it is either impossible or unwise — is more a good thing than a bad one.
» That way we will not be dealing with a spiteful teenager any longer, but a mature adult partner. And if — after we leave — Germany invades France or Poland a third time, then there is simply no answer to the European problem anyway. Instead we must trust in our confidence that Europeans are wise enough to settle their own affairs peacefully. Perhaps socialists who won't fight much abroad at least won't be likely to fight among themselves either.
» So we must be farsighted and confident enough to encourage the emergence of an associate rather than a dependent. Parents are happy when their sixty-year-old sons move out and get apartments — not angry that they have lost the opportunity to feed and launder balding and perpetual adolescents.
(...)
» We wish to save Europe by leaving it, to strengthen the Atlantic Alliance by altering it, and to encourage maturity and responsibility by ending dependency. Begging miffed Europeans to help in Iraq or Afghanistan in real numbers while tens of thousands of Americans are stationed in Europe is the stuff of fairy tales. The sham should end now, for the well-being of everyone involved. »
L’intérêt de ce texte est double : par ce qu’il dit d’abord (la seule solution pour que l’Europe devienne plus forte et ait de meilleures relations avec les USA, et cela à l’avantage des USA finalement, c’est que les USA s’en aillent d’Europe et restituent leur autonomie aux Européens) ; par la façon dont il le dit (la plupart des outrances qu’on a l’habitude de trouver chez les néo-conservateurs restent présentes, notamment les jugements peu ragoûtants sur les valeurs morales des Européens). L’intérêt est bien dans ce que, même avec une logique et des préjugés de néo-conservateurs, on (Hanson) parvient à une conclusion renforçant les partisans d’une Europe autonome et, par la force des choses, évidemment souveraine.
On rapprochera le cas de Hanson de celui de McCain, que nous avons vu hier. C’est également en restant lui-même, c’est-à-dire belliciste, interventionniste, que John McCain parvient à s’inquiéter de la question écologique de la crise climatique, préoccupation d’habitude soulevée par des personnes de tendance pacifiste ou gauchiste.
L’intérêt de ces situations est qu’elles nous disent qu’il existe aujourd’hui des idées et des logiques échappant à l’interprétation (la déformation) idéologique, c’est-à-dire à la déformation du jugement humain par conséquent, et qui l’emportent sur ces interprétations idéologiques sans pour autant provoquer une crise de conscience chez l’individu (abandon de ses convictions idéologiques). Il s’agit là d’un phénomène qui pourrait s’expliquer par la puissance de la réalité par rapport à des engagements idéologiques qui sont souvent conditionnés par des conditions virtualistes, finalement assez fragiles et évoluant dans des cadres différents du cadre historiques. (Ces conditions virtualistes sont donc aisément transpercées sans pour autant être dissipées.) Après McCain, Hanson est un autre cas de l’ambiguïté postmoderne, avec ses échappées explosives et particulièrement révélatrices.