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6163Les Américains & 14-18
Ce texte divisé en trois parties comprend deux parties datant du 23 juin 2008 et la troisième sur Le mythe du Sauveur américain datant du 14 juin 2017, le tout s’attachant au thème des Américains par rapport à la Grande Guerre, notamment du point de vue de leurs rapports avec les Français. Ce texte est le cinquième d’une série de dix reprises du site dedefensa.org (plus un inédit), concernant la Grande Guerre. Cette série nous mènera jusqu’au 11-novembre, date du centenaire de la fin de ce conflit.
Le texte de William S. Lind, que nous commentions le 17 juin (2008), fait largement référence à Robert A. Doughty, général de l’U.S. Army et chef des services historiques de l’U.S. Army lorsqu’il quitta le service actif en 2005. Doughty a été et reste le maître d’œuvre d’un courant historique révisionniste fondamental aux USA, qui remet en question la vision traditionnelle de la Première Guerre mondiale, – “vision traditionnelle” aux USA, totalement influencée par la propagande anglo-saxonne (britannique), qui fait de la France un second rôle dans ce conflit, perpétuant ainsi l’une des grandes machinations de la tromperie historique du XXème siècle.
De ce point de vue, – une fois n’est pas coutume, – la lumière vient des USA, où l’historiographie officielle et militaire s’est révoltée contre cette déformation qui apparaît flagrante après quelques recherches sur l'histoire du premier conflit mondial. Cette déformation n’est pas qu’historique, elle fait sentir ses effets aujourd’hui, dans le domaine politique. Elle a permis l’entreprise de propagande des néo-conservateurs durant la guerre en Irak et a pesé lourdement sur la situation politique durant ce conflit. Elle continue à influencer la politique et contribue notamment, en France, à alimenter le penchant des intellectuels français pour la perception anglo-saxonne du monde.
Le cas français est révélateur à cet égard. A notre connaissance, le livre de Robert A. Doughty, Pyrrhic Victory: French Strategy and Operations in the Great War (2005), n’est pas traduit en français, alors qu’il représente une somme importante sur le rôle et la puissance de l’armée française dans la Première Guerre mondiale, qui plus est vus par un Américain. Au contraire, un livre comme Ther First World War, de John Keegan, a trouvé preneur (en 2003) dans l’édition française (La Première Guerre mondiale). Keegan présente la vision britannique de la Première Guerre mondiale, comme d’autres “historiens” britanniques tels que Niall Ferguson, régulièrement célébrés en France. Cette école d’historiens britanniques n’a qu’un seul but: élever le statut du Royaume-Uni à celui de première nation européenne, notamment pendant la Première Guerre mondiale, pour mieux justifier ses prétentions de l’après-Guerre froide, – celle de jouer un rôle prépondérant en Europe, par influence extérieure relayant celle des USA et, du moins dans les années 2002-2004, sous l’exemplaire direction de Tony Blair, celle de ressusciter indirectement les ambitions impériales britanniques par USA interposés.
Les intellectuels français, partagés entre l’aveuglement de l’intelligence arrogante et le plaisir intellectuel de l’apparente liberté du dénigrement anti-français, ont largement servi et continuent à servir d’auxiliaires zélés à cette entreprise typiquement anglo-saxonne. Par bonheur, tout le monde ne partage pas, aux USA, les vues “anglo-saxonnes” des Britanniques. Doughty a joué un rôle fondamental en rétablissant la vérité sur la Première Guerre mondiale à cet égard. Il l’a fait, parce que la vision britannique entraînait dans sa déformation propagandiste la perception faussée de la position US durant la Grande Guerre.
La première réalité de la Grande Guerre est que la France joua un rôle fondamental et peut être considérée comme la première nation victorieuse dans cette guerre. Elle l’a payé assez cher et le paragraphe d’appréciation de Lind mérite d’être rappelé:
«Those who characterize the French as “cheese-eating surrender monkeys” would do well to read “Pyrrhic Victory.” France bore the main burden of World War I on the Western Front, the weight of which would have crippled any country. France lost almost 1.4 million men killed or missing in action from a population of only 39 million, plus another 4 million wounded. On average, she lost 890 soldiers killed every day from August 1914 to November 1918. Adjusting for population, that would roughly equal America suffering 7,000 soldiers killed daily for more than four years. Does anyone think today's American society could stand that?»
La deuxième réalité de cette guerre est que l’engagement américain se fit en priorité aux côtés des Français, que les Américains préférèrent un tel engagement plutôt qu’un engagement aux côtés des Anglais alors que le choix était ouvert à cet égard. Cela se vit lors des débats pour savoir où l’armée US prendrait position sur le front. Les Britanniques avaient proposé que ce fut de leur côté, à l’Ouest, et ils proposaient que l’armée US fût incorporée à mesure de sa préparation, à l’échelon du régiment, dans les grandes unités britanniques. Les Français respectèrent par contre la volonté US de souveraineté nationale, de se constituer en une armée autonome, quitte à attendre plus longtemps l’intervention US dans les combats. Seule l’incorporation temporaire de la 1ère division d’infanterie US dans un grand corps français, en mai 1918, alors que l’armée US n’était pas encore constituée et parce que les événements militaires le demandaient, dérogea à ce principe. Ensuite, les Américains furent déployés à l’Est de Verdun (saillant de Saint-Mihiel), en une armée autonome, à côté de l’armée française, Pershing ayant le même rang que Pétain et Haig sous le commandement du généralissime interallié, Ferdinand Foch. C’est avec les Français que les Américains eurent des liens militaires privilégiés, comme Doughty le précise.
… C’est en effet un texte de Robert A. Doughty que nous présentons ci-dessous. En des termes certainement plus diplomatiques que les nôtres, c’est cette révision de cet aspect essentiel de la Grande Guerre qu’il restitue lors d’une communication qu’il fit lors du colloque “Les batailles de la Marne, de l’Ourcq à Verdun (1914 et 1918), les 6 et 7 mai 2004 à Verdun et à Reims (colloque organisé avec le soutien de la DMPA du ministère français de la défense). Si le thème est “Les Américains dans la deuxième bataille de la Marne”, avec notamment la réhabilitation du rôle du la 2ème division d’infanterie de l’U.S. Army dans la bataille du Bois de Belleau “kidnappée” par l’hagiographie du Marine Corps, le sujet réel en est bien une autre réhabilitation à notre sens, celle du rôle des Français et des relations franco-US durant la Première Guerre mondiale.
Les nombreux détails que donne Doughty, à partir de différents ouvrages, avec la mesure qu’on imagine chez lui dans le traitement de cette question, donnent par extrapolation une idée de la fraude (en général involontaire, par la seule organisation de l’influence que maîtrisent les Britanniques) qui a affecté cet aspect crucial, par rapport à la situation actuelle, de l’histoire du XXème siècle. Il s’agit véritablement, dans la perception historique de la Grande Guerre, d’un détournement de sens fondamental.
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Ces dernières années ont vu un regain d’intérêt pour l’histoire de la Grande Guerre aux États-Unis. Les deux décennies qui ont suivi la guerre ont été marquées par la publication de nombreux livres et articles sur une grande variété de sujets, mais, avec le début de la Deuxième Guerre mondiale, le niveau d’intérêt et le nombre de publications ont substantiellement diminué. Après 1945, historiens et lecteurs américains se sont plus intéressés à la Deuxième Guerre qu’à la Première. Néanmoins, depuis dix ans environ, certains historiens ont recommencé à se pencher sur la période de la Grande Guerre. Leurs études sont très différentes de celles publiées après la fin des hostilités et elles donnent une autre image de l’expérience américaine dans la seconde bataille de la Marne. Cette attention renouvelée est générale en Europe et aux États-Unis. Pour l’illustrer, nous nous appuierons sur plusieurs exemples : le premier est le livre de Hew Strachan intitulé The First World War.
Le professeur Strachan est un des plus éminents historiens britanniques. Son œuvre dépasse les limites traditionnelles de l’histoire de la Grande Guerre et se fonde sur des sources françaises et allemandes. Un autre exemple est fourni par l’œuvre de Holger Herwig intitulée The First World War : Germany and Austria-Hungary, 1914-1918. Le professeur Herwig, de l’université de Calgary au Canada, a fait des recherches approfondies dans les archives européennes, surtout en Allemagne et en Autriche. Timothy Travers, lui aussi professeur à l’université de Calgary, a publié plusieurs études importantes sur la Grande Guerre. Son travail, qui repose sur des recherches considérables dans les archives britanniques, est particulièrement intéressant en raison de l’œil critique qu’il porte sur l’armée britannique. Par exemple, dans How the War was Won : Command and Technology in the British Army on the Western Front, 1917-1918, Travers affirme que la célèbre description que le Field Marshal Douglas Haig a donnée de sa rencontre avec le général Pétain, le 24 mars 1918, rencontre pendant laquelle ils ont discuté du maintien des contacts entre les armées britanniques et françaises dans la Somme, est totalement fausse. Il est évident que la possible présence de mensonges dans le journal de Haig suscite des questions quant aux nombreuses histoires de la Grande Guerre qui se sont fondées sur ce type de documentations.
Des historiens américains ont, eux aussi, voulu jeter un regard neuf sur la Grande Guerre. L’un des premiers a été Dennis E. Showalter. Dans son ouvrage intitulé Tannenberg : Clash of Empires, il soutient ainsi de façon convaincante que les Allemands étaient moins performants et que les Russes l’étaient plus qu’on a voulu le croire. La même tendance est suivie par Graydon A. Tunstall Jr. Ses recherches approfondies dans les archives autrichiennes lui ont permis, dans son livre intitulé Planning for War against Russia and Serbia, Austro-Hungarian and German Military Strategies, 1871-1914, de reconsidérer les rapports entre l’Allemagne et l’Autriche pendant la guerre. Les travaux du professeur John Morrow, spécialiste de l’histoire de l’Allemagne, nous ont fait comprendre beaucoup mieux l’importance de l’aviation allemande dans la Grande Guerre. Son livre le plus récent, The Great War: An Imperial History, donne un nouvel aperçu de certains aspects de la guerre en dehors de l’Europe. David G. Herrmann présente aussi une approche inédite de la guerre dans son ouvrage The Arming of Europe and the Making of the First World War, qui s’appuie sur ses recherches dans de nombreuses archives européennes, y compris en France. Selon Herrmann, les pouvoirs européens sont partis volontiers en guerre en août 1914, croyant posséder l’avantage militaire qui leur donnerait la victoire. Autre argument particulièrement intéressant, celui avancé par Terence Zuber : dans son livre, Inventing the Schlieffen Plan : German War Planning, 1871-1914, il soutient que le plan Schlieffen n’était pas le plan de guerre allemand en 1914. Plus que d’autres historiens, Zuber s’est montré prêt à débattre avec d’autres historiens ne partageant pas ses idées. Ces études, et bon nombre d’autres, attestent ainsi le regain d’intérêt des historiens américains pour la Grande Guerre.
En même temps, on constate un changement d’interprétation et de perspective de la part de certains d’entre eux. Il y a dix ans, à un colloque organisé au musée de la Première Division, à Cantigny, Illinois, j’ai dit que la perspective américaine sur la Grande Guerre — en dehors de notre propre rôle et de notre propre expérience — avait été «largement formée par l’expérience britannique, ou par le regard britannique sur l’expérience des autres». Ceci s’explique par le fait qu’après 1945 une grande proportion des livres et articles sur la Grande Guerre publiés aux Etats-Unis ont fait un usage excessif d’ouvrages publiés à Londres. Ils reflétaient donc la perspective britannique, qui ne tenait pas compte de celles des autres pays comme la France. A mon avis, les historiens américains ont choisi de se fonder sur les récits britanniques parce que ces derniers étaient plus accessibles, et non parce que les Britanniques et les Américains (les “Anglo-Saxons”, selon mes amis français) ont des intérêts et des traditions en commun et sont généralement d’accord sur les événements historiques importants. C’est aussi parce que l’accès aux archives est parfois plus facile à Londres qu’à Paris.
L’exemple frappant d’une étude américaine qui s’appuie trop sur les fonds d’archives britanniques est The War to End All Wars : The American Military Experience in World War I par Edward M. Coffman. Sans aucun doute, cet ouvrage, publié pour la première fois en 1968, reste la plus importante des études sur la participation des Etats-Unis dans le Grande Guerre. Le professeur Coffman, le plus éminent des historiens américains, a épluché les archives américaines et a questionné de nombreux vétérans. Malgré cela, pour “l’arrière-plan général” et la “perspective” de la guerre, il s’est fondé principalement sur les travaux de Sir James E. Edmonds, de Cyril Falls, et de B. H. Liddell Hart. Ainsi, lorsqu’il dresse le portrait de Foch, Coffman cite l’historien britannique Liddell Hart : «Sa foi, qui était sa plus grande qualité, le rendait souvent aveugle aux faits.» Il s’appuie sur John Terraine, biographe britannique de Haig, pour expliquer en quoi le rôle de Foch pendant les derniers mois de la guerre différait de celui d’Eisenhower pendant la deuxième guerre mondiale. Les Américains arrivés en France en 1917-1918 avaient leurs propres points de vue sur les dirigeants tels que Foch, mais le professeur Coffman s’est fondé sur le travail d’historiens britanniques et sur le journal du Field Marshal Haig pour valider ses interprétations et ses évaluations. Aussi, même si le livre du professeur Coffman sur l’armée américaine dans la première guerre est — et restera — le livre de référence, il est évident que, pour tout ce qui ne touche pas à la participation américaine, il est influencé par la vision britannique.
Depuis quelques années, certains historiens américains publient des livres d’une importance majeure, reposant sur des recherches menées dans des archives françaises. Ils proposent une vision de la guerre fort différente. Voici deux exemples de ces ouvrages. Le premier, par Robert Bruce, s’intitule A Fraternity of Arms : America and France in the Great War. Historien militaire, Bruce a passé de longues semaines au Château de Vincennes. Son livre offre de nouvelles perspectives sur les rapports étroits qui existaient pendant la guerre entre Américains et Français et sur leur influence sur les opérations américaines. Il conclut : «Sans être une alliance militaire formelle, l’association entre la AEF [American Expeditionary Force] et l’armée française a joué un rôle primordial dans la maturation des Etats-Unis en une puissance militaire mondiale.» Il ajoute encore : «mais c’était plus qu’un mariage de convenance, de vrais liens d’amitié existaient entre les soldats des deux républiques». L’ironie de la chose est que le livre a justement été critiqué pour sa focalisation sur l’aspect des relations franco-américaines. Une analyse récente souligne ainsi que l’ouvrage «souffre de répétitions, de conclusions non prouvées et d’un parti pris dans la présentation des faits», considérant «qu’une approche plus équilibrée aurait résulté d’une consultation d’études similaires sur les rapports anglo-américains…».
L’autre ouvrage important est celui de Jennifer Keene, Doughboys, the Great War, and the Remaking of America. Professeur d’histoire sociale, Mme Keene cherche à expliquer «la véritable importance de la Grande Guerre pour l’histoire des Etats-Unis» afin d’offrir «un moyen dramatiquement différent de comprendre l’expérience des Etats-Unis dans la Grande Guerre». Tout comme celui de Bruce, son livre repose sur des recherches poussées dans les archives françaises, mais tandis que Bruce considère la guerre “de haut en bas”, Keene la regarde “de bas en haut”. A la différence de Bruce, elle parle peu d’opérations militaires, et l’image qu’elle donne des relations franco-américaines n’est pas aussi positive que celle donnée par son collègue. Si elle accepte le fait que, avec le temps, les Américains ont acquis du respect pour leurs camarades français, elle souligne également que bon nombre de soldats américains ayant participé à l’occupation de l’Allemagne après la fin des hostilités pensaient que leur pays était entré en guerre «du mauvais coté». Inutile de préciser que son livre est beaucoup contesté, un critique ayant écrit récemment que, même s’il présente «beaucoup de bons points», il est «beaucoup trop ambitieux» et ne tient aucun compte d’importantes questions d’opérations militaires, de la stratégie et des «motivations» des leaders politiques et militaires. Cet ouvrage offre néanmoins des aperçus nouveaux de l’expérience américaine et de l’effet de la guerre sur les Etats-Unis.
On ne peut pas dire cependant que toutes les publications récentes ont utilisé les ressources françaises. Ainsi, les études qui se concentrent exclusivement sur les opérations militaires ignorent-elles ces sources. Prenons deux exemples liés à la Marne et à la Meuse. Le premier ouvrage, signé Douglas Johnson et Rolfe Hillman, est intitulé Soissons: 1918. Il raconte l’histoire de deux divisions américaines dans la contre-offensive du 18 juillet 1918 sur le front de l’Aisne et de la Marne. Les auteurs se fondent presque exclusivement sur des documents anglais et leurs citations n’indiquent pas d’effort sérieux pour prendre en compte d’autres sources. Par exemple, pour solde de tout compte à propos de la 1re division marocaine, les auteurs n’offrent qu’une citation du général Mangin concernant sa bonne réputation. De même, leur évaluation des buts stratégiques et des objectifs opérationnels de la contre-offensive ne s’appuie que sur des documents français qui, traduits, font partie de l’histoire officielle américaine. Le deuxième exemple, le livre de Paul Braim, intitulé The Test of Battle: The American Expeditionary Forces in the Meuse-Argonne Campaign, se concentre aussi sur le rôle des Américains. Bien qu’il ait fait des recherches sérieuses dans les archives américaines, Braim n’utilise pas d’autres documents français que ceux faisant partie de l’histoire officielle américaine. Il fait l‘éloge des excellents ouvrages de John Keegan et Cyril Falls — tous deux britanniques — et se fonde principalement sur la traduction anglaise des mémoires de Foch pour l’arrière-plan stratégique et opérationnel de l’offensive en Meuse et Argonne.
Mais les exemples les plus flagrants d’utilisation exclusive de sources américaines ou britanniques concernent des ouvrages techniques. C’est le cas du livre de Mark E. Grotelueschen sur la 2e brigade d’artillerie de campagne (2nd Field Artillery Brigade) de la 2e division US, Doctrine Under Trial : American Artillery Employment in World War I. Malgré cela, il représente un changement important d’interprétation par un auteur américain. Pour beaucoup, l’armée américaine avait été mal préparée à son arrivée en France mais, aguerrie par le combat, elle est devenue une force effective qui a joué un rôle important dans les derniers combats. Si l’exposé de Coffman s’écarte quelque peu de cette interprétation des faits en avançant certaines critiques des Américains, les livres de Johnson et Hillman et de Braim vont beaucoup plus loin en décrivant des assauts frontaux mal organisés où les pertes sont très grandes. Par contraste, Grotelueschen démontre la «compétence et efficacité considérable» de la 2e brigade d’artillerie de campagne. Donc, si certaines publications récentes ont critiqué les Américains dans la guerre, d’autres, comme celle de Grotelueschen, soulignent leur compétence et l’importance de leur contribution au combat. Néanmoins, Grotelueschen ne tient pas compte des sources françaises, même s’il reconnaît que l’artillerie américaine était «dominée» par les officiers français et «fortement influencée» par la théorie française.
En faisant des recherches en dehors des Etats-Unis et du Royaume-Uni, les historiens américains ont adopté une perspective plus large, visible dans leurs publications. Un des meilleurs exemples de cette démarche est le livre de Michael J. Lyons, World War I : A Short History. Cet ouvrage est remarquable pour sa vision très large de la guerre, qui dépasse l’expérience relativement étroite des Britanniques. Lyons souligne le rôle important des Français et le rôle modeste des Britanniques dans les premières batailles de 1914, le “miracle” de la Marne inclus. Il explique de façon complète les offensives françaises en Artois et en Champagne en mai et septembre 1915, alors que les livres publiés antérieurement ne s’en préoccupaient guère mais fournissaient, à l’inverse, de nombreux détails sur l’offensive britannique, peu importante, de Neuve-Chapelle en mars 1915. Le livre de Lyons offre également une profusion d’informations sur les opérations contre le saillant de Saint-Mihiel et en Meuse-Argonne. Une autre approche élargie est donnée par The Great War, 1914-1918, de Spencer Tucker. Apportant peu de détails sur la guerre, le récit de Tucker sur la contre-offensive dans l’Aisne et dans la Marne s’ouvre sur ce constat : «L’initiative stratégique passa maintenant aux alliés». Chez beaucoup d’historiens américains, il était admis que l’initiative était revenue aux alliés seulement à partir du 8 août 1918, la fameuse “journée noire” de l’armée allemande, quand les forces britanniques et canadiennes attaquèrent dans la Somme. Les livres de Lyons et Tucker adoptent donc une perspective sur la guerre très différente de celle, relativement étroite, des Britanniques. Leurs livres sont loin d’être des simples révisions d’ouvrages britanniques.
Certaines publications récentes continuent cependant de se fonder sur des ouvrages britanniques pour exposer la guerre dans ses grandes lignes. Il en va ainsi de la monographie The United States and the First World War du professeur Jennifer D. Keene. Ecrites pour compléter des cours universitaires d’histoire générale, les 142 pages de ce livre couvrent la guerre dans tous ses aspects, de ses origines à la question de ce qu’elle «signifie» pour les Etats-Unis. Malgré des recherches sérieuses en France et sa bonne connaissance de la langue française, Mme Keene s’appuie principalement sur des ouvrages britanniques pour résumer la conduite de la guerre. Ceci apparaît très clairement dans son explication des trois premières années de la guerre. A l’exception d’une brève mention de la “boucherie” de Verdun et de l’échec de l’offensive Nivelle, Mme Keene ne parle que peu des Français et elle explique, par exemple, “le miracle de la Marne” par le fait que «l’armée allemande s’essouffle sur les rives de la Marne». Compte tenu du fait que le professeur Keene est spécialiste d’histoire sociale, on ne peut s’étonner qu’elle évoque plus les changements ayant lieu dans la société américaine (prohibition, suffrage féminin, migrations afro-américaines, restrictions à l’immigration) que de la stratégie et des opérations militaires. Qu’elle s’appuie sur des ouvrages britanniques pour expliquer la conduite de la guerre peut néanmoins surprendre.
A l’image des livres de Lyons et de Tucker, les manuels d’histoire américains ont aussi commencé à donner un aperçu un peu plus large de la Grande Guerre. Par exemple, le traitement des trois premières années de guerre que fait Alan Brinkley dans son célèbre manuel, American History : A Survey, va au-delà de l’expérience britannique. Sa seule image de combat est une photo légendée La vie dans les tranchées, montrant des Américains en train de soigner un blessé sous le regard d’un poilu français. Le manuel inclut une carte du front ouest en 1918 et une représentation de la contre-offensive dans l’Aisne et dans la Marne en juillet 1918. Quel contraste avec la situation d’il y a dix ans! A l’époque, j’avais constaté que les manuels d’histoire comprenaient en général un résumé des principales batailles britanniques et des photos de soldats britanniques, souvent prises à Passchendaele, mais qu’ils n’évoquaient que rarement les Français. Malgré sa vision plus large, Brinkley n’a pu s’empêcher d’écrire, à la fin du chapitre sur la Grande Guerre, que «en avril 1917 le Congrès a accepté (non sans bon nombre d’avis contraires) la demande du président que les Etats-Unis entrent en guerre en alliés de la Grande-Bretagne». Etant donné les rapports étroits qui se sont développés plus tard entre les Etats-Unis et la France, on ne comprend pas que Brinkley ne mentionne pas la France. Son livre donne donc l’impression que, même si certains auteurs américains voient plus large, une représentation limitée du conflit résulte encore parfois d’erreurs et d’omissions.
Une comparaison de différents récits des opérations américaines dans le secteur de la Marne nous offre un aperçu supplémentaire des représentations américaines de la Grande Guerre. Une action particulièrement connue est celle de la 2e division d’infanterie U.S. au bois de Belleau et devant Vaux. Pendant la nuit du 1er juin 1918, la 2e division, dont la brigade des marines faisait partie, a pris position à l’ouest de Château-Thierry. Les troupes françaises s’étant retirées, la 2e division tenait les premières lignes. Les Allemands tenaient le bois devant le front américain et surplombaient leurs positions de la crête d’en face. La tentative américaine d’avancer au-delà des bois devant eux (bois de Belleau et bois de la Marette) et d’établir leurs positions de l’autre coté de la crête a commencé le matin du 6 juin. Le 26 juin, le bois de Belleau est entre les mains des Américains ; Vaux est tombé le 1er juillet. Dorénavant, les Alliés contrôlent les hauteurs à l’ouest de Château-Thierry, ce qui empêche les Allemands d’avancer sans préparations importantes avec des effectifs considérables.
Un des premiers récits de cette opération est publié par Shipley Thomas, qui a servi pendant la guerre dans la 1re division d’infanterie U.S. Malgré le fait qu’au bois de Belleau et à Vaux l’infanterie américaine ait avancé par vagues, souffrant de très grandes pertes, Thomas qualifie cette «action locale» de «brillante» avec «un effet psychologique profond sur les armées alliées et dans les pays alliés». Une grande partie de l’effet psychologique provient d’articles de journaux centrés sur des opérations des marines à «Belleau Wood». Selon Laurence Stallings, lui-même marine, en faisant un reportage sur les combats de la brigade des marines au bois de Belleau, le journal Paris Herald a «ouvert les vannes» à une marée d’articles qui ne parlaient que des marines dans les opérations autour de Château-Thierry. Ces articles ont laissé l’infanterie américaine déçue et furieuse et Thomas écrit que «l’action au bois de Belleau des 6000 marines qui faisaient partie de la 2e division était en effet très brillante mais qu’il est dommage que les marines se soient vu attribuer tous les mérites pour une opération à laquelle ont pris part 250 000 fantassins américains et un million [sic] de fantassins français, et qui a duré 72 jours entre le 27 mai et le 6 août 1918». S’il était toujours de ce monde, Thomas se plaindrait davantage encore, car même si d’autres historiens ont publié des récits complets de ces opérations, l’Américain moyen ne sait rien sur les unités d’infanterie américaines ou françaises qui y ont participé. En revanche, de nombreux citoyens américains connaissent l’action des marines au bois de Belleau, car après la guerre le cimetière de Belleau est devenu — pour citer un de mes amis — un «autel» dédié au corps des marines, où le mythe a remplacé la réalité historique. On peut même dire que la connaissance qu’a de la bataille l’Américain moyen tient autant de la réalité historique que de la légende selon laquelle tout marine qui boit à la fontaine du «Devil Dog», près du bois, prolonge sa vie de vingt ans.
La renommée qui entoure le bois de Belleau a éclipsé le succès de la 3e division d’infanterie U.S. L’après midi du 31 mai, un bataillon de mitrailleuses de la 3e division est arrivé dans le secteur de la Marne et a participé à la défense des ponts de Château-Thierry. Après l’arrivée d’autres troupes de la division, une opération combinée des infanteries française et américaine a réussi à prendre pied sur la côte 204, à l’ouest de Château-Thierry. Du 15 au 18 juillet, la 3e division a tenu des positions défensives longues d’environ 8 kilomètres à l’est de Château-Thierry. Là, elle a gagné le surnom de “Rock of the Marne” (La Roche de la Marne) en empêchant une tentative allemande de traverser le fleuve. Pour son commandant, le général Joseph T. Dickman, la division a été félicitée par le général Pershing pour avoir écrit «une des pages les plus brillantes des annales de l’histoire militaire». Malgré ces éloges, la 3e division n’a droit qu’à quelques mots dans les livres de Tucker et de Lyons. Pire encore, pour Mme Keene, dans Doughboys, the Great War, and the Remaking of America, Château-Thierry n’est qu’un «rendez-vous» pour soldats déserteurs, devenus voleurs. Même si elle accorde un peu plus de place à la 3e division de Château-Thierry dans son livre The United States and the First World War, elle porte plus d’attention à la 2e division et aux marines du bois de Belleau et de Vaux. Seuls Coffman et Bruce donnent des détails sur les actions de la 3e division et expliquent comment elle a gagné son surnom.
Un malentendu comparable existe concernant la participation des troupes américaines à la contre-offensive sur l’ensemble du front Aisne-Marne du 8 juillet. Faisant partie du XXe corps français, les 1er et 2e divisions U.S. ont joué un rôle particulièrement important dans l’action du général Mangin contre l’épaule ouest du saillant de la Marne. Dans ses mémoires, le général Pershing écrit : «Le [XXe] corps, composé aux quatre cinquièmes par des Américains, a eu l’honneur d’être le fer de lance de l’opération contre ce flanc vulnérable du saillant, honneur vaillamment soutenu.» La contre-attaque du 18 juillet a surpris les Allemands, bien qu’un déserteur les ait avertis de l’imminence d’une grande offensive au sud-ouest de Soissons le 11 ou le 12 juillet. L’avance de la 2e division U.S. était de 8 kilomètres, celle de la 1re division U.S. de 6 kilomètres. En interdisant la route de Château-Thierry à Soissons, cette avance a menacé l’ensemble de la position allemande dans le saillant. Le 18 juillet, reconnaissant la valeur de l’opération, un colonel français du bureau d’opérations s’est écrié : «ceci est la journée la plus importante depuis la Marne.» Selon un officier de liaison américain, au GQG, les officiers français d’état-major ont célébré la victoire en parodiant Ludendorff et le prince héritier se plaignant de l’attaque : «Et entre des éclats de rires, ils lisaient le dernier message, reportaient l’information sur la carte, me serraient la main et faisaient l’éloge des Américains. Ils disaient “superbe”, “magnifique”, “épatant” en parlant des 1re et 2e divisions U.S.». Plusieurs officiers ont reconnu que «sans les Américains, ceci n’aurait jamais été possible». Le soir, on a servi du champagne et les officiers français ont bu à la santé de la France et des Etats-Unis.
Malgré l’importance de la bataille, certains historiens américains actuels en savent peu sur la contre-offensive sur le front Aisne-Marne. Par exemple, dans son analyse des aspects sociaux et culturels de l’expérience américaine pendant la Grande Guerre, Robert Zieger écrit que les Etats-Unis ont «fourni la majeure partie des troupes dans la première — et, selon certains commentateurs, la plus cruciale — des contre-attaques du maréchal Foch, qui a mis l’armée allemande en position défensive permanente». Que Zieger ignore que la majorité des troupes impliquées dans l’opération étaient françaises montre sa compréhension limitée de la contre-offensive du 18 juillet. De plus, il est peu disposé à évaluer l’importance de celle-ci et son effet. Une autre publication récente, celle de Joseph E. Persico, Eleventh Month, Eleventh Day, Eleventh Hour, reconnaît que la deuxième bataille de la Marne a pris fin le 6 août mais n’en explique pas le déroulement. A l’identique, sans faire référence à la participation américaine, Allan Brinkley observe dans son manuel d’histoire américaine que «le 18 juillet les Alliés ont arrêté l’avance allemande et ont commencé une contre-offensive réussie». Il n’explique pas le rôle des Américains dans l’opération du 18 juillet, ni l’importance de leur participation.
En résumé, on peut dire que si certains auteurs, tels que Bruce, Johnson et Hillman, perçoivent l’importance de cette bataille, d’autres ne la comprennent pas et n’expliquent donc pas comment les Alliés ont pu reprendre l’offensive.
Un coup d’œil rétrospectif sur les monuments de l’après-guerre peut suggérer une approche renouvelée aux historiens américains spécialistes de la Grande Guerre. Après la guerre, la France a reconnu la nature multinationale de la deuxième bataille de la Marne et son importance. Dans deux monuments-clés de cette région, des soldats américains ou alliés figurent aux cotés des soldats français. L’un de ces monuments se situe à Beugneux, à mi-chemin entre Soissons et Château-Thierry. Il se compose d’une statue qui symbolise la France et d’une autre, plus grande, représentant huit fantômes dont l’un semble être un Américain. L’autre monument se trouve en Champagne, au nord de Souain et proche de la Ferme de Navarin. Il commémore ceux qui sont tombés dans cette région, y compris un Américain armé d’un fusil-mitrailleur français. Pris dans leur ensemble ces monuments nous rappellent que la guerre demandait des sacrifices énormes et que la victoire alliée exigeait un sacrifice partagé par tous. Ils nous rappellent aussi que les Américains n’auraient pas réussi à faire ce qu’ils ont fait sans l’aide des Français, et que les Français n’auraient pu gagner ces batailles sans l’aide des Américains. En regardant ces monuments, les Américains devraient reconnaître que l’on ne peut comprendre l’expérience des Etats-Unis dans la Grande Guerre sans comprendre celle de la France. Certains historiens américains ont amorcé cette démarche, cela se mesure à l’aune des publications récentes, mais ces mêmes publications prouvent aussi qu’il reste beaucoup à faire.
Professeur à l’Académie de West Point
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14 juin 2017 – Il est entendu que John “Black Jack” Pershing débarquant du bateau et posant le pied sur le sol français, et proclamant “Lafayette, We Are Here” (ce qu’il n’ jamais dit, la chose ayant été dite avant lui par Charles E. Stanton et réattribuée, mythe déjà en formation, à Pershing par un officier des RP) ; les Sammies défilant par milliers dans les villes françaises en 1917, les journaux français chantant la gloire de la bannière étoilée illustrent l’événement du début de l’hégémonie de communication des USA sur la France (sur l’Europe), qui s’illustre par l’acte décisif qui permit la victoire de 1918. Je ne discuterais pas la première proposition, mais en remplaçant le mot “hégémonie” par l’expression “simulacre d’hégémonie” ; quant à la seconde, elle est outrageusement fausse, un mythe, une idole de la nouvelle religion transatlantique à laquelle la France en premier fit acte de “servitude volontaire”.
Il est important de déconstruire cette architecture subversive de déconstruction de la vérité historique (“déconstruire une déconstruction”). Il est essentiel de savoir que les USA jouèrent un rôle opérationnel très mineur, – à peine supérieur à celui des valeureux Belges, qui sont tout de même dans une autre échelle de puissance, – dans la victoire de 1918. Au contraire, cette victoire fut assurée pour l’essentiel par une armée française irrésistible, absolument transformée, reconstituée, renée en une puissance opérationnelle, humaine et industrielle, comme la première armée du monde après la terrible année 1917 (Le Chemin des Dames suivi des mutineries) ; et l’armée française secondée dans l’irrésistible victoire stupidement sacrifiée sur l’autel d’une diplomatie où la trahison s’exprima de tous les côtés chez les Alliés, par la participation étonnante de puissance et de courage de l’armée italienne contre l’Autriche-Hongrie.
Un petit bouquin qui ne paye pas de mine vous règle tout cela, allant dans le sens que j’ai toujours eu intuitivement à partir de certains faits militaires avérés. L’intérêt du Mythe du Sauveur Américain – Essai sur une imposture historique de Dominique Lormier (*) est dans ceci qu’il nous donne une synthèse rapide du phénomène (l'imposture), charpentée sur une multitude de détails essentiels et de citations venues des archives, sur les effectifs, les matériels, la répartition des forces, les opérations et les chefs qui les dirigèrent, durant cette période décisive entre la fin du printemps 1918 (avril-mai) et l’armistice du 11 novembre. Une place essentielle est faite sur la posture des forces américaines, leurs effectifs, leurs opérations, leur comportement.
Le livre commence par un chapitre consacré aux opérations entre le 21 mars et le 1er mai 1918, ou comment l’armée française sauva l’armée britannique du désastre sans la moindre participation américaine. (Foch comme généralissime des forces alliées depuis mars joua un rôle d’influence prépondérant dans cette opération, convainquant un Pétain [commandant en chef de l’armée française] qui pensait à garder ses forces de réserve essentiellement pour couvrir Paris, d’en détacher une partie pour soutenir l’aile droite des Britanniques, avec leur VIème Armée en pleine déroute.) Le 1ermai 1918, les Français tiennent 700 des 850 kilomètres du front de l’Ouest, alignant 110 divisions, avec 12 divisions belges, 46 britanniques, 4 américaines et 2 italiennes, contre 204 divisions allemandes. Le 1er août 1918, il y a 1.300.000 soldats américains en France, mais seulement 150.000 ont été engagés dans les combats. Ce contingent a participé avec grand courage à la deuxième victoire de la Marne de juillet, la bataille décisive de la fin du conflit, alors que les Français alignent 1.100.000 combattants qui se battent non moins courageusement dans cette même bataille. Le 1er novembre 1918 sur la ligne du front de l’Ouest en France, l’armée américaine aligne 400.000 combattants, dont 200.000 considérés comme non encore aguerris, tandis que l’armée française déploie 2.600.000 combattants, l’armée britannique 1.700.000, l’armée belge 170.000 et l’armée italienne 60.000. La France dispose d’une écrasante supériorité matérielle qu’elle utilise avec une souplesse et une efficacité exceptionnelles. (Pour les chars par exemple, 2.600 suppléés par les 610 de l’armée britannique, et 250 chars français livrés aux Américains, contre 50 chars du côté allemand)
Directement derrière l’armée française, on trouve comme contributrice essentielle à la victoire générale l’armée italienne avec ses 2.204.000 combattants, qui obtient la capitulation de l’Autriche-Hongrie huit jours avant l’armistice du 11 novembre. Lormier insiste sur la façon indigne dont l’Italie fut et reste traitée dans l’historiographie de la Grande Guerre, y compris par des historiens français, et bien entendu abondamment par les historiens anglo-saxons qui limitent la vista et la puissance des forces alliées dans la Grande Guerre aux seuls Britanniques renforcés par les glorieux Américains. Il cite les observations admiratives du courage des Italiens de Pétain et de Mangin, et rapporte cette note du maréchal Hindenburg : « Beaucoup plus que l’engagement de quelques divisions américaines sur le front occidental, ce fut la défaite de notre allié austro-hongrois contre l’Italie qui nous poussa à conclure aussi rapidement un armistice avec les Alliés. La perte d’une soixantaine de divisions austro-hongroises était pour nous un désastre irrémédiable... »
A la litanie des chiffres absolument impressionnants s’ajoute celle des faiblesses de l'armée US. L’amateurisme des Américains, leur absence d’organisation, leurs difficultés à mettre en place des commandements capables de maîtriser les opérations, leurs déficiences en matériels, leurs erreurs tactiques, le peu d’attention portée aux pertes par Pershing, tout cela doit être pris en compte pour pulvériser le mythe qui a été imposé à nos mémoires, sans pour autant ignorer le courage exceptionnel que montrèrent certaines unités, notamment durant la deuxième bataille de la Marne, et le combat légendaire livré par une brigade des Marines dans la bataille du bois de Belleau.
Ainsi pulvérise-t-on le mythe simplement en découvrant ce qui, justement, a permis au mythe de s’installer, confirmant le caractère absolument inverti de la modernité et l’avantage donné au simulacre contre le modèle. Les difficultés américaines à s’adapter et à intégrer les enseignements des détachements (français) chargés de les entraîner, leur tendance à ajouter du poids là où la qualité ne s’affirme pas et à mettre l’accent sur l’abondance de la logistique pour dissimuler la faiblesse de la participation au combat, – ce qui débouche sur une armée d’un million six cent mille hommes installée en France pour 400.000 soldats déployés sur le front et en réserve opérationnelle le 11 novembre, – tout cela donne à la population et aux différents moyens de communication (presse & le reste) l’impression d’une force gigantesque installée en France, en cela véritable simulacre. Les consignes du pouvoir politique d’acclamation et de publicité exaltées de l’aide US font le reste, dans une occurrence où les chefs militaires les plus expérimentés ne sont parfois pas en reste.
(La phrase de Pétain après sa prise du commandement en chef et l’apaisement des mutineries en juin-juillet 1917 pour résumer sa stratégie, — « J’attends les chars et les Américains », – est extrêmement malheureuse, parce qu’à moitié vraie et à moitié fausse : qu’il ait attendu les chars, tout le monde le comprend et partage cette attente, d’autant que les Français produisent les meilleurs chars, très rapidement, et sont les plus habiles à en comprendre l’emploi et l’efficacité. Mais “attendre les Américains” ? A part l’apport psychologique de cette attente en 1917 où le moral français était très atteint, c’était bien inutile et l’on comprend aisément que le but prioritaire de Pershing en France était de constituer et de garder à tout pris l’autonomie de son armée de l’emprise des Alliés, pour imposer à Washington D.C. le fait accompli de l’installation d’une grande institution militaire. Pour le reste, Pershing comme Wilson était persuadé que la guerre durerait jusqu’à la fin de 1919 et consacrerait opérationnellement la prédominance institutionnelle de l’U.S. Army.)
L’entreprise de la construction du mythe de l’invincibilité de la puissance de l’américanisme (utilement complété par le “déclinisme” français débouchant sur l’auto-flagellation actuelle) qui va empoisonner tout le XXème siècle jusqu’à nous, et qui se poursuit en ce début de XXIème siècle, cette construction s’achève par la faute majeure du pouvoir politique, notamment le français qui ne semble pas avoir réalisé que la puissance française sur le terrain lui donnait la capacité d’imposer une nouvelle situation stratégique pour la victoire, qui aurait totalement modifié la suite. Les grands chefs militaires (Foch, Pétain, Mangin, Castelnau) jugèrent catastrophique que l’armistice ait empêché « la puissante offensive en Lorraine [sous les ordres de Castelnau], avec les VIIIème et Xème armées françaises, regroupant 20 divisions et 600 chars. Ce coup de grâce devant permettre d’envahir l’Allemagne, uniquement avec des unités françaises, n’aura pas lieu. [... Les chefs militaires] estiment que c’est une faute capitale d’annuler cette offensive. En effet, l’Allemagne préserve pour le moment son territoire de toute occupation étrangère, donnant ainsi le sentiment à la population et à ses militaires qu’elle n’a pas été réellement vaincue. »
Les pacifistes sont satisfaits de terminer au plus vite “la der des ders” et, quant aux autres dont nous-mêmes, nous héritâmes de Hitler & le reste en prime.
Note
(*) Le Mythe du Sauveur Américain – Essai sur une imposture historique de Dominique Lormier, éditions Pierre de Taillac, Paris 2017.
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