Les Américains redressent les torts des tortureurs du monde entier

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Les Américains redressent les torts des tortureurs du monde entier


4 janvier 2006 — Les Américains nous présentent un spectacle étrange : au plus ils annoncent qu’ils vont quitter l’Irak, au plus ils agissent effectivement dans ce sens, au plus ils s’y trouvent engagés… D’autre part, autre scène et autre thème du spectacle étrange : au plus ils se compromettent dans des actions condamnables, au plus ils s’érigent en justiciers contre la même sorte d’actions condamnables. Il s’agit de la mise en évidence du phénomène de cloisonnement qui caractérise autant la psychologie que les structures socio-bureaucratiques américanistes, et qui interviennent dans des domaines très différents, — pour les cas qui nous importent : le domaine opérationnel pur (entraînement et surveillance des policiers irakiens) et le domaine moral. En effet, il s’agit du cas exemplaire de la police irakienne et de l’intervention américaine dans ce cadre.

Des rumeurs alarmantes autant que des faits patents ont attiré l’attention des Américains sur la pénétration de la police irakienne par les milices islamistes extrémistes. D’autre part, les sévices divers de la part des Irakiens, notamment de leur police, mis en évidence ces dernières semaines sont mis par les Américains au compte de ces mêmes milices et de leur pénétration des unités de police. Les Américains ont donc décidé de contrôler et d’encadrer la police irakienne de façon beaucoup plus importante.

Le Guardian du 31 décembre 2005 observait : «  Thousands of American troops will be assigned to Iraqi police units to monitor their work and rein in those who abuse prisoners, according to US military officials in Baghdad.

» The decision was made following a series of scandals involving Iraqi interior ministry forces including the discovery, last month, of dozens of emaciated and tortured inmates during a raid on a secret prison with almost 170 prisoners. American officials, who fear the influence of militias in the police force, have since found evidence of maltreatment in two other Baghdad prisons and another in Tal Afar in northwestern Iraq.

» At present about 40 American soldiers are attached to each of seven of the nine special Iraqi police brigades. Under a plan, expected to be announced in Washington in the coming weeks, all the units will get several hundred advisers each. »

La situation est paradoxale, à un double propos.

• Les Américains veulent laisser de plus en plus d’autonomie à la police irakienne, dans le cadre général du transfert des responsabilités de sécurité en Irak vers des forces irakiennes. Ils sont conduits pour cela à affecter des forces de plus en plus importantes à l’encadrement de cette police. C’est un premier paradoxe qui est basé sur des faits objectifs (la situation de la police, la pénétration effective de leurs effectifs par des islamistes), aboutissant à des décisions qui impliquent un engagement encore plus grand des Américains. Tout cela se réalise dans un cadre psychologique général nourri à un axiome indéboulonnable: les Américains sont évidemment capables d’apporte à la police irakienne une formidable expertise, aussi bien pour débusquer ceux qui, dans les rangs de cette police, ont un comportement suspect, que pour accroître leur efficacité pour le rétablissement de la sécurité. Cet axiome est évidemment paradoxal dans la mesure où il conduit à la question de savoir pourquoi les Américains n’ont pas utilisé et n’utilisent pas cette expertise pour eux-mêmes, lorsqu’ils ont lutté et lorsqu’ils luttent contre les “insurgés”.

• Le second paradoxe est que cette accentuation du contrôle américain se fait également au nom d’impératifs humanitaires. Les Américains seront avec les policiers irakiens pour empêcher des abus, des mauvais traitements, des tortures, etc. Certes, on retient un peu son souffle : après tout, les performances des Américains dans tous ces domaines ont été notables ces derniers mois, et beaucoup de publicité a été faite à ce propos.

Dans le commentaire signalé plus haut, on trouve une remarque du Guardian sur la contradiction inhérente à cet interventionnisme accru des Américains : « The assertion of US control over the police indicates a growing involvement in Iraq's internal affairs even as Washington seeks to scale down troop levels elsewhere. But a spokesman for the multinational force denied this. “This is not about oversight or watching our partners,” he said. “We want to be positive role models, to provide experience and assets, so Iraq can transition to civil security ...”. »

La réponse est étonnante parce qu'elle ne répond pas à la question. On interroge les Américains sur leur engagement et leur interventionnisme, — qu'ils veulent faire cesser et qu'ils accentuent. Ils répondent qu'ils ne s'engagent pas plus ni n'interviennent plus mais, au contraire, qu'ils veulent aider les autres à s'améliorer (donc à être plus autonomes) et se désengager eux-mêmes... tout cela en s'engageant et en intervenant plus. Cela ressemble à la ré-invention du mouvement perpétuel.

Ce phénomène de cloisonnement est extrêmement caractéristique du système de l’américanisme, et de la psychologie américaniste, — avec l’hypothèse directe d’un rapport entre l’un et l’autre (le système socio-bureaucratique influe-t-il sur la psychologie? A notre sens, oui, sans aucun doute). Ce phénomène a des avantages incontestables et puissants, et des désavantages à mesure, voire peut-être plus grave dans leurs conséquences. Il explique l’extraordinaire capacité des Américains à commettre des actes indiscutablement condamnables, tant juridiquement que moralement, et à poursuivre leur leçon de morale générale au monde entier, avec un aplomb et une autorité qui impressionnent nombre d’âmes faibles et qui constituent un incontestable avantage au niveau de l’influence et de la communication. Il explique également les erreurs extraordinaires qui sont commises par ces mêmes Américains dans le cours de l’exploitation de situations où ils ont pourtant une position de supériorité affirmée.

Cette particularité qui leur est très spécifique explique que les Américains sont à la fois leurs propres promoteurs et leurs propres bourreaux. Qu’ils en arrivent aujourd’hui à être détestés comme ils le sont montre que les avantages de ce cloisonnement de leurs psychologies l’ont largement cédé aux désavantages. Le déchaînement de la politique GW Bush après 9/11 y est pour beaucoup, mais nullement la seule explication de cette évolution. GW et 9/11 n’ont fait que pousser au paroxysme une tendance déjà fortement affirmée sous Clinton. Depuis que les USA n’ont plus l’épouvantail soviétique pour expliquer leur affirmation tyrannique et paradoxale sur le reste du monde, ils subissent une baisse régulière et catastrophique de leur influence.

Notre hypothèse est également qu’on aurait tort de rechercher une démarche machiavélique dans cette attitude, notamment parce qu’il nous semble que le phénomène, qui s’apparente absolument au virtualisme, affecte les formes psychologiques, l’outil du raisonnement, plus que le contenu du raisonnement. Les Américains sont conduits à conclure et à agir comme on les voit faire à cause du traitement que leur psychologie fait subir aux situations, — si l’on veut, “en toute bonne foi”.

Accessoirement, on comprend que ce traitement conduit les Américains à affirmer la nécessité et les contraintes de la souveraineté nationale chez les autres d’une part, et à les violer d’une façon si impudente qu’on a de la peine à le croire d’autre part. Le cas de la police irakienne est évident : on a là le cas d’une force extérieure (US) qui affirme la nécessité absolue de l’autonomie des forces irakiennes d’une part, et qui bafoue de plus en plus cette autonomie d’autre part. On en arrive à un autre axiome, dérivé du premier ; les Américains violent de plus en plus l’autonomie et la souveraineté des autres pour permettre à ces mêmes “autres” d’affirmer leur autonomie et leur souveraineté. De même, selon l’image fameuse, détruisaient-ils les villages vietnamiens pour leur permettre d’être complètement libre ; de même peut-on observer que l'excellent GW, avec ses écoutes illégales pour lutter contre le terrorisme, en arrive à ce programme original: « to destroy our country in order to save it ».