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29 mai 2005 — Pendant que l’on vote, et en anticipant un possible résultat négatif de ce vote, le site EUObserver.com nous rapporte les inquiétudes paradoxales de diverses personnes proches l’industrie US de défense en cas de vote négatif aujourd’hui. Cela se disait et se passait le 26 mai, à Bruxelles, à une réunion du New Defense Agenda, — et cette étonnante inquiétude américaniste était assortie d’une reconnaissance clairement dite des limites dramatiques des capacités militaires des USA.
« A possible French “no” to the European Constitution referendum is causing some US defence industry chiefs concern. “I am worried about the repercussions in European Foreign and Security Policy if the French vote no on Sunday”, said Robert Bell, a former NATO and White House official turned defence industry executive.
» Speaking on Thursday (26 May) at a conference organized by the New Defence Agenda, a pro-defence industry forum, Mr Bell added that the EU needs more defence integration and needs to be up to the challenge of stabilizing the situation in Kosovo, “which could re-ignite at any moment”, he added.
» The US needs a stronger EU with which it can share the burden of military operations in the world, said a veteran US lobbyist present at the meeting. “We [the US] are too stretched, and, let’s face it, we are going broke”, he added. »
Dans son éditorial du Weekly Standard à paraître le 6 juin, le chef de file des néo-conservateurs William Kristol cite un journaliste du Figaro écrivant dans le Wall Street Journal (ouf… c’est la globalisation) : « Ivan Rioufol suggests, the referendum, whatever its outcome, has already had a “liberating effect.” Rioufol explains, “It introduced freedom of speech into the French political debate...” » Le fait est que l’effet libérateur vaut aussi pour Kristol, qui termine son édito par cette étrange déclaration d’amour: « Vive la France » (in french in the text). Cette exclamation, dans les pages de l’hebdo de référence des néo-conservateurs, et dans l’édito du directeur en plus, vous fait vous pincer amicalement…
Aussi bien, nous étendrons encore plus la remarque : sans aucun doute, le référendum français et tout ce que son “non” programmé contre l’avis de ses élites unanimes a de signification psychologique pour toute notre époque et son système étouffant de conformisme, a un effet libérateur universel (ah, l’universalité de la France), — y compris, après tout Kristol nous le suggère, dans les élites anglo-saxonnes … Alors, pourquoi pas dans les élites du complexe militaro-industriel, qui respirent comme vous et moi, comme tout être humain normalement constitué?
Voilà donc notre principale explication, qui est évidemment psychologique, pour ces déclarations de gens plus ou moins proches des milieux industriels et de défense US, telles qu’elles sont rapportées ci-dessus. Leur crainte d’un vote négatif en France est paradoxalement l’effet d’une même libération de la pensée que le « Vive la France » d’un Kristol défenseur enthousiaste du “non”. Elle est l’expression dite sincèrement de leur crainte que les projets de défense européenne capotent, alors que, comme on vous le dit franchement, les USA ont tellement besoin de leurs puissants alliés (clin d’œil aux Frenchs évidemment, les “Britts” ne valant plus grand’chose, avec leurs pieds pris dans les sables irakiens et mouvants). Cette phrase surtout, citée dans le texte, résonnant comme un aveu pathétique : « We [the US] are too stretched, and, let’s face it, we are going broke. »
Il est difficile de tenter d’expliquer ce que nous ressentons intuitivement avec une grande force, et qui s’exprime depuis des décennies notamment par des positions américaines contradictoires sur l’Europe, et qui s’exprime si fortement ces dernières semaines par des prises de position contrastant avec l’habituelle arrogance agressive de l’Amérique bushiste (voir les réactions officielles mesurées des Américains). Il y a vraiment un effet libérateur, qui conduit à plus de franchise. (Pour autant, on reste mal informés comme un bon vrai Américain, avec toutes les contradictions du monde, comme le brave Kristol faisant l’apologie du “non” libérateur des Français, et citant parmi les espoirs nés de cette libération qui va transformer l’Europe, — la France obligeant l'Europe à se réformer, si l'on veut, — le non moins brave Sarkozy, partisan prudent du “oui” et enthousiaste de l’Europe qui va “obliger la France” à se transformer.)
C’est-à-dire que les Américains, qui se battent comme des fous contre tout projet de défense européenne, qui fustigent l’Europe pour son impuissance de “nain militaire”, vous disent dans cet instant de vérité qu’ils ont bien besoin de cette défense européenne en train de se faire, pour qu’elle prenne en mains ce fardeau qu’eux-mêmes ne peuvent plus porter. Qu’ils se rassurent, ces braves Américains: même si c’est “non” (on verra ce soir), la défense européenne poursuivra son chemin, puisque c’est de l’intérêt des principaux pays européens, — et, on en est désormais assurés et rassurés, puisque c’est de l’intérêt complémentaire des Américains…
Tout cela (la séance de vérité) ne durera que le temps du vertige des événements pressants. Bientôt, nous retrouverons les vitupérations anti-européennes, arrogantes et agressives. Qu’importe, le temps d’un instant, ce fut une incursion dans la réalité. Voilà qui marquera les psychologies.
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