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10 mai 2007 — Tout se tient, à Washington encore plus qu’ailleurs. Ce que le Congrès ne peut obtenir sur la question irakienne, par paralysie de la volonté politique autant que par solidarité de système, il tente de l’obtenir là où il peut agir efficacement : sur les questions budgétaires où il a la haute main, notamment celles qui affectent le Pentagone hors-Irak. Que veut obtenir le Congrès ? Une plus grande autorité, plus de pouvoir, plus de privilèges, par rapport à un exécutif qui ne prend pas de gant avec lui. C’est un simple affrontement de pouvoirs concurrents à l’intérieur d’un système devenu irresponsable et il ne faut pas chercher d’intentions politiques spécifiques. Par contre, les conséquences sont politiques.
Venons-en au fait. Il s’agit des anti-missiles (BMD) que le Pentagone veut déployer en Europe. L’intention a mis d’ores et déjà en place les prémisses d’une crise majeure, notamment avec la Russie, au sein de l’OTAN et au sein de l’UE. Désormais, un nouvel acteur s’affirme. Non seulement le Congrès US est entré dans la danse mais il entend y imposer son rythme. La parution d’un article sur cet aspect de la question dans la presse générale en est une sérieuse indication, alors que la discussion sur le budget n’en est encore qu’au niveau des commissions ad hoc.
L’article signale, par sa tonalité et par ses indications, que la majorité démocrate est en train de transformer cette question du système anti-missiles dans sa composante politique en un dossier politique, — mais de pure politique intérieure pour l’instant, — où elle affronterait l’administration GW Bush. Par contre, les critiques démocrates sont essentiellement d’ordre technique, portant sur la maturité et l’efficacité du système, et pratiquement pas sur son aspect politique.
«The Bush administration's proposal to construct two missile-defense bases in Europe has roiled relations with Russia and provoked sharp questioning in NATO capitals, where critics ask: With the system still unproved and, under the best of circumstances, years from completion, why rush construction now?
»Now the Democratic majority in Congress is moving toward budget cuts aimed at slowing the administration's plans to break ground this year on a missile interceptor base in Poland.
»Representative Ellen Tauscher, Democrat of California and a key member of the House Armed Services committee, said the panel would approve “only prudent investments” in what she labeled “high-risk, immature programs” to shoot down long-range missiles, such as the new system advocated for Europe.
»The administration wants to begin digging silos for 10 interceptors in Poland and laying the foundation for a tracking radar in the Czech Republic this year to defend Europe against what the Pentagon calls a looming long-range ballistic missile threat from Iran. But in a vote scheduled for Wednesday in Washington, the House committee was expected to approve only a study of the “political, technical, operational, force structure and budgetary aspects” of those missile sites.
»The committee bill would cut $160 million from funds proposed for construction in Poland, as part of $764 million in cuts from the $8.9 billion the administration has sought for the Pentagon's Missile Defense Agency.
»A cut of $160 million would prevent breaking ground on the interceptor silos in Poland, while leaving funds in the proposed 2008 budget to move forward with buying the interceptor missiles and the radar for the Czech Republic, congressional officials said.
»The measure faces a vote by the full House, while similar discussions are under way in the Senate, where the new Democratic majority is also skeptical of the program.»
Il s’agit là d’un développement typiquement washingtonien, ayant assez peu de rapport avec l’aspect politique de la crise en Europe. Mais, naturellement, les effets seront politiques. L’administration GW et le Pentagone vont se trouver, si les démocrates insistent et accentuent leur offensive, dans une position très délicate.
• Pour diverses raisons, dont essentiellement la poussée bureaucratique habituelle, le Pentagone a “inventé” cette affaire et effectivement mis dans l’actualité politique et stratégique européenne cette question des anti-missiles. Au-delà, par simple logique, il a rouvert le dossier de la militarisation et de la “re-nucléarisation” de l’Europe. Il a créé une crise politique qui implique, si Washington veut la contrôler et tenter de l’emporter, le développement sans ralentissement du projet. C’est le Pentagone, avec sa logique extrémiste habituelle, qui s’est placé lui-même dans cette position extrême. Il faut assumer, sinon l’on risque de perdre des soutiens et des engagements.
• Pour justifier les pressions qu’il exerce en Europe, le Pentagone a tendance à dramatiser la prétendue “menace” et l’urgence des mesures à prendre. Ce faisant, il renforce l’alerte politique, aussi bien chez les partisans que chez les adversaires du système. • Le Pentagone a engagé des pays européens (la Pologne et la Tchéquie) dans la voie de la coopération et les a placés de ce fait en position d’antagonisme avec certains autres au sein de l’UE et de l’OTAN. Dans cette position difficile, les deux pays se justifient, non plus par l’argument des anti-missiles qui est vraiment poussif, mais par celui de l’engagement direct des USA comme protection contre une soi-disant “menace” russe. Là, précisément, le problème est passé du particulier (anti-missiles) au général (la sécurité européenne) ; qu’importe que le système marche ou ne marche pas, l’essentiel devient l’engagement US.
• Le Pentagone va jusqu’à risquer des divisions graves au sein de l’OTAN, comme on a pu le deviner lors de diverses réunions, derrière une unanimité de façade purement attentiste.
On comprend que l’intervention du Congrès apparaisse comme un épouvantable coup bas dans le jeu du Pentagone. Elle déforce complètement son argumentation, réduit les arguments des pays engagés dans le système, renforce l’argument des adversaires du système. La crise devient multipolaire et contradictoire pour le Pentagone, chacun de ses arguments pouvant être utilisé contre lui selon le côté qui en use. (Comment croire à l’urgence de la “menace” si le Congrès estime qu’il faut repousser les premiers travaux des bases à installer en Europe? Comment croire à l’argument de l’engagement US si celui-ci dépend du succès ou pas de l’un ou l’autre test de missile? Et ainsi de suite.)
D’autre part, ce désordre américaniste peut donner des idées aux adversaires d’un système US mais partisans d’un système anti-missiles. Les partisans d’une coopération européenne, éventuellement avec la Russie, peuvent envisager de sortir du bois et de proposer leur propre schéma.
En attendant, Polonais et Tchèques vont pouvoir commencer à goûter les délices d’une alliance avec un pouvoir (US) complètement morcelé. Il est bien possible que leur engagement dans ce programme à la lumière de l’implication du Congrès conduise ce dernier, finalement, à envisager l’aspect politique de la question du point de vue qui implique l’intérêt des USA : est-il intéressant d’envisager de tels engagements de sécurité de facto avec des pays comme la Pologne et la Tchéquie, au risque de s’aliéner la Russie, peut-être certains pays européens, voire de déclencher une crise européenne de première dimension?