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4 juin 2007 — Poutine a réussi son “blitz” médiatique et a probablement installé de force la question des anti-missiles US en Europe au cœur du G8. Enfin, peut-être pas exactement au cœur parce que la concurrence est rude avec le chaos installé par le désaccord USA-ROW sur la question de la crise climatique. On verra...
La presse britannique, surtout, a réagi avec force et éclat à l’intervention du président russe, déjà signalée sur ce site. Les commentaires de cette presse sur l’intervention de Poutine, notamment sa façon de “gérer la presse”, sont à la fois méprisants et contradictoires. Ces commentaires de Bronwen Maddox, du Times, transpirent le mépris et l’arrogance anglo-saxonne pour ces pauvres Russes rétrogrades, — mais n’a-t-elle pas l’air de dire, finalement, madame Maddox : “Pauvres Russes, vous ne savez vraiment pas comment vous y prendre pour manipuler la presse et lui faire dire ce que vous voulez qu’elle dise, de la façon dont vous voulez qu’elle le dise”, — comme s’il y avait une certaine fierté, du type “servilité volontaire”, de la part de la presse la plus professionnelle du monde, pour la façon dont les autorités politiques lui font habituellement croire ce qu’elles veulent. (Tout cela s’appelle, en langage chic : “ media management”.)
Mais, finalement, la différence entre Poutine et les autorités manipulatrices anglo-saxonnes est peut-être dans ce que ses affirmations tonitruantes concernent quelque chose de réel (les anti-missiles US, sommet de la stupidité agressive et provocatrice), ce qui n’était pas le cas des ADM de Saddam. Est-ce là où le Russe mérite d’être mal jugé, puisqu’il n’essaie même pas de faire gober des mensonges à la presse ?
Voici donc Maddox, du Times, peu satisfaite de n’avoir pas les égards habituels des manipulateurs :
«The Kremlin had summoned a newspaper from each of the G8 countries –Britain, the US, Russia, Japan, Canada, Italy, France and Germany – and employed an international public relations company to “put Russia’s message across” before the annual summit, which begins on Wednesday in Heiligendamm, Germany…
(…)
»It is not often, these days, that media management is so poor that it warrants comment, but the Kremlin, having gone to such lengths to stage the audience with the President, then threw away, in that reflex of control, the pages of newsprint cleared by editors in seven countries to receive his words. The man from Nikkei let out a long exhalation of disbelief; the Globe and Mails lumped into a leatherette swivel chair to break the news to Toronto; Le Figaro fixedly studied a crystallised fruit pinched between thumb and forefinger.
»“You can’t phone the White House on Sunday,” said a Kremlin press apparatchik, incredulous that any other leader might overtake Mr Putin in the competition for the airwaves, apparently ignorant of the Bush Administration’s round-the-clock advocacy or the sour tenacity of the Blair press machine even in its fading hours.»
Pour le reste, on peut observer que les déclarations de Poutine sont accueillies avec la plus grande alarme.
• Le Times de ce matin, sous le titre de «Putin raises spectre of nuclear war in Europe» : «President Putin has warned the US that its deployment of a new anti-missile network across Eastern Europe would prompt Russia to point its own missiles at European targets and could trigger nuclear war.»
• Le Guardian de ce matin, sous le titre de «The new cold war: Russia's missiles to target Europe» : «President Vladimir Putin yesterday declared that a new arms race and cold war with the west had begun and announced that Russia would retaliate against US missile defence plans in Europe by pointing its missiles at European cities. In a hawkish speech that sets the stage for a frosty G8 summit this week, Mr Putin launched an extraordinary broadside at the west over missile defence, Kosovo and democratic standards.»
• L’Independent de ce matin, sous le titre «Putin: Russian missiles will be aimed at US bases» : «Russian President Vladimir Putin warned in an interview that US plans to build a missile defense system in Eastern Europe would force Moscow to target its weapons at sites in Europe. The threat, voiced in an interview with Italy's Corriere della Sera , marked one of Mr Putin's most strident statements to date against the US plans.»
• Le Financial Times de ce matin, sous le titre «Putin threatens to target missiles at Europe» : «Russian president Vladimir Putin has raised tensions over controversial US plans to install a missile defence shield in Poland and the Czech Republic by threatening to target Russian missiles at Europe.»
Il est intéressant de constater le paradoxe de notre époque médiatique et virtualiste. La leçon méprisante de Bronwen Maddox sur les Russes rétrogrades qui ne savent pas manipuler les médias (“ media management”) débouche en fait sur un écho formidable donné aux propos du président russe. L’effet recherché est obtenu, car il est manifeste que Poutine voulait dramatiser la situation. Qui manipule qui?
Dans les déclarations de Poutine, il n’y a rien de fondamentalement nouveau. Dès le 9 février à Munich, Poutine annonçait la probabilité d’une “riposte asymétique” au déploiement du système anti-missiles US et, depuis, l’hypothèse a été largement documentée, notamment du point de vue technique et opérationnel, avec l’idée centrale de missiles capables de menacer directement les bases US. Toute la rhétorique sur la course aux armements et sur le retour à la Guerre froide n’est pas non plus nouvelle. Les critiques contre l’Occident (surtout les USA) avaient déjà été largement développées à Munich.
Bien entendu, ce qui importe c’est le ton employé par Poutine. C’est également la “dramatisation” de cette présentation, impliquant que le président russe veut effectivement accroître l’intensité de la crise pour l’imposer comme un des sujets du G8. Ce n’est pas seulement une manœuvre anti-occidentale, c’est aussi une manœuvre de division des Occidentaux puisque l’on sait que certains à l’Ouest sont partisans d’une telle discussion lors du G8. Pour autant, les Russes n’apportent aucun élément nouveau.
La curiosité paradoxale de cette intervention de Poutine, c’est bien que la presse occidentale, et particulièrement anglo-saxonne, ait fait exactement ce que le président russe attendait d’elle. Du coup, elle donne raison à Poutine lorsque celui-ci dénonce ceux qui, dans les affaires internationales, jugent détenir la vérité («Certain participants in the international arena assume that their opinion is the ultimate truth. That, naturally, does not help create an atmosphere of trust.»). La presse anglo-saxonne juge détenir la vérité de la méthode autant que celle de la vertu à un point si extrême qu’elle se trouve parfois confrontée à des occurrences difficiles, où sa suffisance lui interdit de voir qu’elle est manipulée par ceux qu’elles dénoncent.
Pour le reste, quelques remarques de Poutine contribueront à rendre encore plus aimable le climat entre lui et certains de ses interlocuteurs occidentaux, surtout anglo-saxons.
• «“Let us not be hypocritical on human rights and democratic freedoms,” he said in a swipe at other countries, which is his favourite rebuttal technique. “Let us look what is happening in North America. It is horrible – torture, the homeless, Guantanamo, detention without normal court proceedings.” In Europe, he said, “we can see violence against demonstrators, the use of gas to disperse rallies”.»
• Poutine «had no objections to eventual European Union membership for Ukraine – where Russia cut off gas supplies in January last year in a row about pricing – but he attacked the notion of Ukraine joining Nato. He recalled an old joke about Erich Honecker, the last East German leader – you could tell which phone on his desk had the direct line to Moscow because it was the one with only an earpiece. “This is the way that Nato functions,” he said, “except that the phone is connected to Washington.”»