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717Frank Gaffney, Jr., est, dans la “nébuleuse” néo-conservatrice & apparentés, le grand surveillant de l’orthodoxie stratégique du domaine des anti-missiles. C’est dans ce rôle qu’il intervient avec véhémence dans le Washington Times le 19 octobre 2010 pour rappeler que le traité START-II signé en avril dernier par Medvedev et Obama pour la Russie et les USA est toujours devant le Sénat, attendant sa ratification, – et, selon Gaffney, sans beaucoup d’espoir de l’obtenir.
«This so-called New START treaty was in trouble even before it became clear that the window for Senate approval would be the short post-election lame-duck session. The expected influx next year of conservative Republicans - to say nothing of the prospect that one of them, Sharron Angle, may replace Majority Leader Harry Reid and that his Democratic Party may no longer be in the majority next year - all but ensures that New START will face even greater skepticism in the next session of Congress.
»Unfortunately for Mr. Obama, the prospects for getting what soon will be yesterday's Senate to go along with his radical disarmament agenda have been seriously diminished in recent days.
»There are 41 Republican senators today, and - thanks to the importance the framers attached to the Senate's responsibility for providing quality control on international treaties - just 34 of them can prevent ratification. At least that many, and perhaps virtually all GOP senators, can be expected to object to hasty consideration of this particular treaty on three grounds:…»
Parmi ces trois raisons, Gaffney énonce qu’il juge être le “droit de regard” que le traité donnerait aux Russes sur le développement du programme anti-missiles US, et cette interprétation étant celle de nombre de républicains. Gaffney cite une intervention de parlementaires US auprès de Clinton, à propos de “négociations” plus ou moins secrètes avec les Russes, limitant le programme ABM des USA. («A letter sent to Secretary of State Hillary Rodham Clinton on Monday by Sen. Jeff Sessions and others observed caustically that according to an “Oct. 1, 2010 Bloomberg report, Russian Foreign Minister Sergei Lavrov said the U.S. and Russia are close to reaching an agreement on missile defense.”») Gaffney fait appel à la vigilance des républicains pour empêcher une ratification “à la sauvette” par le Sénat en fin de mandat, entre les élections du 2 novembre et les vacances de fin d’année, avant l’installation du nouveau Congrès issu de ces élections du 2 novembre. (Ce nouveau Congrès devant être beaucoup plus dur à cet égard.)
@PAYANT Le système anti-missiles obstinément poussé par la bureaucratie du Pentagone et soutenu par l’industrie du complexe militaro-industriel, dont Gaffney est un relais idéologique tonitruant, est en train de devenir un facteur fondamental de légitimation de l’OTAN ou, si l’on veut mieux dire, un facteur fondamental de la permanente recherche de légitimation de l’OTAN. (Il n’est pas très original de rappeler que, depuis la fin de la Guerre froide, l’OTAN a perdu sa légitimité et que cette Organisation se trouve, pour ce qui est de son essence même, tenue en état de “survie artificielle”. Le remède idéal pour qu’elle retrouve une vie normale serait une nouvelle légitimité.) En novembre, au sommet de Lisbonne, il y aura une phase importante de cette recherche en légitimation, – comme on dit “recherche en paternité”, – avec une décision attendue des pays membres sur l’engagement dans ce programme, devenant ainsi un BMDE (Ballistic Missile Defense Europe) de l’Organisation.
Le BMDE nouveau style est devenu un point capital de l’“agenda” du secrétaire général de l'OTAN Rasmussen, d’autant qu’il devrait embrigader les Russes, dans les conditions qu’on a vues le 20 octobre 2010, avec en arrière-plan une “concurrence” avec un courant purement européen de sécurité européenne. Le BMDE-OTAN, c’est donc bien plus que le BMDE-OTAN, quelles que soient les interprétations actuelles, toujours sophistiquées, toujours intéressées, toujours plus on moins virtualistes ; c’est aussi un biais pour verrouiller des relations avec la Russie et ainsi faire de l’OTAN l’axe fondamental de la sécurité européenne.
Certains diraient que l’OTAN l’est déjà dans les faits, cet “axe fondamental”, ne serait-ce qu’en raison de l’inexistence de l’Europe. Mais l’OTAN vit dans l’angoisse fondamentale de son absence de sens, ou plus fondamentalement malgré le jeu de mots, de son absence d’essence si l’on veut, qui la prive de légitimité. D’où sa quête permanente pour trouver de nouveaux mécanismes, de nouveaux engagements qui pourraient satisfaire sa recherche en légitimation, lui faire retrouver sa légitimité perdue à cause de cette absence d’essence. Des liens fermes avec la Russie seraient un de ces moyens et sa recherche de tels liens est un axe central de sa politique : une légitimation de l’OTAN par la Russie, si l’on veut, si la Russie accepte pleinement une sorte de partenariat avec l’OTAN, qui serait une sorte d’intégration de la sécurité européenne où l’OTAN aurait enfin la place qu’elle désire. Mais la voie pour parvenir à ce but, c’est la complète éradication des craintes des Russes vis-à-vis du système BMDE ; l’offre de coopération sur les anti-missiles faite par l’OTAN aux Russes, après avoir été faite par les USA aux Russes, va évidemment dans le sens de la recherche de cette éradication.
C’est là que le désordre US joue son rôle de trouble-fête. Comme l’indique Gaffney, les républicains, avec leur tactique obstructionniste, et dans la perspective du renforcement de leurs positions avec les élections, tiennent le rôle clef face à une administration Obama timorée et sur la défensive. Les républicains ont une vision antagoniste du système BMDE, comme d’à peu près tout d’ailleurs ; par conséquent, ils soupçonnent les Russes de vouloir bloquer le système antimissiles US, de l’annihiler, pour prendre des avantages stratégiques essentiels. Plus encore, Gaffney introduit l’idée, qui a des chances de faire florès chez les républicains, que le système anti-missile as a whole (y compris le BMDE) doit être perçu comme complément d’une dissuasion nucléaire US dont ce même Gaffney affirme que l’efficacité est en pleine déroute. (Peu importe la réalité de toutes ces sornettes, nous sommes dans le discours virtualiste courant.) Cette vision tend à faire des Russes non des coopérants potentiels, éventuellement soumis, mais bien des adversaires que le système anti-missiles doit servir à contenir, comme les autres “menaces” d’ailleurs (y compris l’Iran, of course). Cette vision, on le comprend aussitôt, est totalement antagoniste de celle qui est aujourd’hui présentée au sein de l’OTAN, et dont on a dit quelques mots.
Le traité START-II est donc un point de fixation de cet antagonisme de conception, autant qu’un obstacle majeur, au travers de sa ratification, à tout accord entre l’OTAN et la Russie (et entre les USA et la Russie) sur la voie d’une coopération sur les anti-missiles. Si le traité est ratifié par le Sénat US, l’opposition aux USA clamera que c’est une capitulation sur les anti-missiles parce que START-II donne aux Russes un “droit de regard” sur ce système. (Dans ce cas, on se battra pour empêcher ce soi-disant “droit de regard” de s'établir concrètement au travers d’accords spécifiques, parmi lesquels on classera la recherche d’un accord Russie-OTAN.) S’il n’est pas ratifié pour le courant (c’est-à-dire avant le 31 décembre 2010 et le terme de l’actuel Congrès, ce qui paraît bien probable), le débat autour de son sort deviendra le cheval de bataille de cette même opposition, largement renforcée par les élections, pour dénoncer les limitations potentielles sur le système anti-missiles. Dans les deux cas, il s’agit d’une opposition potentielle dévastatrice à tout accord sérieux entre l’OTAN et la Russie sur le BMDE, et, par conséquent, un rude coup porté aux ambitions de légitimation de l’OTAN comme unique organisation de la sécurité européenne.
L’appendice de tout cela est que si START-II se trouve effectivement englué dans un débat furieux sur sa ratification, les Russes en tireront les conséquences. Privés de ce qu’ils considèrent (START-II) comme un moyen essentiel de stabilité stratégique, et de leurs meilleures relations avec les USA, ils retrouveront toute leur alacrité furieuse contre le programme BMDE, et se dresseront avec des exigences draconiennes face à la proposition de l’OTAN. A nouveau, l’OTAN verra son rêve de légitimation s’éloigner d’elle, à nouveau son humeur et ses perspectives s’assombriront à mesure.
Mis en ligne le 21 octobre 2010 à 06H38
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