Les antimissiles OTAN, Medvedev, Rogozine… et START-II

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Première version, si l’on veut, celle de l’AFP, reprise par Defense News, du 26 novembre 2010, concernant la réunion entre les dirigeants des pays de l’OTAN et Medvedev au sommet de l’OTAN de Lisbonne, à propos de la question des antimissiles : «Russian President Dmitry Medvedev made no firm proposal to NATO about uniting their missile defense systems, a Russian ambassador said Nov. 26 after a report that the suggestion was rebuffed.»

Deuxième version, celle de UPI, reprise par Spacewar.com le 29 novembre 2010 : «NATO leaders have snubbed suggestions by Russian President Dmitry Medvedev to unite his country's missile system with that of the Western alliance.»

Ensuite, les deux dépêches reprennent à peu près les mêmes versions, qui sont principalement un démenti russe apporté par Dmitry Rogozine à un article du Wall Street Journal (WSJ) : «I was present in the room. ... Our president made no concrete proposal. He simply expressed the principles of cooperation that we support, such as equality between Russia and its NATO partners and that the future antimissile system does not constitute a risk for our nuclear deterrent arsenal.»

La dépêche UPI ajoute un élément intervenu entretemps (entre les 26 et le 29 novembres), qui détaille une réaction hostile des chefs militaires russes à certains aspects de la coopération OTAN-Russie sur la question des antimissiles… «Nikolai Makarov, chief of Russia's General Staff, said in the official Rossiiskaya Gazeta newspaper that the idea of Russia shooting down missiles headed over its territory for Europe and vice versa was simplistic. “For military men on both sides, this supposition looks, to put it gently, far-fetched. The fact is that any country with missile-defense systems would shoot down missiles approaching its borders without any international agreements”»

Notre commentaire

@PAYANT Les mêmes choses sont interprétées différemment, par le simple fait de l’introduction d’un texte à peu près similaire (les deux textes comportant à peu près les mêmes éléments). Pour le premier, il s’agit du démenti russe qui est élevé contre un article du WSJ, pour le second, de la prise en compte de l’article du WSJ comme faisant autorité dans l’interprétation, avant d’introduire comme nécessairement accessoire par la forme le démenti russe. Il y a donc une lutte d’influence en cours entre deux partis, d’une part celui des Russes qui veulent en rester à une position de non demandeurs devant la perspective que certaines de leurs demandes seront probablement repoussés ; d’autre part, celui du WSJ et de ce qu’il représente, qui veut montrer les Russes en position de demandeurs, et repoussés sur un point essentiel par l’OTAN. (Nous disons le “WSJ et ce qu’il représente”, parce que nous ignorons pour qui, en cette circonstance, roule le WSJ : pour l’administration elle-même, qui se serait servi de ce canal pour une fuite, ou pour la fraction dure de la droite US, anti-russe, et qui veut saboter toute tentative de coopération avec la Russie ? Nous optons pour la deuxième hypothèse, selon la simple appréciation que Obama, qui court aujourd’hui derrière une ratification de SALT-II, a comme intérêt essentiel de rester le plus proche possible des Russes, – y compris en cas de ratification). Le même raisonnement peut être utilisé à l’inverse pour la droite dure, adversaire de la coopération avec les Russes.

D’autre part, il y a aussi la question de savoir si Medvedev a réellement dit ce que le WSJ lui fait dire. La déclaration de Rogozine est péremptoire, et elle est risquée si elle n’est pas fondée puisqu’il n’était évidemment pas le seul témoin dans la salle. On serait tenté de lui donner quitus à cet égard. Dans ce cas, on trouve encore plus renforcée la thèse d’une attaque de sabotage de la droite dure US, via le WSJ. Cette observation n’est certainement pas démentie par le climat régnant actuellement à Washington à cet égard. Du côté russe, non plus, les choses sont loin d’être claires. Il semble évident que Medvedev est l’ultime rempart, à Moscou, d’une coopération approfondie avec les USA, et qu’il est certainement le plus chaud partisan d’une coopération de l’OTAN avec la Russie sur les antimissiles. Il n’ira pourtant certainement pas jusqu’à des concessions, ou des propositions dont le refus par l’OTAN mettrait la Russie dans une position d’humiliation.

Enfin, il y a l’observation, sempiternelle et qu’il faut toujours répéter, que ce dossier (les antimissiles) n’est en rien conduit par la politique. Il est entre les mains des techniciens, de la bureaucraties et des lobbies divers, allant des neocons au complexe militaro-industriel. Cela implique, dans tous les cas de figure, des complications sans nombre, des querelles de techniciens, d’intérêts divergents, de méfiances ataviques et ainsi de suite, et en aucun cas une logique politique extrêmement structurée. Le facteur est essentiel à considérer dans une situation politique normale, celle où le dossier antimissiles OTAN/Russie poursuivrait son chemin sans interférences majeures.

…Mais l’interférence majeure, nous ne sommes pas loin de l’avoir, si START-II n’est pas ratifié à Washington, et s’il n’est pas ratifié avant la fin de l’actuelle session de l’actuel et agonisant Congrès, dans trois semaines. Or, les augures ne sont pas encourageants, comme l’on sait un peu plus chaque jour. Si START-II n’est pas ratifié le 22 décembre 2010, cela constituera un coup de tonnerre qui modifiera complètement la situation des relations entre les USA et la Russie, entre la Russie et l’OTAN, et en Europe d’une façon générale. Ce constat n’a fait que s’aggraver ces dernières semaines, notamment parce qu’Obama a décidé de mettre tout son poids pour obtenir cette ratification dans ce laps de temps, et que, s’il ne l’obtient pas, la chose sera perçue comme une défaite majeure et, sans doute, comme l’enterrement de tout espoir de ratification. (Cela n’aurait pas été le cas si Obama avait accepté de renvoyer au prochain Congrès, malgré les faibles espoirs de l’obtenir, cette ratification de START-II. Mais Obama est aux abois et il ne pouvait, a-t-il estimé, se permettre de laisser passer cette affaire qui est l’un de ses seuls espoirs de grand succès politique, – s’il obtient cette ratification.)

Les Européens commencent à mesurer la situation complètement bouleversée où ils se trouveraient si START-II n’est pas ratifié. (Ils ont lancé des appels, dont l’écho nous paraît bien pathétique, auprès du Sénat US, pour pousser à la ratification.) La question des antimissiles deviendrait alors secondaire mais resterait extrêmement pernicieuse et dévastatrice  ; elle serait emportée par une tension politique nouvelle, qui s’exprimerait dans tous les sens (entre Russie et USA, Russie et OTAN, mais aussi entre l’Europe et les USA). Mais traduisons “tensions” par un mot qui résume tout à cet égard… Nous parlerons plus simplement de “désordre”, qui engloberait cette fois toute la sphère euro-atlantique et la Russie, avec les pays européens placés devant des problèmes et des choix bien complexes, à la fois pour leurs relations avec les US et pour leurs relations avec les USA.


Mis en ligne le 30 novembre 2010 à 10H11