Les armes de la liberté pour la Géorgie: spasmes et convulsions de la communication

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Joe Biden, avec sa clique autour de lui, avait, en Géorgie, à faire face à un redoutable problème: comment refuser sans paraître refuser les armes évidemment “défensives” que Misha Saakachvili ne manquerait pas de lui demander, comme il l’avait annoncé. Ainsi a-t-on pu assister à un savant exercice de communication où les différents mensonges à facettes multiples se sont succédés pour induire la pensée vers des conclusions inévitables. Pendant ce temps, les Russes martelaient qu’ils “prendraient des mesures” au cas où la Géorgie serait “réarmée”, de façon à continuer à faire peser sur les amis US une amicale et attentive pression.

• Ainsi avons-nous eu une première version, venue sur AP et que nous rapportons sur notre F&C de ce 24 juillet 2009. La chose va de cette façon:

«Georgia's president asked U.S. Vice President Joe Biden on Thursday for advanced U.S. weaponry, military aid and unarmed observers to monitor a cease-fire along the boundaries of two Moscow-backed breakaway regions, a senior U.S. official said. Biden made no promises of any U.S. military assistance, the official said, speaking on condition of anonymity. Georgia specifically asked for anti-tank and anti-aircraft weapons, he said. […]

»Biden emphasized to President Mikhail Saakashvili that military force should not be used to retake control of the two breakaway regions at the center of last year's war with Russia, and warned against taking any actions that could provoke a Russian military response, the official said. The vice president knows Saakashvili well and felt “comfortable speaking very bluntly with him,” the official said.»

• Deux heures plus tard, ce même 23 juillet 2009, nous eûmes une deuxième version, également d’AP; après tout, cette continuité de source fait que la rectification coule de source, si l'on veut, et cela pourrait marquer sans aucun doute que la première version était la bonne, celle qu’on ne veut pas trop voir accréditée et qui disait que les USA avaient simplement refusé la demande géorgienne. Cette fois, pour faire plus sérieux, l’“officiel US” prit un nom et un visage, bien que la rédaction de la dépêche voulût laisser croire que c’était l’“officiel” en chef venant rectifier une bourde de son subordonné. En fait, il suffisait d’annoncer que l’événement rapporté et détaillé, en réalité n’avait pas eu lieu.

«Biden's national security adviser Tony Blinken and a senior Georgian adviser denied that Saakashvili had asked Biden for anti-tank and anti-aircraft weapons and U.S. participation in an EU observer mission along its border with the disputed regions. The U.S. official who had told that to reporters earlier Thursday said later he had spoken in error.

»Saakashvili has previously expressed a strong interest in acquiring U.S. weapons as he seeks to rebuild his military after the war, and Georgian officials in recent days have said they wanted the U.S. to join the observer mission.

»But Blinken said the Georgians have not formally requested heavy weapons, and that the EU has not invited U.S. participation in the mission. Blinken did not rule out the U.S. providing either after a formal request.»

• L’entièreté de l’incident est rapporté, ce 24 juillet 2009, dans le Guardian, à l’ombre des avertissements russes de ne rien faire dans le sens de livrer des armes à la Géorgie. Annonçant qu’il n’y avait eu finalement pas de demande d’armes, la délégation Biden était plus à l’aise pour ignorer superbement l’avertissement russe qui ne peut s’adresser à elle puisque rien ne lui a été demandé.

«Russia warned today it would not allow Georgia to rearm amid signs that the government in Tbilisi had actively sounded out the Obama administration about rebuilding the military during a visit by the vice-president, Joe Biden, on the eve of the anniversary of last year's war.

»Russia's foreign ministry said it would take “concrete steps” to prevent Georgia from rebuilding its military capability, and served notice that it would sever military co-operation with any country that supplied arms to Tbilisi. It said it was “deeply worried” Georgia was preparing for another conflict, as tensions continue to rise ahead of the 7 August anniversary of last year's brief war.

»The stern warning from Moscow came after US officials indicated that Georgia's president, Mikhail Saakashvili, had asked Biden for US help to rebuild his armed forces following last year's crushing defeat by Russia. He had allegedly requested anti-tank and anti-aircraft weapons. Another US official later denied the request had formally been made. Any request for arms is likely to embarrass the White House at a time when it is attempting to reset relations with Russia. US officials also disowned earlier comments that Saakashvili asked Washington to send monitors to the tense border regions with South Ossetia and Abkhazia.»

• Un autre épisode, encore plus pantalonnesque, est venu ajouter à cette pantalonnade. Il est particulièrement bien mis en évidence par Novosti (ce 24 juillet 2009), qui en profite pour annoncer tout de go: «Les Etats-Unis prêts à réarmer la Géorgie.» Le raisonnement présenté par le porte-parole US (département d’Etat) est à retenir lorsqu’on sait par ailleurs que les USA ont largement répandu partout ce qu’on sait depuis un certain temps, et qu’a réaffirmé également le secrétaire général de l’OTAN lui-même, le 21 juillet, – à savoir, que l’entrée dans l’OTAN de la Géorgie (et de l’Ukraine) n’est plus, mais alors plus du tout à l’ordre du jour, – et, par conséquent, pas plus son réarmement pour pouvoir enfin entrer dans l’OTAN.

«Les Etats-Unis n'excluent pas la possibilité de réarmer la Géorgie qui a l'intention d'adhérer à l'OTAN, a annoncé lors d'un point de presse un porte-parole du département d'Etat, Philip Crowley.

»“Comme vous le savez, une des conditions fondamentales d'une adhésion à l'Otan est de posséder des équipements militaires qui répondent aux critères de l'Alliance et qui renforceraient les capacités militaires de l'OTAN”, a déclaré M.Crowley, avant de préciser que la décision de soutenir militairement la Géorgie n'influencerait pas les relations entre les Etats-Unis et la Russie. “Je suis convaincu que nous continuerons notre dialogue politique avec la Russie à ce sujet”, a souligné le porte-parole.»

Tout cela a-t-il une réelle importance? Il est difficile d’y croire encore de façon sérieuse. Les aventures américanistes dans la région caucasienne commencent à prendre une allure surréaliste, non pour le sérieux ou pas de la chose, mais pour les extraordinaires spasmes et convulsions de communication entre la réalité qu’il faut bien assumer de plus en plus, et la narrative installée durant les quelques années qui ont précédé, et qu’il faut bien faire subsister le plus longtemps possible puisque tout le monde croit de son devoir de faire semblant de continuer à y croire dur comme fer. De ce fait, la communication, c’est-à-dire l’information, prend un tour également festif, une sorte de tombola où vous n’avez qu’à faire votre choix de la version qui vous plaira, qui vous semblera la mieux convenir à la situation, – et dire: voilà la réalité. Quant à nous nous, comme nous l’avons signalé plus haut, nous en tenons à la première version, qui a l’attrait et le fraîcheur de la spontanéité.


Mis en ligne le 24 juillet 2009 à 15H47