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1158Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais, auteur fameux parmi nos classiques, fut également un activiste qui, au nom des Lumières, aida grandement les insurgents américains en révolte contre la métropole britannique. Dans son livre La revanche américaine, Gilles Perrault le salue de ce jugement tout de même ambigu: «[L]a justice impose de saluer la révélation d’un homme émergeant des égouts pour se hisser au niveau de l’Histoire.» Le problème de ceux qui s’en réclament, de Beaumarchais, dans tous les cas dans les temps incertains qui sont les nôtres, est de savoir s’ils n’ont pas fait une erreur de manœuvre – disons, sans y prendre garde, par maladresse – et choisi, pour l’héritage, les égouts plutôt que l’Histoire.
Le responsable de cette réflexion débutant par le cas d’une érudition éventuellement interlope, c’est un lecteur, qui se fait nommer opportunément monsieur “Pierre Augustin des Lumières” (nous lui donnons résolument un petit “d”), dans le Forum de notre Bloc-Notes du 28 septembre 2009, Forum également à la date du 28 septembre 2009.
Monsieur des Lumières s’en prend donc au fameux adage selon lequel “sans la liberté de blâmer, il n’est point d’éloge flatteur”, venu de Beaumarchais et tel qu’interprété par le quotidien parisien Le Figaro. Le quotidien a fait de cette pensée, depuis des lustres, son étendard; par conséquent héritier également, dont on ne sait si c’est par le haut ou par le bas, de Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais (tiens, Pierre Augustin est également dans le nom de monsieur des Lumières?). Rappel de la substance du message de monsieur des Lumières:
«Un peu fâché de lire un article et son titre dans le Figaro au sujet des “provocations” du Président iranien à la tribune des Nations-Unies, j’ai voulu dire un mot sur le forum. Je notais que le discours était assez sobre, certes très critique des Occidentaux mais jamais insultant ou semblant prêcher la “destruction d’Israël”, comme l’affirment péremptoirement nos quotidiens depuis deux ans alors que jamais ceci n’a été, nulle part, dit par le Président Ahmadinejad. Il ne s’est agit, depuis le début que du “régime sioniste”, ce qui a peu à voir, vous en conviendrez, avec une population, un territoire ou même un Etat.
»J’ai donc, poliment, remarqué cela et ajouté une référence à un sondage publié à Washington par le très sérieux “World Public Opinion” qui a étudié la réaction de l’opinion iranienne et découvert que 83% des Iraniens considèrent que Mahmoud Ahmadinejad est le président légitime de leur pays et que 83% (également) ont “confiance” dans les résultats de l'élection présidentielle du 2 juin.
»Voici ce qu’on m’a répondu: “Merci pour votre participation sur lefigaro.fr. Votre message et/ou contenu a été modéré. Les propos résolument agressifs dirigés à l’encontre d’une marque, d’un produit, d’un organisme, ou d’une personne ne sont pas admis sur cet espace. L’agressivité est proscrite de la ligne éditoriale lefigaro.fr.”»
Ce qui nous intéresse n’est pas tant ce que d’aucuns jugeraient comme un acte de censure, qui est pêché véniel par les temps qui courent, et pêché courant par conséquent, que la façon dont est appliquée ladite éventuelle “censure”. Cette façon constitue une bonne mesure, une de plus, du caractère virtualiste du système, car on ne peut qualifier la réaction qu’a obtenue monsieur des Lumières que par une référence au système, à ses us et coutumes. Il est manifeste que les réflexions présentées par monsieur des Lumières, telles qu’il les rapporte lui-même, étaient mesurées, raisonnables, référencées; elles pouvaient certes déclencher la discussion, le désaccord, etc.; il est très étonnant, sans aucun doute, de les voir qualifiées de «propos résolument agressifs», cela au milieu d’une phrase directement sortie d’un manuel du service juridique de la maison et sans le moindre rapport explicite avec le contenu du message.
L’intérêt est donc bien dans la méthode éclairée par cette réponse plutôt que dans le fond du propos, qui est directement sans le moindre intérêt. On pourrait comprendre, simplement, que l’on ait éliminé le message de monsieur des Lumières, sans lui donner signe de vie, sans rien de plus. Nous-mêmes, d’ailleurs, concevrions éventuellement qu’on pratiquât le rôle de “modérateur” de cette façon: on est maître chez soi et l’on décide que ceci ou cela n’est pas mis en ligne, selon des jugements qui sont celui du “modérateur” et que rien ni personne n’obligent à exposer. Cela s’appelle la responsabilité, qui indique que vous vous engagez dans un acte, que c’est votre décision, qu’on peut juger bonne ou mauvaise, etc., dont l’autre tirera les conséquences (“je n’irai plus sur ce site, je n’achète plus ce journal”, etc.).
Dans le cas exposé ici, rien de pareil; en quelque sorte, c’est l’expéditeur qui force Le Figaro à réagir comme il le fait, parce qu’il met à mal une vertu supérieure, et cela est exposé en toutes lettres. La référence n’a rien à voir avec le texte, avec l'argument, etc., mais cela n’importe pas. Ce qui importe, c’est la puissance virtualiste de la référence, qui imprègne tout le reste. Mettre en doute que les propos du président iranien ne sont pas l’horreur calamiteuse qu’on dit qu’ils sont, mettre en doute que son élection n’ait pas été illégitime, constituent des atteintes à une réalité virtualiste générale dont la référence virtualiste est absolument garante. Ces propos ne peuvent être que rejetés et ils le sont au nom de cette référence qui n’a pourtant rien à voir avec les remarques de l’expéditeur, ni avec le sujet traité. En un sens, l’expéditeur, des Lumières, a voulu mettre un pied dans la porte de l’univers clos du virtualisme, pour y entrer par effraction et sans le sauf-conduit qui va bien. Cela n’est pas convenable et il en est impitoyablement rejeté. Cela n’a rien à voir, ni avec la censure, ni avec la responsabilité, et tout avec le virtualisme, et cela n’a aucun rapport avec ce dont parle l’expéditeur. C’est ainsi que se passent les choses. Dont acte.
Mis en ligne le 1er octobre 2009 à 07H17