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25 octobre 2005 — Le cas des dix petits avions de transport C-295 que l’Espagne veut vendre au Venezuela est exemplaire des relations de coopération entre les USA et ses alliés. Cette vente est pour l’instant bloquée par les USA, conformément à la législation ITAR (International Traffic in Arms Regulations). ITAR donne un droit de veto aux autorités américaines sur la vente de systèmes non-américains considérés comme d’armement ou assimilés, dès lors que ces systèmes comprennent des composants américains qui ont été vendus sous la contrainte de cette législation. ITAR intervient automatiquement dans la vente de tout composant américain qui entre dans la catégorie des technologies jugées stratégiques et essentielles pour la sécurité nationale, — une classification qui embrasse un domaine extrêmement étendu qui concerne des milliers de composants, à la mesure de la paranoïa sécuritaire avec laquelle Washington considère cette catégorie. Cette intervention se fait selon les impératifs d’une politique étrangère et de sécurité nationale particulièrement erratique et autoritaire, comme on la connaît aujourd’hui.
La situation est parfaitement identifiée dans toute son absurdité et sa contrainte arbitraire avec le cas des C-295. Il s’agit d’avions de transport légers sans aucune caractéristique offensive ou défensive de type militaire ; leur blocage actuel est fait au nom d’une politique américaine vis-à-vis du Venezuela, elle-même régulièrement décrite comme paranoïaque et arbitraire. L’administration GW a confirmé le blocage actuel, selon Defense News du 24 octobre: « A U.S. State Department official confirmed Oct. 18 that the U.S. government is blocking the sale of 10 Spanish C-295 aircraft to Venezuela at least temporarily while EADS CASA’s export-license applications are being “reviewed thoroughly.” The official said a meticulous look at the applications is warranted “given the increasing authoritarian direction of the Venezuelan government.” »
Le cas des C-295 est un exemple parmi de nombreux autres du caractère intrusif et arbitraire de la législation ITAR. Cette législation n’est pas illégale puisque tous les pays étrangers qui acquièrent des composants américains s’y soumettent volontairement. Il n’y a pas eu jusqu’à maintenant de réaction significative, c’est-à-dire une réaction de boycott spécifique des composants américains. (Contrairement aux fables colportées à ce propos, il existe autant de substituts qu’on veut aux équipements américains qui sont vendus pour équiper des systèmes étrangers. L’Amérique n’a aucun monopole en cette matière. Elle établit elle-même cette règle puisqu’elle refuse d’exporter même chez ses plus fidèles alliés les composants ou systèmes qu’elle estime trop sensibles, sur lesquels justement elle estime exercer un monopole. Il s’agit donc, de la part des étrangers acceptant d’en acquérir, d’une démarche commerciale, — lorsque les prix américains sont moins élevés, — ou d’une démarche politique, — la volonté politique de s’équiper chez les Américains, — en plus des illusions entretenues sur les capacités soi-disant exclusives des Américains.)
Il semble qu’avec le cas des C-295, surtout en raison des caractères extrêmes de cette affaire (avions sans capacités militaires, politique infondée de Washington), on puisse désormais attendre une réaction, — ou, plutôt, que les possibilités de réaction soient mises en avant jusqu’à être considérées comme une nécessité. A ce propos, Defense News remarque longuement:
« U.S. trade restrictions that have tripped up EADS CASA are likely to spur efforts by European arms makers to escape U.S. export controls.
» A handful of European companies already advertise that some of their wares are “ITAR-free” — that is, they are not subjected to the U.S. International Traffic in Arms Regulations.
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» EADS and other European companies have been working to develop military components that are not subject to a U.S. sales veto. For example, EADS Space Transportation Division boasts it is developing a satellite motor that will be “completely ITAR-free and therefore not subject to U.S. export license restrictions, allowing competitive access to worldwide customers.”
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Autre facteur important à considérer: une telle évolution devrait favoriser la tendance actuelle au regroupement des industries d’armement européennes, et la libéralisation du marché d’armement entre les pays de l’UE. C’est ce que note une source européenne, citée par Defense News: « the issue does raise interesting questions about why [EU] member states should think about their future common defense market. They’re not getting the bang for the buck they need — and that’s the main rationale [for creating a common defense market] — but they’re also vulnerable to these sort of things. » Ce que la source n’ajoute pas, car c’est aborder un sujet qui terrifie les bureaucrates européens, c’est que cette même affaire doit également contribuer, selon la même logique, à alimenter l’argument d’un marché européen construit selon les mêmes critères que le marché américain, aussi protégé, aussi agressif vis-à-vis des étrangers et fonctionnant selon la même philosophie d’achat, — dans ce cas celle du Buy European, comme il y a le comportement et la législation Buy American aux USA.
Il est probable qu’on tentera comme d’habitude, — on parle de l’habitude européenne, — d’éviter les questions de fond que soulève cette affaire. Le ridicule et l’énormité du cas du C-295 rendront cette tentative difficile. Les questions de fond sont les suivantes :
• Comment envisager une coopération industrielle militaire et technologique avec un partenaire qui considère de façon si évidente cette question d’un point de vue unilatéraliste si agressif et si intrusif, hostile même aux pays avec lesquels il coopère? Il en a tout à fait le droit mais les Européens ont le devoir d’en tenir compte pour eux-mêmes. La notion de “devoir” est aujourd’hui une rareté étrange dont bien peu comprennent le sens. Pourtant il y a un espoir à ce propos : quelques ventes importantes ratées à cause d’ITAR doivent pouvoir en ranimer le souvenir chez certains.
• Comment accepter de dépendre, par les choix commerciaux et idéologiques d’allégeance aux USA qu’on fait, d’une politique étrangère si complètement suspecte et si évidemment erratique? Jusqu’ici, on y est parvenu tant bien que mal. L’affaire des C-295 montre que les Américains n’en ont aucune reconnaissance ni l’intention de civiliser leur attitude à cet égard.
Certes, ces questions ne sont pas nouvelles. La plupart des pays européens, et leurs industriels en tête, y ont toujours répondu de la même façon. Le moteur de leur raisonnement a toujours été le même : la lâcheté intellectuelle dissimulée par l’argument stupide du profit (stupide parce que les Européens sont en général perdants avec les Américains). Il est toujours intéressant d’observer jusqu’où cette logique peut tenir, jusqu’où va la capacité des Européens à subir sans riposter. Il est également amusant d’observer que parmi les trois pays que Defense News cite pour avoir choisi une politique affichée de non-fourniture chez les Américains, on trouve deux compagnies britanniques (Morotta et Surrey Satellite Technology).
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