Les bijoux de famille

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Le “scandale Murdoch”, en plus d’être tout ce qu’il est, constitue également un cas étrange, presque psychanalytique, d’exposition de conceptions et d’antagonismes à l’intérieur de la “famille” anglo-saxonne, côté establishment et côté système de la communication (journalisme et le reste, de l’influence à la corruption). Le tout est rendu goûteux par un zeste d’assaisonnement piquant, dans le fait de l’intervention d’un cousin lointain, l’Australie en l’occurrence, qui semble prendre, volontairement ou pas, un malin plaisir à piétiner le système de la communication de la machination anglo-saxonne… Cela est mis en évidence par cette introduction d’un texte de Amy Goldman (le 20 juillet 2011, sur Democracy Now!), qui nous rappelle que Julian Assange est Australien comme Murdoch, et que les deux hommes sont, objectivement, directement ou indirectement, des démolisseurs (involontairement) conjoints et improbables du système de la communication anglo-saxon :

«“People say that Australia has given two people to the world,” Julian Assange told me in London recently, “Rupert Murdoch and me.” Assange, the founder of the whistle-blowing website WikiLeaks, was humbly dismissing my introduction of him, to a crowd of 1,800 at East London’s Troxy theater, in which I suggested he had published perhaps more than anyone in the world. He said Murdoch took that publishing prize.

»Two days later, the Milly Dowler phone hacking story exploded, and Murdoch would close one of the largest newspapers in the world, his News of the World, within a week…»

Il y a un nombre remarquable de facettes différentes dans la “crise Murdoch”, qui gagnerait effectivement à être paradoxalement rapprochée, pour le symbolisme, de la “crise WikiLeaks”. Certaines de ces facettes contribuent à illustrer l’état réel du système de la communication anglo-saxon. D’où notre choix, aujourd’hui, de deux orientations différentes pour illustrer le domaine.

• D’abord, un article du Daily Telegraph (le 20 juillet 2011) sur des révélations concernant la chaîne de TV américaniste Fox.News, qui fait partie du trousseau Murdoch, qui a joué et joue encore un rôle politique d’influence et de corruption extraordinairement puissant, qui fut notamment le relais efficace et dévastateur du groupe d’influence neocons pendant les années Bush. L’article reprend des déclarations de Dan Cooper, qui participa au lancement de Fox.News en 1995-1996, à un poste de direction de l’organisation, et d’un autre témoin (anonyme) du même gabarit. Les deux décrivent l’organisation d’espionnage et de propagande mise en place à l’intérieur du système (un service “secret” de contre-espionnage et d’opérations “secrètes”), ainsi que l’atmosphère qui règne dans la station…

«“Most people thought it was simply the research department of Fox News,” he [Dan Cooper] wrote. “I knew it also housed a counter intelligence and black ops office. So accessing phone records was easy pie.” Mr Cooper said yesterday that he helped to design the high-security unit. “It was staffed by 15 researchers and had a guard at the door. No one working there would engage in conversation.” […]

»Another former Fox News senior executive, who did not wish to be named, said staff were forced to operate under conditions reminiscent of “Russia at the height of the Soviet era”.

»“There is a paranoid atmosphere and they feel they are being watched,” said the former executive. “I have no doubt they are spying on emails to ensure no one is leaking to outside media.” “There is a unit of spies that reports up to the boss about who was talking to whom. A lot of people are scared that they’re going to get sidelined or even that they’re going to get killed.”»

• Un autre article vient du Wall Street Journal (WSJ), qui appartient également à Murdoch mais semble avoir adopté une ligne éditoriale d’affirmation de sa complète indépendance (éditoriale, justement) vis-à-vis de Murdoch. A partir de cette position, le WSJ n’en défend pas moins Murdoch, mais d’une manière assez oblique et vicieuse, simplement en “nationalisant” et en élargissant le scandale, – en affirmant que les mœurs professionnelles et autres dénoncées dans la “crise Murdoch” baignent tout le monde britannique de l’information et de la communication, et en affirmant que le plus scandaleux de cette affaire est la corruption de la police britannique. Dans l’un et l’autre cas, il va sans dire, pour le WSJ, que le cas britannique ne peut être étendu au cas américaniste, marqué par la vertu, qu’il en est au contraire le double monstrueux (“vieille Europe corrompue” contre American Dream)… Poussant l’analogie à son terme, le WSJ exploite le thème en se demandant si l’affaire Murdoch-UK n’est pas le Watergate britannique, en ce sens qu’elle aménerait une purification des mœurs journalistiques et politique au Royaume-Uni, comme le Watergate amena cette purification aux USA. Cela permet, d’une manière assez stupéfiante quand on connaît la réalité de la presse-Pravda, ou presse-Système made in USA, de ripoliner d’un blanc chaleureux l’imagerie américaniste. Tout cela est dans l’éditorial du 20 juillet 2011 du WSJ… Enfin, il y a aussi une intéressante et assez énigmatique digression de conclusion sur le rôle de la drogue dans le scandale :

«Sometime between the Johnson and Nixon administrations the rules on dirty tricks, secret taping and suitcases full of cash changed. It wasn't entirely "fair," in some sense, but who doubts American politics is cleaner and less tolerant of shenanigans than it used to be?» […]

» But the bigger scandal, as the headlines are starting to reveal, is the police scandal. Even top cops were phone-"blagged" and yet apparently complained to editors about it rather than treating it as a crime. Had police pursued obvious wrongdoing and jailed a few journalists back in 1999, a lot fewer British citizens would have been victims of privacy invasions. Those who've likened the hacking scandal to Britain's Watergate are onto something. After the Watergate break-in, behavior that had been tolerated, routine and abetted by official agencies became, overnight, untolerated and prosecuted. Remember, it was the FBI's No. 2, blowing a whistle on his own agency, who played "Deep Throat" to the press.

»We're also struck at how often the subject of cocaine comes up. Jonathan Rees, the private eye accused of bribing police to get information on behalf of several tabloids, was Scotland Yard's suspect in the unsolved 1987 ax murder of his partner, who was believed about to blow the whistle on cocaine trafficking by police in southeast London. Rees himself subsequently went to jail, along with a corrupt police officer, for planting cocaine on a woman involved in a child custody dispute. Sean Hoare, the late News of the World reporter who blew the whistle on widespread phone hacking at the tabloids, spoke of widespread cocaine usage on tabloid news desks. For what it's worth, we're guessing that drugs will be part of the story before it's over.»

Il y a des liens entre tout cela, auxquels il faudra prendre garde, à mesure du développement du “scandale Murdoch” qui ébranle effectivement tout le système de la communication de type anglo-saxon, au cœur du Système, ainsi que les psychologies qui lui sont liées, et tout cela comme reflet autant des mœurs imposées par le Système que de la crise du Système. La position du WSJ qui, profitant de la position de faiblesse de Murdoch, réaffirme son autonomie éditoriale en même temps que la vertu américaniste, met en évidence l’ambiguïté des liens transatlantiques, anglo-saxons. L’affaire Fox.News dans son aspect mentionné ici illustre la toute puissance du secteur privé aux USA, sa participation sans le moindre frein à des activités de sécurité qu’on dirait “nationale” en d’autres circonstances, sa politique propre qui en découle avec l’influence énorme impliquée (le rôle de Fox.News durant les années Bush), les règles quasi dictatoriales qui gouvernent cette sorte d’entreprise.

Quant à l’“intéressante et assez énigmatique digression” du WSJ sur l’usage de la drogue dans le monde du journalisme britannique, notamment à News of the World, elle illustre au moins une hypothèse d’un monde extrêmement spécifique, vivant sur un rythme propre qui est souvent celui des élites américanistes-occidentalistes aujourd’hui, dans une atmosphère virtualiste souvent renforcée effectivement par la prise de stupéfiants. Bien entendu, le fait que le WSJ alimente de façon énigmatique cette hypothèse n’exonère pas le monde américaniste d’être lui-même soumis à ce même régime ; cela relève du même traitement qu’il faut appliquer aux ahurissantes affirmations du WSJ sur la vertu exemplaire du journalisme US depuis le Watergate. (Nous avons aussi le souvenir d’échos d’une enquête sanitaire, au début de la décennie 2000, à la Commission Européenne, où l’on avait relevé des traces de cocaïne dans 59 des 60 toilettes du complexe. Notre conclusion, hier comme aujourd’hui, serait que l’usage des drogues, – très répandue dans les élites américanistes-occidentalistes, – entretient le travail virtualiste imposé par le Système, en aidant à supporter le poids des mensonges nécessaires que véhiculent les divers doubles et triples langages du domaine.)


Mis en ligne le 21 juillet 2011 à 09H41