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2264Lors des récents événements (Ukraine), nous avons parlé de la position du groupe BRICS au travers de la position de plusieurs de ses membres ou au travers de positions collectives. Nous avons parlé de la position de l’Inde (le 7 mars 2014), de la position de la Chine en corrélation avec celle des BRICS (le 28 mars 2014), enfin de la position des BRICS avertissant de facto le bloc BAO (les Australiens, qui reçoivent le prochain sommet) qu’il n’y aura pas de G20 sans la Russie et prenant position derrière la Russie à l’ONU par leur position abstentionniste dans le vote en Assemblée Générale d’une motion condamnant (sans nommer la Russie pourtant) le référendum criméen (29 mars 2014).
Dans The Diplomat du 31 mars 2014, repris par ZeroHedge le même 31 mars 2014, Zachary Zeck développe une analyse du comportement du BRICS depuis le début de la crise ukrainienne, dans cette crise ukrainienne. Il commence par noter, – surprise, surprise, – combien le comportement durant cette crise des BRICS, d’habitude sujet “sexy” de la presse-Système de l’infotainment qui se pique d’intérêts financier et économique, a fort peu intéressé cette même presse-Système. Quelque attardé mental peut éventuellement observer que cette position de soutien de la Russie des BRICS aurait à voir avec le peu d’intérêt pour les BRICS de la même infotainment... (La composition du “mot” ainsi fabriqué, entre le début d’“information” et la fin d’“entertainment”, nous ravit littéralement, – quelle trouvaille.) Les attardés mentaux, c’est bien connu, sont faits pour retarder dans le sens de la sophistication intellectuelle, – il n’empêche, dans ce cas le simplisme du jugement dit le vrai.
Puis Zeck développe quelques-uns des faits que nous avons rappelés. Notamment il insiste sur ce fait que la question de l’autodétermination n’a nullement découragé les BRICS de se mettre en position de défendre la Russie. Le 7 mars 2014, nous signalions : «L’intérêt pour notre propos est que ce texte prenait diverses précautions comme, par exemple, celle de ne pas nommer la Russie, donc de ne pas mettre implicitement en avant l’accusation principale du bloc BAO d’une “agression russe” contre l’Ukraine. Cette disposition, que les “parrains” du bloc BAO ont soufflée avec autorité au pouvoir actuel de Kiev, était faite essentiellement pour susciter le vote positif de la Chine : puisque la Russie n’était pas mise en cause, la Chine pouvait exprimer son adhésion extrêmement forte au refus de l’autodétermination et de la sécession. Mais la mention de la Crimée faisait de la résolution un “document confrontationnel” (selon Chourkine), la Russie était donc indirectement impliquée et la Chine a décidé de s’abstenir. Il y a manifestement un rapport de cause à effet entre ceci et cela, pour montrer que la Chine est très attentive à la position russe et estime ne pas pouvoir se réfugier derrière des arguments formels pour la condamner même accessoirement.»
Zeck observe que les BRICS n’ont pas nécessairement les mêmes positions sur divers problèmes annexes mais qu’ils trouvaient jusqu’ici le moyen d’affirmer leur solidarité politique en prenant des positions anti-bloc BAO. Mais ce moyen concernait souvent des cas où le bloc BAO se met en position d’attenter à la souveraineté de partis tiers, comme par exemple dans les cas libyen et syrien ... L’Ukraine présente un cas inverse, puisque le pays qui se trouve accusé d’attenter à la souveraineté d’un tiers est justement la Russie. Cela a expliqué notamment les hésitations initiales de la Chine. C’est sur ce point que Zeck termine son analyse en constatant que le soutien des BRICS à la Russie dans ce cas montre que l’attitude anti-bloc BAO apparaît désormais plus comme un choix actif (“critique offensive”) que comme l’attitude initiale de “solidarité défensive”...
«However, in the case of Ukraine, it was Russia that was violating the sanctity of another state’s sovereignty. Still, the BRICS grouping has backed Russia. It’s worth noting that the BRICS countries are supporting Russia at potentially great cost to themselves, given that they all face at least one potential secessionist movement within their own territories.
»India, for example, has a long history of fluid borders and today struggles with potential secessionist movements from Muslim populations as well as a potent security threat from the Maoist insurgency. China suffers most notably from Tibetans and Uyghurs aspiring to break away from the Han-dominated Chinese state. Even among Han China, however, regional divisions have long challenged central control in the vast country. Calls for secession from the Cape region in South Africa have grown in recent years, and Brazil has long faced a secessionist movement in its southern sub-region, which is dominated demographically by European immigrants. Russia, of course, faces a host of internal secessionist groups that may someday lead Moscow to regret its annexation of Crimea.
»The fact that BRICS supported Russia despite these concerns suggests that its anti-Western leanings may be more strongly held than most previously believed. Indeed, besides backing Russia in the foreign ministers’ statement, the rising powers also took time to harshly criticize the U.S. (not by name) for the cyber surveillance programs that were revealed by Edward Snowden.
»The BRICS and other non-Western powers’ support for Russia also suggests that forging anything like an international order will be extremely difficult, given the lack of shared principles to act as a foundation. Although the West generally celebrated the fact that the UN General Assembly approved the resolution condemning the Crimea referendum, the fact that 69 countries either abstained or voted against it should be a wake-up call. It increasingly appears that the Western dominated post-Cold War era is over. But as of yet, no new order exists to replace it.»
Ces remarques de Zachary Zeck suggèrent l’évaluation d’une approche nouvelle de l’évolution de la position des BRICS à l’occasion de la crise ukrainienne, évolution qui s’est faite subrepticement, pendant que le bloc BAO concentrait son hystérie qui semble mobiliser toutes ses capacités intellectuelles sur les manigances ukrainiennes et sur “le plus grand crime contre a légalité internationale au XXIème siècle”, – dito, le référendum ukrainien. Il est vrai que le dossier présenté de la façon choisie, qui est de mettre en évidence que les BRICS ont pris une position risquée et courageuse en soutenant la Russie et de facto le principe d’autodétermination et de sécession qui constitue pour leur propre stabilité un risque évident, implique une évolution politique considérable du groupe. Il apparaît ainsi que l’analyse acceptable qu’on proposera suggère un effet dévastateur du parti-pris hystérique du bloc BAO justement, de son unilatéralisme extravagant, au regard d’événements où l’on a vu en pleine lumière depuis novembre 2013 au moins la responsabilité complète de l’UE et des USA directement engagée jusqu’à un processus complètement illégal s’apparentant à un coup d’État en Ukraine. Sans bruit excessif, en plus avec l’ignorance presque complète de la presse-Système de cette évolution suggérant le fonctionnement sans faille de son penchant pour l’autocensure et pour l’hybris américaniste et occidentaliste, les BRICS ont accompli un pas de géant dans la transmutation de leur cohésion politique, justement avec ce passage de la “solidarité défensive” à la “critique offensive”.
Ce point mis en évidence, on reste stupéfait du martèlement continuel et poursuivi sans aucune hésitation de l’affirmation de l’isolement de la Russie alors que ce pays se trouve soutenu par un poids économique et démographique de l’importance des BRICS, et bien entendu des pays qui accompagnent cette position. A cette lumière, on peut considérer plus que jamais la tendance des BRICS comme regroupée au sein des 96 pays contre 100 qui, lors du vote de l’Assemblée Générale de l’ONU, étaient absents, ont voté contre ou se sont abstenus par rapport aux pressions du bloc BAO pour la motion proposée. (Et encore, comme l’ont fait remarquer les Russes, on ajoutera l’argument des moyens habituels de pression et de chantage du bloc BAO, les USA racketters en tête, pour force à les rejoindre nombre de pays parmi ceux qui ont soutenu la motion.) Dans ces conditions, le constat sur l’égocentrisme du bloc BAO ne peut avoir d’autre explication qu’une véritable pathologie de la psychologie, affectant gravement le jugement politique ; le diagnostic n’est certes pas nouveau mais la pathologie se porte de mieux en mieux, le cas ukrainien étant encore plus démonstratif et révélateur que les cas précédents, notamment syrien, libyen et iranien.
Ainsi s’est réalisée de facto, et encore une fois subrepticement mais en profondeur, une rupture des positions selon la ligne Système versus antiSystème, dans des conditions qui rendent négligeable l’argument que les pays du BRICS travaillent tout de même à l’intérieur des normes du Système. L’événement est bien antiSystème dans la mesure où son moteur, au moment crucial de la décision, s’appuie implicitement sur l’argument de l’insupportabilité du comportement-Système du bloc BAO, – l’un (comportement-Système) donnant à l’autre son caractère (antiSystème). Cette rupture signifie que, dans les cas de pointe où une prise de position claire est réclamée, les pays du BRICS raisonnent, sans qu’il soit nécessaire pour eux d’en avoir conscience, sur le mode antiSystème. La prudence de pays comme l’Inde et la Chine se trouve dépassée par l’urgence d’une prise de position tranchée. La différence entre Système et antiSystème se trouve démontrée par la capacité des BRICS à intégrer les positions inacceptables des pays du bloc BAO, surtout des USA, dans les crises qui se succèdent, pour en faire un argument irrésistible déterminant leur position hostile au bloc aux moments cruciaux des décisions dans les crises nouvelles, comme dans le cas ukrainien. Dans le cas qui nous occupe, il est vrai que le scandale Snowden/NSA, qui a particulièrement marqué le Brésil et peut-être l’Inde, a contribué à influencer la position commune dans la crise ukrainienne. (On sait que le bloc BAO c’est le contraire, certes : les protestations anti-USA sur l’instant concernant le scandale Snowden/NSA s’oublient instantanément dès qu’un nouveau regroupement est formé, comme dans le cas ukrainien. Les USA redeviennent instantanément complètement vertueux dans l’interprétation et la narrative commune au bloc, montrant ainsi un comportement-Système qui fait du pavlovisme un exercice de débutant.)
Ainsi s’établit un courant de solidarité antiSystème dans le cas des BRICS, et d’autant plus antiSystème que les positions spécifiques de ces pays si éloignés les uns des autres, et avec des traditions de querelles bilatérales (comme dans le cas Inde-Chine), sont souvent divergentes, voire plus ; désormais, le réflexe antiSystème domine tout. Nous pensons que, malgré leur appartenance technique au Système par bien des aspects, le comportement des BRICS (et des pays et forces qu’ils inspirent) sera de plus en plus déterminé par une logique supérieure à eux, qui renvoie au grand affrontement de la crise d’effondrement du Système et qu’on ne peut définir que comme antiSystème. Même si c’est parfois contre leurs intérêts spécifiques dans telle ou telle occurrence (comme le cas de l’autodétermination et de la sécession pour la crise ukrainienne), la logique supérieure, de type antiSystème, domine désormais leur comportement. Ainsi les BRICS, pourtant géostratégiquement incohérents, en viennent-ils à une cohérence politique fondamentale, – mais du domaine métapolitique renvoyant à la métahistoire, sans nul besoin que la chose soit réalisée comme telle. A cet égard, le système de la communication, qui a relayé le comportement inadmissible du bloc BAO durant la crise ukrainienne et mis en évidence le caractère d’intégration de cette crise dans la crise générale d’effondrement du Système, joue le rôle déterminant et renvoie au second plan la logique géostratégique.
Mis en ligne le 2 avril 2014 à 05H37
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