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5616• Comment être BRICS en n’étant pas tout à fait ennemi de Washington ? • Question délicate et pressante posée à l’Afrique du Sud et à tous les BRICS en général, – et à Poutine, certes. • Contribution de Andrew Korybko.
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Ce matin, le président sud-africain Ramaphosa déclarait que l’Afrique du Sud décidait, “par prudence”, de se retirer de la Cour Pénale Internationale (CPI) avant le sommet des BRICS en août prochain. Ainsi, son pays se dégageait de l’embarrassante et abracadabrantesque obligation de livrer le président Poutine (qui doit assister au sommet) à la Cour qui a lancé un mandat contre lui. “Embarassante” et “abracadabrantesque” parce que, fondé sur une nullité juridique complète et sans la moindre preuve qui ne soit un montage complet des Anglo-Saxons et autres zélenkistes, soutenu principalement par un pays qui ne reconnaît pas la juridiction de la Cour et menace même le siège de la Cour d’une intervention militaire si un de ses citoyens est impliqué, qui a commis un nombre incroyable de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité depuis que la Cour est Cour, – les États-Unis en deux mots avec tiret, – l’acte (le mandat) de la Cour est à cette lumière crue une grossière imposture, une vile forfaiture, une foutaise anti-civilisationnelle relevant de la « barbarie intérieure » selon la définition de Jean-François Mattéi.
De ce côté, il n’y a aucune honte à vouloir, comme le fait l’Afrique du Sud, se retirer de la Cour (pour ne pas appliquer ses sentences totalement iniques), c’est même un acte de pureté morale lorsqu’on voit et mesure les influences à l’œuvre. Pourtant, quelques heures plus tard, le cabinet du président revenait sur la décision en expliquant que Ramaphosa s’était mal exprimé. Fausseté complète, bien entendu, comme l’explique Andrew Korybko, selon une analyse dont nous partageons tout à fait la logique même si nous en rejetons complètement le ton inquiet sinon catastrophique pour l’avenir des BRICS :
« Néanmoins, il y a toutes les raisons de penser que ce n'est pas le cas, d'autant plus que M. Ramaphosa a fait preuve d'une confiance suprême en partageant l'annonce de mardi concernant les projets de son pays de se retirer de cet organe mondial. Il est donc peu probable qu'il se soit simplement mal exprimé et beaucoup plus probable que les diplomates occidentaux soient immédiatement intervenus en coulisses pour faire pression sur lui afin qu'il revienne sur sa politique. Ils ont probablement agi si rapidement en raison de l'importance stratégique de tout ce qui est en jeu en ce moment. »
Korybko décrit bien l’affaire et, surtout, les risques qu’elle révèle et les menaces qu’elle fait peser sur les BRICS. Par exemple : le Brésil fait aussi partie de la Cour et a averti qu’il exécuterait l’arrêt si Poutine venait sur son territoire ; inversement, plusieurs pays qui veulent entrer dans les BRICS, – dont les grosses pointures Iran, Arabie et Turquie, – ne font pas partie de la Cour et n’entendent absolument pas prendre le risque de copiner avec un pays qui serait prêt à envoyer son chef d’État devant la Cour s’il venait sur son territoire.
C’est le dilemme dont sont menacés les BRICS, tel que le décrit justement Korybko en y voyant une très grave occurrence, contrairement à nous :
« Le contexte plus large dans lequel l'Afrique du Sud vient de faire volte-face sur ses engagements vis-à-vis de la CPI est donc d'une importance capitale non seulement pour l'avenir des BRICS, mais aussi, par extrapolation, pour l'ordre mondial multipolaire émergent, en raison de la fonction de ce groupe en tant que moteur de la multipolarité financière. En gardant cela à l'esprit, on peut conclure que la campagne de pression clandestine des États-Unis est un jeu de pouvoir majeur dans la nouvelle guerre froide visant à entraver la capacité des BRICS à défier collectivement le dollar dans un avenir proche. »
Est-ce si grave ? Sans aucun doute. Est-ce regrettable ? Pas du tout et même au contraire. Les BRICS, qui se veulent groupement économique activant un ordre multipolaire, prétendent le faire sans se brouiller avec l’Occident-collectif, c’est-à-dire avec les USA. C’est surtout le cas du Brésil, avec la samba déchaînée de Lula qui veut être en aussi bons termes avec les USA, l’OTAN, l’Ukraine, la Chine, la Russie, et tout cela dedans les BRICS... Nous lui disons : bonne chance, quelle que soit la chaleur humaine de Joe Biden, dont chacun sait qu’il est excellent danseur de samba.
Il serait temps que tous ces gens s’aperçoivent qu’on ne peut pas passer un accord ni faire un compromis avec les USA. On ne peut pas dédollariser tout en continuant à respecter le dollar, Washington et Biden. Pour dédollariser, messieurs & mesdames, il faut flinguer le dollar, c’est-à-dire le tuer, – un peu à la façon que certains Texans s’y préparent, sachant bien, eux, ce qu’il en est. Ce n’est pas simple, c’est douloureux, c’est dangereux mais c’est inévitable. (Nous dirions à peu près la même chose pour la guerre en Ukraine, dans le sens que l’on comprend, qui exclut le compromis.) Si l’on ne s’y fait pas, autant se remettre au garde-à-vous et transformer les BRICS en un club omnisports avec cotisation payable en dollars.
Les BRICS ne peuvent pas éviter cette épreuve de force, sinon à renoncer aux BRICS. Lula est sympathique avec ses idées universelles, sinon universalistes, – même si certains émettent quelques doutes sur la substance de cette sympathie, – mais il ne pourra plus jouer très longtemps avec une jambe au SC Flamengo et l’autre au Santos FC. Le même cas vaut pour tous les autres, quel que soit leur sport national. Les BRICS ne peuvent échapper à la guerre dans laquelle ils sont plongés, et dont ils sont les principaux protagonistes avec l’OCS [Organisation de Coopération de Shanghai]. L’affaire sud-africaine ennuie peut-être l’Afrique du Sud, la Chine et le Brésil, mais elle est bienvenue pour placer ce groupement qui veut un nouvel ordre mondial devant ses responsabilités.
L’article ci-dessous [« La neutralité de l’Afrique du Sud dans la Nouvelle Guerre Froide est menacée par les pressions occidentales »] est donc de Andrew Korybko, du 26 avril 2023.
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Le contexte plus large dans lequel l'Afrique du Sud vient de faire volte-face sur ses engagements vis-à-vis de la "Cour pénale internationale" est d'une importance capitale non seulement pour l'avenir des BRICS, mais aussi, par extrapolation, pour l'ordre mondial multipolaire émergent, en raison de la fonction de ce groupe en tant que moteur de la multipolarité financière.
La récente volte-face de l'Afrique du Sud sur son adhésion à la “Cour Pénale Internationale” (CPI) prouve que sa neutralité dans la nouvelle guerre froide est menacée par les pressions occidentales. Le président Ramaphosa a annoncé mardi que “le parti au pouvoir a pris la décision qu'il est prudent que l'Afrique du Sud se retire de la CPI” en raison du “traitement injuste” fait à certains pays. Peu après, cependant, son cabinet a affirmé qu'il s'était mal exprimé et a réaffirmé l'engagement de l'Afrique du Sud à l'égard de la CPI.
Néanmoins, il y a des raisons de penser que ce n'est pas le cas, d'autant plus que Ramaphosa a fait preuve d'une confiance suprême en partageant l'annonce de mardi concernant les projets de son pays de se retirer de cet organe mondial. Il est donc peu probable qu'il se soit simplement mal exprimé et beaucoup plus probable que les diplomates occidentaux soient immédiatement intervenus en coulisses pour faire pression sur lui afin qu'il revienne sur sa politique. Ils ont probablement agi si rapidement en raison de l'importance stratégique de tout ce qui est en jeu en ce moment.
L'Afrique du Sud accueillera le sommet des BRICS de cette année à la fin du mois d'août, mais le mandat d'arrêt délivré par la CPI à l'encontre du président Poutine complique sa participation en personne. Si M. Ramaphosa avait entamé le processus de retrait de son pays de cette organisation sous le prétexte légitime qu'il avait affirmé précédemment, il n'y aurait eu aucune ambiguïté quant à la sécurité du dirigeant russe s'il s'y rendait. Toutefois, comme cette politique vient d'être annulée, il y a des raisons de soupçonner une provocation occidentale s'il se présente.
Même si l'Afrique du Sud a refusé d'arrêter l'ancien dirigeant soudanais Bashir alors que la CPI avait déjà exigé que tous les membres le fassent s'il mettait le pied sur leur territoire, la sécurité du président Poutine ne peut en toute bonne conscience supposer qu'ils feront une exception pour lui aussi. La décision la plus responsable, compte tenu de la dernière volte-face de l'hôte du sommet, pourrait donc être qu'il y participe virtuellement afin de ne pas prendre le risque que quelque chose de terrible ne se produise.
Bien que les procédures organisationnelles se dérouleraient probablement comme prévu dans ce scénario avec seulement quelques modifications, des dommages très graves, voire irréparables, pourraient être infligés aux BRICS en conséquence. La Chine et l'Inde pourraient conclure que l'Afrique du Sud n'est pas un partenaire fiable, étant donné qu'elle aurait capitulé devant les pressions occidentales, tandis qu'elles s'attendraient à ce que le Brésil fasse de même, étant donné qu'il est également partie à la CPI et que son principal diplomate a laissé entendre que son pays pourrait arrêter le président Poutine en cas de visite.
Les BRICS, dans leur forme actuelle, peuvent théoriquement continuer à fonctionner comme le moteur de la multipolarité financière malgré l'impossibilité pour le dirigeant russe de se rendre dans l'un de ces deux États membres pour ses sommets, mais l'organisation pourrait avoir du mal à attirer de nouveaux membres dont les pays ne font pas partie de la CPI. Après tout, les dirigeants de l'Iran, de l'Arabie saoudite et de la Turquie pourraient un jour se voir signifier des mandats politisés similaires qui les empêcheraient de participer aux sommets des BRICS organisés par des États membres de la CPI.
Les États-Unis ont un intérêt évident à dissuader ces pays et d'autres de rejoindre les BRICS en tant que membres officiels, et les pressions spéculatives qu'ils exercent en coulisses sur l'Afrique du Sud pour qu'elle maintienne son engagement à exécuter le mandat d'arrêt de la CPI contre le président Poutine pourraient avoir un puissant effet dissuasif sur les pays candidats. Le sommet de cette année est censé permettre aux membres en place de parvenir à un consensus sur l'élargissement de leur organisation, ce qui est extrêmement urgent si l'on considère qu'au moins 19 États sont en lice pour adhérer à l'organisation.
Le contexte plus large dans lequel l'Afrique du Sud vient de faire volte-face sur ses engagements vis-à-vis de la CPI est donc d'une importance capitale non seulement pour l'avenir des BRICS, mais aussi, par extrapolation, pour l'ordre mondial multipolaire émergent, en raison de la fonction de ce groupe en tant que moteur de la multipolarité financière. En gardant cela à l'esprit, on peut conclure que la campagne de pression clandestine des États-Unis est un jeu de pouvoir majeur dans la nouvelle guerre froide visant à entraver la capacité des BRICS à défier collectivement le dollar dans un avenir proche.
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