Les Britanniques et l’affaire EADS/KC-45

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Une surprise de plus dans la saga du programme de ravitailleurs en vol KC-45 de l’USAF, c’est de retrouver le Premier ministre britannique Gordon Brown engagé à fond derrière EADS. La cause la plus immédiate, c’est l’importance économique et sociale du programme, – si EADS l’emporte, – pour l’économie britannique: «If Airbus wins the tanker contract the wings will be made at its factory at Broughton, North Wales. The deal would secure the 11,000 jobs at Broughton and be worth more than £4 billion to the British economy. A spokesman for the Prime Minister said yesterday: “He will support the Airbus bid in whatever way he can.”»

C’est le Times de Londres qui, aujourd’hui, rapporte la position de Brown dans cette affaire, notamment ses interventions politiques au plus haut niveau.

«Mr Brown wrote to President Bush at the end of last year to promote the Airbus tanker, which has already been bought by the Royal Air Force. Mark Tami, the Labour MP for Alyn & Deeside, which includes Broughton, said he expected the Prime Minister to take up the matter with Mr Bush again.

»Mr Brown will also have an opportunity to raise the issue with Barack Obama, the presumptive Democratic presidential nominee, when they meet in London next week. Mr Obama questioned the Pentagon’s decision to award the tanker contract to a European company when the deal was initially announced in February.»

(Cette rencontrer avec Obama sera intéressante et instructive puisque le candidat démocrate s’est exprimé sur l’affaire, qu’il a pris plutôt position pour un choix en faveur de Boeing, que Boeing est implanté dans son Etat de l’Illinois…)

L’article ne cache pas par ailleurs le mauvais climat (du point de vue européen) qui règne aux USA dans cette affaire, reprenant les accusations implicites ou explicites d’isolationnisme et de manipulation du marché. Le député travailliste déjà cité, Mark Tami, déclare: «It is obviously a pretty cynical political decision to recompete this contract. To many fair-minded people the Airbus offering was a superior product but we are in a US election year and this smacks of a cynical act.»

L’opinion que reflète l’article, opinion essentiellement recueillie dans les milieux politiques britanniques, semble nettement que les pressions politiques ont de fortes chances de conduire à un choix en faveur de Boeing. Dans ces conditions, cette position des Britanniques est inhabituelle, eux qui ont peu l'habitude de s'embarrasser de causes perdues. Les intérêts généraux des Britanniques pour EADS sont dès l’origine très secondaires sinon inexistants par rapport aux positions française et allemande.

On chercherait plutôt dans la position des Britanniques la confirmation de la situation très particulière décrite ici et sur ce site, dans les milieux atlantistes et libre-échangistes où ces mêmes Britanniques sont évidemment très présents, sinon largement majoritaires. L’affaire EADS et KC-45 est devenue subrepticement une “cause nationale” au Royaume Uni, – dans le sens d’une cause qui rencontre les intérêts nationaux britanniques au travers de l’engagement libre-échangiste (donc avec réciprocité) avec les USA. Du coup, les Britanniques s’engagent au niveau politique alors même que les perspectives sont très défavorables.

Que conclure? Il est possible que les Britanniques, représentant en ce sens les tendances atlantistes aient décidé de s’engager à fond dans cette affaire pour prendre date avec les Américains sur un point fondamental des relations transatlantiques. Une phrase de l’article du Times mérite de retenir l’attention: «If Boeing is able to use its enormous political influence in the US to get the tanker contract it could trigger calls in the UK to make it harder for American companies to win Ministry of Defence business.» On retiendra dans cette phrase la menace évoquée mais, surtout, les circonstances très précisément caractérisées. Elles semblent indiquer que, pour les Britanniques, une sélection de Boeing sera nécessairement le produit d’une pression politique, et sera par conséquent interprété comme un choix politique hostile à l’Europe et à eux-mêmes.

Certaines sources estiment que les Britanniques pourraient même envisager de faire pression sur les Américains par l’intermédiaire de leurs engagements dans des programmes US, en mettant en question l’un ou l’autre de ces engagements. Le cas du JSF est évidemment cité. On est évidemment très loin de la coupe aux lèvres, jusqu’à envisager le sérieux de telles hypothèses comme présageant une réelle action dans ce sens. Mais il ne faut pas perdre de vue que l’affaire EADS/KC-45 est vraiment en train de devenir une polémique fondamentale des relations transatlantiques à un moment crucial de ces relations, avec l’arrivée du nouveau président.


Mis en ligne le 11 juillet 2008 à 20H14