Les chiffres de leurs morts volontaires

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Le “suicide” est devenu un phénomène important dans les événements politico-militaires de ces dernières années, par son rôle central dans l’acte des “attaques suicides” (ce que les Anglo-Saxons nomment “suicide bomber”). Les guillemets que nous mettons dans ce cas au mot “suicide” indiquent la complexité de la chose et la nécessité où l’on se trouve de devoir la considérer de différents points de vue pour mieux tenter de la définir et de la comprendre.

Du point de vue politique et militaire, dans ce que nous nommons de l’expression apparemment précise mais qui demande une redéfinition constante de “guerre de la 4ème génération” (G4G), le suicide (en général dans une voiture piégée) constitue objectivement un “moyen” efficace de l’activité guerrière, une “arme de guerre” nouvelle à cause de cette efficacité. Du point de vue humain, il constitue un phénomène très complexe, qui soulève des questions psychologiques et culturelles fondamentales, et des questions encore plus fondamentales sur la vie et la mort, sur la civilisation et sur notre civilisation dans sa phase actuelle.

L’importance quantitative du phénomène joue un rôle évidemment essentiel dans l'appréciation qu'on en fait d'être un facteur important de cette période étrange née à partir du 11 septembre 2001. Elle renforce l'idée que ce phénomène tient un rôle important dans la définition et la compréhension de la signification historique de la période. Ce n’est pas pour rien que l’événement lui-même du 11 septembre 2001, quelles que soient l’explication qu’on en donne, autant politique que dans son organisation et dans sa machination, utilise le moyen du suicide pour sa réalisation. Avec cette période et avec le rôle qu’il joue dans les événements, le suicide demande une nouvelle définition qui doit être directement liée à la crise générale que nous traversons.

Dans The Independent d’aujourd’hui, Robert Fisk consacre un long article à ce phénomène. Nous donnons ici le passage qui fournit des éléments chiffrés impressionnants pour apprécier l’importance quantitative du suicide dans les événements politico-militaires que nous connaissons, – essentiellement en Irak, bien sûr.

«[A] month-long investigation by The Independent, culling four Arabic-language newspapers, official Iraqi statistics, two Beirut news agencies and Western reports, shows that an incredible 1,121 Muslim suicide bombers have blown themselves up in Iraq. This is a very conservative figure and – given the propensity of the authorities (and of journalists) to report only those suicide bombings that kill dozens of people – the true estimate may be double this number. On several days, six – even nine – suicide bombers have exploded themselves in Iraq in a display of almost Wal-Mart availability. If life in Iraq is cheap, death is cheaper.

»This is perhaps the most frightening and ghoulish legacy of George Bush's invasion of Iraq five years ago. Suicide bombers in Iraq have killed at least 13,000 men, women and children – our most conservative estimate gives a total figure of 13,132 – and wounded a minimum of 16,112 people. If we include the dead and wounded in the mass stampede at the Baghdad Tigris river bridge in the summer of 2005 – caused by fear of suicide bombers – the figures rise to 14,132 and 16,612 respectively. Again, it must be emphasised that these statistics are minimums. For 529 of the suicide bombings in Iraq, no figures for wounded are available. Where wounded have been listed in news reports as “several”, we have made no addition to the figures. And the number of critically injured who later died remains unknown. Set against a possible death toll of half a million Iraqis since the March 2003 invasion, the suicide bombers’ victims may appear insignificant; but the killers’ ability to terrorise civilians, militiamen and Western troops and mercenaries is incalculable.

»Never before has the Arab world witnessed a phenomenon of suicide-death on this scale. During Israel's occupation of Lebanon after 1982, one Hizbollah suicide-bombing a month was considered remarkable. During the Palestinian intifadas of the 1980s and 1990s, four per month was regarded as unprecedented. But suicide bombers in Iraq have been attacking at the average rate of two every three days since the 2003 Anglo-American invasion.

»And, although neither the Iraqi government nor their American mentors will admit this, scarcely 10 out of more than a thousand suicide killers have been identified. We know from their families that Palestinians, Saudis, Syrians and Algerians have been among the bombers. In a few cases, we have names. But in most attacks, the authorities in Iraq – if they can still be called “authorities” after five years of catastrophe – have no idea to whom the bloodied limbs and headless torsos of the bombers belong.

»Even more profoundly disturbing is that the “cult” of the suicide bomber has seeped across national frontiers. Within a year of the Iraqi invasion, Afghan Taliban bombers were blowing themselves up alongside Western troops or bases in Helmand province and in the capital Kabul. The practice leached into Pakistan, striking down thousands of troops and civilians, killing even the principal opposition leader, Benazir Bhutto. The London Tube and bus bombings – despite the denials of Tony Blair – were obviously deeply influenced by events in Iraq.»

Fisk appuie évidemment son article sur une longue réflexion sur le phénomène du suicide, qui traduit ses conceptions et sa perception, qui ne sont pas nécessairement les nôtres. Ce qui nous étonne en général le plus, c’est “notre” étonnement (à nous, Occidentaux) devant cette attitude du suicide, ce dont le texte de Fisk se fait le reflet dans sa tonalité générale. (Il ne s’agit donc pas d’une position politique, puisque Fisk est en général un adversaire déterminé de la politique belliciste et expansionniste de l’Ouest, dont le moins qu’on puisse dire est qu’elle tient une place fondamentale dans l’explication objective qu’on peut donner à la prolifération du comportement.) Il nous paraît évident que le phénomène du suicide comme “arme de guerre” doit aussi bien susciter une réflexion sur notre civilisation et sur nos conceptions que sur la psychologie et la culture de ceux qui le pratiquent, et que toutes ces réflexions sont nécessairement liées entre elles.


Mis en ligne le 14 mars 2008 à 11H40