Les conditions radicales de l’emprisonnement de Washington

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Les conditions radicales de l’emprisonnement de Washington


25 juillet 2007 — Nous nous attachons à une analyse de Warren P. Strobel et Nancy A. Youssef, de McClatchy Newspapers, en date du 23 juillet sur la situation de la diplomatie américaniste. Le constat est simple : rien d’autre ne compte pour cette diplomatie que l’Irak. Cette situation coûte cher à Washington, en termes d’influence essentiellement.

Quelques indications :

«Two months ago, President Bush enthusiastically accepted an invitation to visit Singapore in September. But he abruptly changed plans, and his summit with Southeast Asian leaders is off. Secretary of State Condoleezza Rice is skipping an Asian meeting, too, and tossed out plans to visit Africa this week. Defense Secretary Robert Gates' mission to Latin America? Postponed.

»The reason is Iraq.

»As the White House struggles to show progress in the 52-month-old war, other important global issues increasingly are getting pushed to the side, according to U.S. officials, diplomats and analysts.

»“The United States is very focused on Iraq and the Middle East. We know we are not a white-heat zone . . . which is good for us. But it means we are not on top of the list,” said Heng Chee Chan, Singapore's ambassador to the United States.

»Bush had promised to attend a summit of the Association of Southeast Asian Nations — which includes several longtime U.S. allies — in Singapore in September. Chen said the summit had been postponed, not canceled.

»Few doubt Iraq's centrality in U.S. foreign policy. Failure there could damage America's prestige for years, if not decades, and suck Iraq's neighbors into the vortex of violence.

»But the high-level U.S. attention and energy drawn away from all but a handful of other world problems is yet another cost of the Iraq war.

»“Canceling a meeting here or there may not seem like a big deal, but the slights are piling up,” Asia expert Walter Lohman of the conservative Heritage Foundation wrote recently. “Unless the Bush administration can quickly get back on track, the game is over; it will fall to the next president to revitalize the U.S. commitment” to Asia.

»Bush and his aides have torn up their schedules before a crucial report on progress in Iraq due Sept. 15 from Iraq top U.S. commander Gen. David Petraeus and U.S. Ambassador Ryan Crocker.

»Gates earlier this month postponed a visit to some of the closest U.S. allies in the Western Hemisphere — El Salvador, Colombia, Peru and Chile — to be on hand for the release of an interim Iraq report to Congress.

»Rice was supposed to be en route to Ghana this week for a meeting on expanding trade and curbing poverty in Africa.

»Instead, she found herself Wednesday on Capitol Hill lobbying lawmakers not to set a deadline to bring American troops back from Iraq. She addressed the Africa group by video link Thursday.»

Une diplomatie réduite au rapport Petraeus-Crocker

Cette situation n’est pas inédite ni surprenante en soi. C’est une habitude américaniste, héritée d’une conformation psychologique très particulière. Il y a dans cette psychologie américaniste une certaine impuissance à envisager une vision large et synthétique du monde, au bénéfice de l’obsession analytique de sujets extrêmement restreints (en général et sans grande originalité, celui qui sollicite l’attention du jour mobilise, pour la période, les énergies au détriment du reste).

La cause en est sans doute que la vision américaniste est que, hors des USA, rien de synthétiquement acceptable ne peut être conçu et que le reste du monde est en fait constitué d’un chaos qui ne mérite que des analyses parcellaires sans nécessité d’une prise en compte du contexte. Quant aux USA mêmes, la forme synthétique de la chose, — son essence, est-on conduit à préciser, précède quasiment son existence ; inutile donc de rechercher une vision synthétique de ce monde, et d’armer sa psychologie dans ce but, puisque cette situation synthétique est une prémisse parfaite de la création des USA. Le résultat de cette démarche psychologique est en général, bien entendu, l’erreur systématique. L’analyse du fait spécifique implique son isolement complet du contexte (politique, géographique, historique, etc.) où il évolue et dont il dépend, aboutissant à une vision généralement déformée, faussaire et ainsi de suite.

Aujourd’hui, bien sûr, l’Irak est le bénéficiaire (?) de cette obsession analytique et de l’exclusivité de toutes les attentions. Cela, non plus, n’est pas une surprise. Ce qui l’est, par contre, ce sont les faits que décrit implicitement le rapport qui nous est fait de la situation de la diplomatie US. Nous en proposons quatre:

• D’une façon générale, certains analystes expriment l’idée que l’administration GW Bush est moins orientée exclusivement sur l’Irak qu’elle ne l’était lors de la période initiale (2002-2004), malgré d’énormes faiblesses détaillées par ailleurs dans l’analyse. C’est le cas de l’excellent Charles Kupchan : «Charles Kupchan, a senior fellow at the Council on Foreign Relations, a research center, said the administration was probably less Iraq-focused than it was in Bush's first term, when the buildup to the invasion trumped all other issues. The president deserves credit for engaging with Europe and upgrading relations with India, Kupchan said. “Things don't look as good when you come to other regions,” particularly Southeast Asia and the far-reaching changes stemming from China's rise, he said. “There doesn't seem to be anybody who's minding the store at the top level.”»

• Même si les remarques de Kupchan sont justes, — ce qui est le cas, — cette situation n’affecte en rien l’importance centrale de l’Irak ; elle n’implique par conséquent aucun engagement US substantiel, sinon d’une façon unilatérale et contre-productive (le réseau anti-missiles US en Europe), autre qu’en Irak. Il semble que non seulement l’Irak occupe le centre de toutes les attentions, mais que cette préoccupation ne cesse de grandir malgré les initiatives signalées par Kupchan, et malgré le constat permanent qui est fait des conséquences néfastes de cette situation. Il semblerait que la préoccupation pour la question irakienne soit devenue une question en soi, complètement isolée du reste, qui évolue et grandit toujours plus selon sa propre logique interne. Même si l’on mène des initiatives diplomatiques par ailleurs (Europe et Inde), cela n’influe en rien sur la centralité et l’importance grandissantes de la préoccupation irakienne.

• Il y a aussi ce fait important, qui rapetisse encore plus la diplomatie US, que cette diplomatie est attachée, à l’intérieur de l’obsession irakienne, à des faits de plus en plus parcellaires du point de vue diplomatique. Ainsi, tout mouvement à Washington est-il désormais conditionné au rapport Petraeus-Crocker sur les résultats de la soi-disant “offensive stratégique” (dite-“surge”) annoncée le 10 janvier dernier par GW. («Bush and his aides have torn up their schedules before a crucial report on progress in Iraq due Sept. 15 from Iraq top U.S. commander Gen. David Petraeus and U.S. Ambassador Ryan Crocker.») Il s’agit d’une sorte de “micro-management” (comme on dit souvent de l’action budgétaire du Congrès vis-à-vis du Pentagone) de la situation générale, là aussi réduite à des aspects de plus en plus parcellaires, chargés pourtant de vertus décisives considérables.

• Enfin, on constate une relance constante de l’enfermement de la situation washingtonienne, donc de la réduction de la diplomatie à une situation sans aucune signification diplomatique. Il est par exemple tout à fait surprenant de constater que Bush annule un déplacement essentiel (réunion de l’ASEAN à Singapour) qu’il avait accepté avec enthousiasme il y a deux mois. («Two months ago, President Bush enthusiastically accepted an invitation to visit Singapore in September. But he abruptly changed plans, and his summit with Southeast Asian leaders is off.») Il y a deux mois, nous étions déjà dans la période de la soi-disant relance stratégique en Irak. Force est de constater qu’entre temps, l’administration GW Bush a été conduite à accepter d’encore plus se lier aux conséquences washingtoniennes d’une situation de terrain en Irak avec tous ses aléas.

Comment résumer en une appréciation de substance ces différents caractères, sinon en observant que la diplomatie US est réduite à une obsession parcellaire et à son observation analytique? Elle se trouve réduite en réalité au chaos de la situation politicienne à Washington dans la mesure où cette situation s’est elle-même réduite à l’obsession irakienne, ne cessant effectivement de se fixer sur des questions de plus en plus parcellaires et de plus en plus isolées du contexte. Le “surge” constituait déjà un grand pas en avant dans cette dégradation, avec le sort de la situation irakienne réduit à une “offensive” dont nombre d’éléments sont douteux. Désormais, on se trouve au point où la substance même de cette situation washingtonienne, et de la diplomatie US par conséquent, est recalibrée autour d’un rapport sur les résultats de cette offensive, qui va être l’enjeu central d’un affrontement exécutif-législatif, dont on imagine déjà dans quelles conditions il sera fait, quelles pressions il subira et à quels travestissements de la réalité il sera conduit.