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401L’une des “stars” de la crise, y compris sous la menace de la mitraille lundi dernier à Gori, ville natale de Staline, c’est incontestablement le ministre français des affaires étrangères. Citons John Lichfield, de The Independent, traçant un portrait détaillé du ministre le 16 août. On y trouve des détails et des remarques, qui concernent la crise géorgienne elle-même, qui ne sont pas inintéressants.
«After visiting Georgia earlier that day [11 August], M. Kouchner insisted on flying to the northern, officially Russian, half of Ossetia to show concern for the suffering of both sides. “They are all poor sods,” he said. Against the advice of senior French diplomats – but with the approval of the Elysée Palace – he visited “victims of Georgian agression” in one of the nine camps for South Ossetian refugees set up by Moscow.
»Kouchner's visit was to receive enormous play on all Russian TV stations that night, just as the French diplomats had feared that it would. A local religious leader came forward – purely by accident? – to address the French Foreign Minister. Russia was quite right to have sent in its troops, the man of religion said. A great country like Russia had “a moral right of intervention” to save the South Ossetians from Georgian oppression and violence.
»M. Kouchner replied, rather uncomfortably, that the concept of a “moral right of intervention” was a “French idea”. In truth, it is a Kouchner idea.
(…)
»The Kouchner doctrine – that morality cannot stop at borders; that politics, and not just medicine, should be “sans frontières” when confronted with extreme wickedness – used to be a minority position. It has now become widely accepted but also widely hijacked: by George Bush and Tony Blair in Iraq (a war that Kouchner defended) and, most recently, by Russians in Georgia.
»M. Kouchner was recently reported in Le Monde to have become depressed by his role at the Quai d'Orsay. Much of the real foreign policy of France in the past 15 months has been conducted by President Sarkozy and his advisers at the Elysée Palace, sometimes in direct confrontation with M. Kouchner's own values-led approach. His attempts to put Kouchnerism into official practice – his suggestions that humanitarian aid should be imposed on Sudan or Burma – came to nothing.
»The Georgian conflict has “re-energised” him, his friends say. M. Kouchner believes that the European Union – presided over by France until the year's end – has been given another chance to prove its importance by defending its values in its own backyard. In the early 1990s, Kouchner was in favour of international military intervention against the Serbs but failed to budge the pro-Serb President François Mitterrand. This time around, Bernard Kouchner finds himself in the unfamiliar – and perhaps unsuitable – role of mediator and negotiator, rather than moralist, activist or campaigner.»
On ajoutera également une remarque d’un autre journal britannique, le Guardian, dans une bonne analyse générale de la crise en date du 16 août:
«“Don't ask us who's good and who's bad here,” said Bernard Kouchner, the French foreign minister, after shuttling between Tbilisi and Moscow to try to halt the violence. “We shouldn't make any moral judgments on this war. Stopping the war, that's what we're interested in.”»
Ces considérations sont intéressantes. D’abord, elles viennent de deux journaux étrangers mais connaisseurs des affaires françaises, notamment The Independent qui s’attache principalement au cas du ministre Bernard K. Elles ne sont pas entachées des habituelles interventions des réseaux parisiens, pro ou anti, comme dans le cas d’un journal de la capitale bien aimée. Ensuite, elles mettent parfaitement en situation une tendance, un penchant fondamental du ministre français par rapport à la crise géorgienne et, par conséquence automatique du jugement qu’on en aura, par rapport à une situation politique fondamentale, comprenant notamment l’appréciation de la politique russe et de la politique qu’il faut avoir vis-à-vis de la Russie.
Hors du gouvernement, Kouchner l’atlantiste aurait sans doute fait partie de la cohortes des pro-américanistes et humanitaristes parisiens qui se désolent du traitement infligé à la petite Géorgie et, par conséquence directe, condamne la Russie sans chercher plus avant, et s’affirmant par conséquent et de tout cœur comme “alliés objectifs” de Washington. Dans le gouvernement et au cœur de l’action, et avec quel zèle comme l’explique Lichfield, Kouchner est investi de la nécessité d’accorder ses convictions à sa mission politique, – c’est-à-dire la dénonciation des malheurs qui ont lieu des deux côtés, cette dénonciation s’accordant à une mission politique fondée sur l’idée de négociation et de médiation. En un sens, dans le diptyque idéologie-humanitarisme qui caractérise le courant “droit-de-l’hommiste” dominant chez les intellectuels français, et dont Kouchner fait partie évidemment, Kouchner doit privilégier l’humanitarisme sur l’idéologie, au contraire de ses amis restés dans les salons; par conséquent, il visite les camps en Ossétie autant que ceux de Géorgie et devient une star de la TV russe. Par rapport au courant idéologique dominant qui met tous les torts du côté russe et minorise jusqu’à les ignorer les violences des Géorgiens en Ossétie du Sud, il apparaît comme rétablissant un équilibre qui revient à ne pas condamner abruptement la Russie, donc à se trouver dans le camp dénoncé par les pro-américanistes. C’est un paradoxe intéressant de cet étrange temps historique.
Mis en ligne le 18 août 2008 à 12H39