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12 novembre 2005 — Peter Mandelson est-il l’ennemi de la France ? Bien des Français le croient. Ils se l’imaginent, lui l’ancienne éminence grise de Blair parvenu au faîte de la puissance comme patron du commerce européen, attaché à la destruction des singularités françaises et, plus généralement, acharné à la destruction de toutes les protections du système européen. Il n’empêche : depuis son arrivée, Mandelson a essentiellement plaidé deux dossiers, — Airbus versus Boeing et les textiles chinois, — et s’il l’a fait en recherchant des compromis il n’a pu empêcher que se développe une tendance essentiellement protectionniste. Pouvoir oblige, comme on disait noblesse oblige: Mandelson est comptable des intérêts européens et son succès dans cette entreprise conditionnera sa réputation et son prestige, choses essentielles pour lui.
Mais passons outre, il y a plus important. Hier, Mandelson a fait une déclaration tonitruante à la BBC. Voici ce que dit le très court compte-rendu sur BBC.News, parlant notamment du rendez-vous crucial de Hong Kong, le 13 décembre: « EU Trade Commissioner Peter Mandelson has ruled out any chance of a deal from the World Trade Organization (WTO) meeting due to be held next month. [….] But rows over agricultural tariffs and subsidies between the EU and big exporters such as the US and Brazil mean they will fail, Mr Mandelson said. He said that there was still hope of an deal being struck some time in 2006.
» Speaking on BBC Radio 4's Today programme, Mr Mandelson said the EU had already offered to cut some agricultural subsidies by up to 70% as well as trim tariffs. But the talks of the past year had been “taken hostage” and pushed into an “agricultural siding”.
» “The problem is that whatever we offer is not enough for the highly competitive, very aggressive agricultural producers and exporters like Brazil, Australia, New Zealand and the United States,” he said. Mr Mandelson said their stance didn't coincide with the interests of most developing nations.
» “The far reaching nature of their agricultural tariff cuts would result in the trade of African, Caribbean and Pacific countries with Europe being all but wiped out. Two-thirds of their agricultural trade depends on preferential access to European markets and would disappear.” Mr Mandelson added that for any breakthrough to be made next year, WTO members would need to make progress in lowering tariffs for industrial goods and liberalising the trade in services. »
Ces déclarations ont été suivies d’une certaine confusion entre Londres et Bruxelles, avec un porte-parole de la DG Trade (que dirige Mandelson) chargé d’atténuer la vigueur des propos de Mandelson en expliquant qu’il avait été « malmené par les journalistes » (de la BBC) et conduit à dire des choses d’une façon plus abrupte qu’il n’aurait voulu. Le même porte-parole a expliqué que s’il existait désormais une probabilité que l’accord général de commerce mondial en cours de négociation ne soit pas signé, des accords sectoriels divers, par contre, le seront. Cette mise au point atténue la forme pour ceux qui y sont sensibles, pas le fond. La réalité des perspectives de ce round d’un nouvel accord mondial sur le commerce est celle du probable échec de la philosophie néolibérale et libre-échangiste sur laquelle s’appuie le système mondial depuis plusieurs décennies. (Le premier round de négociation, le Kennedy Round, avait été lancé au début des années 1960.)
« Un tel échec, désormais probable à cause de l’intransigeance de quelques gros producteurs, serait une catastrophe pour l’architecture du système, estime une source à la Commission européenne. Actuellement, on assiste au développement d’une tactique consistant à dissimuler l’importance de cet échec, notamment par la promotion d’une orientation vers des accords sectoriels, mais l’arbre ne doit pas cacher la forêt. »
Les déclarations de Mandelson constituent un dérapage prestement dissimulé par rapport à cette tactique générale de dissimulation d’une situation qui semble désormais incontrôlable. Les méthodes qui se sont développées ces dernières années sont effectivement incontrôlables, et ce caractère en imprègne les situations. L’importance de l’activisme des groupes de pression, leur puissance, l’affaiblissement constant du pouvoir politique soumis de toutes parts à ces pressions, et cela surtout dans les pays anglo-saxons (les Etats-Unis étant l’exemple en pointe), conduisent à des positions de plus en plus tranchées, de plus en plus radicales. Elles interdisent de plus en plus nettement les compromis.
Il devient possible désormais que Mandelson doive présider à l’installation de conditions qui, après 2007, ressembleront plus à un antagonisme de néo-protectionnismes concurrents et agressifs qu’à une structure globalisée évidemment fondée sur une dynamique d’ouverture des marchés. Nous nous acheminerions alors vers une logique de “blocs”, rejoignant la “théorie orwellienne des trois blocs” qui eut une vogue fugitive dans les années 1988-89.
[Nous publions aujourd'hui, dans la rubrique “Analyse”, un texte adapté de notre rubrique de defensa, de notre Lettre d'Analyse dd&e du 25 octobre 2005. Le thème est “la théorie orwellienne des trois blocs”. Il viendra renforcer et élargir le propos développé ici à l'occasion des déclarations de Peter Mandelson.]