Les “dommages” de Cablegate : la preuve par April Glaspie

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Devant la poursuite permanente des fuites de “Wiki-câbles”, le pouvoir américaniste au sein du Système change avec régularité d’attitude, selon ses interlocuteurs et selon les circonstances. On avait déjà vu, notamment et à titre d’exemple, les variations extraordinaires du vice-président Joe Biden sur le thème, le 20 décembre 2010. (Biden, le 16 décembre 2010 : «I don't think there's any damage» ; Biden, le 17 décembre 2010 : «This guy has done things that have damaged and put in jeopardy the lives and occupations of other parts of the world.»). Ce 19 janvier 2011, selon Guardian, des “sources officielles” proches du département d’Etat ont laissé entendre que les dégâts étaient en réalité assez minimes, et l’on parle de “malaise” plus que de véritables dommages. C’est donc la nouvelle version mise à jour, avant la prochaine…

«The damage caused by the WikiLeaks controversy has caused little real and lasting damage to American diplomacy, senior state department officials have concluded. It emerged in private briefings to Congress by top diplomats that the fallout from the release of thousands of private diplomatic cables from all over the globe has not been especially bad. […]

»A congressional official briefed on the reviews told Reuters news agency that the administration felt compelled to say publicly that the revelations had seriously damaged American interests in order to bolster legal efforts to shut down the WikiLeaks website and bring charges against the leakers. “I think they want to present the toughest front they can muster,” the official said.

»The official implied that the WikiLeaks fiasco was bad public relations but had little concrete impact on policy. “We were told [it] was embarrassing, not damaging,” the official added.»

En même temps que ces informations transformaient les “dommages irréparables” en un “malaise” à peine collatéral, Jason Ditz donnait des précisions intéressantes sur un Wiki-câble qui vient d’être publié récemment par le quotidien norvégien Aftenposten, qui concerne le fameux entretien entre l’ambassadeur US April Glaspie et Saddam Hussein, le 25 juillet 1990. (Voir, sur ce site, ce qui était présenté, officieusement à cette époque, comme les minutes de l’entretien, le 28 juin 2008.) C’est au cours de cet entretien que Saddam Hussein crut recevoir le “feu vert” US pour l’invasion du Koweit…

Jason Ditz estime que le Wiki-câble confirmant la tromperie, dont April Glaspie, qui en avait été la porteuse, fut elle-même victime. Ditz met ainsi en évidence combien la classification “secret” appliquée à nombre de documents, comme celui dont il fait l’analyse et que WikiLeaks a divulgué, constitue également une tromperie par rapport aux impératifs d’information du public par le gouvernement.

«The most sought-after State Department document of the past several decades, the infamous Glaspie Memo, was recently released by WikiLeaks. The memo details a conversation between Ambassador April Glaspie and Iraqi President Saddam Hussein on July 25, 1990, exactly one week before the Iraqi invasion of Kuwait, and Glaspie’s reassurances to Hussein both of enduring American friendship and America’s disinterest in the Kuwaiti border dispute. In short, it confirmed decades of suspicion that Glaspie had, in the meeting, given Saddam Hussein the impression that the United States was giving him the green light for the invasion.

»The revelation, which puts the hundreds of thousands of civilians killed in a decade of post-war sanctions and the even greater numbers killed in the 2003 US invasion in a new, decidedly unseemly light, and does enormous service to historians. More importantly, however, the release of a document that was still officially secret 20 plus years and three presidents later shattered the enduring myth that these documents are classified to prevent them falling into enemy hands. Rather, the classification is done to keep the American public from knowing the truth, and WikiLeaks is doing us a great service in their release.

»The Glaspie Memo’s existence has been long speculated about, and the real contents were what many had long suspected. The official title of the cable, “Saddam’s Message of Friendship to President Bush” only tells part of the story, as Ambassador Glaspie clearly, repeatedly expresses US support for the Iraqi dictator, expressed support for the Egypt-brokered talks between Iraq and Kuwait later that week, and expresses absolutely no opposition when Saddam suggests that he might act unilaterally if the talks didn’t show any progress – indeed Glaspie informs Saddam that “we took no position on these Arab affairs.”»

Notre commentaire

@PAYANT Nous avons choisi cette occurrence sympathique entre les déclarations “officieuses” du département d’Etat en marge d’auditions au Congrès, et cette affaire des communications d’April Glaspie après son entretien vital du 25 juillet 1990, qui est sans doute une des clefs fondamentales de déclenchement de toute la politique de déstructuration et d’auto déstructuration à la fois du Système (système de l’américanisme dans ce cas), notamment dans la région du Moyen-Orient, depuis vingt ans (9/11 y compris). L’interprétation que donnent les “sources” du département d’Etat, si elle peut être appréciée comme pur mensonge et hypocrisie, ne l’est pas nécessairement. Dans l’“exposé des motifs” où l’on vous dit que la position officielle “dure” a été déterminée pour pouvoir substantiver le cas de la recherche d’une extradition d’Assange vers les USA, on joue cartes sur table. L’on vous dit : “Là, nous mentons pour essayer d’avoir Assange”. Et l’on pourrait répondre, à propos de ce qui est dit au Congrès par la même administration : “Là, ils (l’administration Obama) vous (le Congrès) mentent en disant que les dégâts sont minimes, pour ne pas subir trop de pressions de vous-mêmes (le Congrès)”. Donc, à mensonge mensonge et demi, ou bien virtualisme dans les deux cas, avec la vérité n’importe où et définie par n’importe quoi…

Le problème, aujourd’hui, est qu’il faut s’arrêter de penser à ces processus et réseaux de communication et de décisions, à ces déclarations, ces confidences organisées, etc., de sources officielles comme à des démarches structurées et intelligemment rationnelles, et disposant d'informations et d'analyses de très bonne qualité et indisponibles par ailleurs sinon par les “fuites”. (En fait, les “fuites” ne nous montrent plus que leur nullité totale et leurs manigances bâtardes, mais après tout c'est toujours bon à prendre.) Nous avons affaire, du côté officiel, à une bouillie pour les chats; à la confrontation de divers points de vue extrêmement étroits et cloisonnés, représentant les différents services et intérêts des diverses bureaucraties. Le résultat est une sorte de monstre, un “Frankenstein de l’information” fait de boulons et de pièces dépareillés, et d’autant de versions qu’il y a d’interlocuteurs, dont on vous dit candidement qu’elles sont faites dans des buts d’influence manifestes de telle ou telle faction, tel ou tel pouvoir, etc. La vérité, dans tout cela, est un concept non pas inconnu, mais nécessairement absurde. Cette absence totale (absolue) d’intérêt pour la vérité, – même si c’était pour la maquiller, la violer, la déformer, – engendre la sottise complète et des versions sans aucun rapport avec le réel et présentées comme telles, sans la moindre hésitation ni dissimulation. Le résultat est un extraordinaire salmigondis d’affirmations conformes passant du noir au blanc sans souci de la cohérence et même de la coordination avec la réalité, et dont, finalement, les auditeurs se fichent complètement dans le détail pourvu que la rengaine générale colle avec les orientations de leurs propres services.

Par conséquent, ce que nous disent ces clowns, avec Biden en clown-en-chef, n’a strictement aucun intérêt. Eux-mêmes n’ont d’ailleurs aucune idée aujourd’hui ce que c’est qu’un “dommage diplomatique”, et encore moins un “malaise diplomatique”. Leurs explications ne font que refléter la folie d’une machine-Système tournant à vide et débitant comme autant de tranches des versions de réalités adaptées conformes aux circonstances maquillées selon les intérêts en présence. Aucun intérêt, – aucune certitude, sinon celle que toutes les versions officielles, dans l’esprit où elles sont dites, sont fausses en plus d’être bêtes même si elles croisent la réalité par inadvertance. Au moins, voilà une certitude.

Cela permet d’autant mieux apprécier la valeur de certains de ces Wiki-câbles, et notamment celui de l’entretien Glaspie-Sadam, événement déterminant et certainement piège élaboré tendu au dirigeant irakien par certains services du département d’Etat. Le câble ne nous apprend “rien de nouveau” (commentaire de certains journalistes-Pravda qui en ont dit quelques mots), sauf de nous confirmer officiellement le montage le plus dévastateur de la fin de la Guerre froide, pour relancer une autre séquence de violence et une entreprise de déstructuration sans précédent, dont les conséquences n’ont cessé d’enfler jusqu’à aujourd’hui. Il est bien entendu que si les diplomates non-US auxquels ont affaire les diplomates US sont du calibre des seconds, ils ne verront rien de cette affaire, n’en tireront aucune conséquence, – et donc, c’est vrai, pas de “dommage”, juste un peu de “malaise”. Mais la chronique des événements historiques et métahistoriques n’est plus pour ces gens-là ; par contre, le “malaise”, qui est de voir son nom figurer sur un futur Wiki-câble, avec une confidence un peu gênante, en découragera plus d’un de se confier à un diplomate US, et c’est bien là l’essentiel.

Dans son interview à Gulf Times, Seymour Hersh notait : «It amuses me that US diplomats will find it harder to get people to speak to them!... Big stories usually cause a similar effect for journalists.» Le journaliste US notait que c’est désormais aux journalistes, et essentiellement aux journalistes d’Internet, de rapporter la vérité au public, et plus du tout au gouvernement. Alors, les appréciations du département d’Etat sur les “dommages” ou le “malaise” consécutifs à Cablegate, on imagine la valeur qu’il faut leur accorder.


Mis en ligne le 20 janvier 2011 à 15H50

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