Les éléments d’une déstabilisation allemande dans le cadre et les suite des actuelles élections législatives

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Les éléments d’une déstabilisation allemande dans ler cadre et les suite des actuelles élections législatives


Tous les éléments sont réunis pour évoluer vers une crise allemande, plus ou moins grave selon les résultats électoraux. Cette crise doit beaucoup, et même énormément à l’action américaniste, qui est la seule force déstructurante à caractère global en action aujourd’hui. Ce sont en effet les pressions américains ou anglo-saxonnes (anti-Schröder, pro-Menkel) qui ont amené la dramatisation dans cette campagne électorale, qui en ont fait un élément géopolitique majeur pour l’Europe et les relations transatlantiques. Le résultat de cette crise a, dans tous les cas de figure, beaucoup de chances de s’avérer profondément contraire aux intérêts américains. Il aura aussi des effets sur l’Europe.

Les facteurs déterminants de cette crise sont à la fois conjoncturels et structurels. Ils apparaissent pendant la campagne mais ont toutes les chances de se développer ensuite jusqu’à leur maturité, minant de toutes les façons la prochaine législature. Nous allons les envisager ci-dessous. On notera combien certains dépendent pour beaucoup, — parfois pour l’essentiel, — des tendances de notre temps (la communication), dont notre fameux virtualisme…


L’ascension de Angela Merkel, irrésistible en un sens, extrêmement fragile dans un autre sens

Il y a quelques mois, à Washington, dans les bureaux des services de communication qui concernent aussi bien le département d’État que la Maison-Blanche (National Security Council), tout cela sous le contrôle de Karl Rove, on décida que « Merkel will do the job ». Le mot était passé par les Britanniques, toujours futés et bons connaisseurs des affaires européennes, et par quelques “conseillers” extérieurs, tel Richard Perle dont la haine contre Gerhardt Schröeder est légendaire depuis août 2002 (lorsque le chancelier choisit, en pleine campagne électorale, de condamner la future guerre contre l’Irak). Angela Merkel était “la” solution contre Schröder, le missile anti-Schröder par excellence.

Ses deux atouts sont en effet irrésistibles : c’est une femme (excellent pour la “com” type-“new Europe”) et elle vient de l’ex-RDA (excellent pour l’idéologie puisque anti-communiste et pro-US). Cela voulait dire qu’on allait avoir à nouveau une Allemagne pro-américaine aux prochaines élections. Dès le mois de juin, après le résultat négatif du référendum français censé affaiblir la France selon les analyses conformistes en vogue, l’affaire était conclue : Merkel serait élue, l’axe franco-allemand pulvérisé, Blair nommé Empereur d’Europe sous le titre de Tony The First et ainsi de suite.

Soyons sérieux si c’est encore possible : on ne dit pas ici que ce fut Washington qui désigna Merkel mais que le soutien discret de Washington pour l’ancienne Allemande de l’Est joua un rôle non négligeable dans le verrouillage de sa position au sein de la CDU, dont l’appareil est fortement travaillée par les pressions US depuis le virage de Schröder. Pour autant, cela n’apaisa pas les rancoeurs contre elle.


Quel est le vrai adversaire de la CSU bavaroise de Stroïbel ? Schröder ou Merkel ? Devinez…

Merkel est donc une création des circonstances. Les stratèges de la CDU, les spécialistes en communication essentiellement, ont suivi les inspirations de Washington, ou plutôt ils ont atteint les mêmes conclusions. C’est ce qu’on nomme la globalisation de la réflexion, ou bien la “logique unique” propre au monde de la communication.

Les stratèges de la CSU bavaroise (les politiques, ceux-là) n’ont pas du tout suivi. Stroïbel l’irascible et ses Bavarois pleins d’une certaine morgue, dans tous les cas sûrs de leur puissance régionale, ont marqué leur différence. Ils l’ont martelée, même, et c’est Merkel qui a servi d’enclume. La hargne des Bavarois contre Merkel est un des grands moments de la campagne électorale. Elle a été également marquée par une hostilité affichée, presque xénophobe, des Bavarois pour les “bons à rien” de l’ex-RDA (merci pour Merkel, qui en vient), mais aussi par une hostilité pour les gens du Nord (les gens du la CDU, protestants, un peu trop prompts à faire des concessions aux “bons à rien” de l’ex-RDA).

Ainsi a-t-on pu mesurer combien, en Allemagne, à l’intérieur même des partis, les différences régionales deviennent des antagonismes, surtout avec ce “monstre” sudiste, catholique, ultra-conservateur, qui est presque un pays à lui seul, — la Bavière. On imagine ce que cela donnera si la CDU-CSU l’emporte, pour ce qui serait de l’éventuelle cohésion d’un gouvernement, par exemple entre une Merkel chancelier et un Stroïbel vice-chancelier et ministre des finances ou ministre des affaires étrangères…

Mais cela va au-delà. Il est en train de se marquer, en Allemagne, entre des régions si différentes, des différences qui risquent de mettre en cause l’unité du pays qui serait moins que jamais, à cette occasion, la nation qu’elle a été pendant plus d’un siècle. Cela est d’autant plus possible que le ciment européen, qui freinait décisivement cette tendance, est en pleine désagrégation comme l’on sait.

Comment empêcher cette dégradation? Comment trouver un élément extérieur qui puisse agir efficacement? Le seul moyen serait de tenter de renforcer le noyau central de l’Europe, évidemment avec l’Allemagne et la France principalement. C’est peut-être, dans un enchaînement assez logique, revenir à une formule envisagée en juin par un spécialiste CDU des affaires de défense européenne, Carl Lamers, qui proposait de faire de la défense européenne l’axe central de la relance d’une alliance France-Allemagne sous direction CDU-CSU. Il n’est pas certain que cette formule ne serait pas soutenue par la CSU, qui pourrait trouver dans un rapprochement avec la France (la Bavière et la France ont traditionnellement des liens étroits) une façon de contrecarrer l’un des facteurs de la politique Merkel (le rapprochement avec les Américains) par simple opposition à Merkel.

Ainsi une direction CDU-CSU pourrait être confrontée à ce dilemme d’un accroissement dramatique du morcellement régional de l’Allemagne particulièrement déstabilisant ou du renforcement du noyau central européen passant par la défense européenne. Dans ce cas, les ambitions de rapprochement de l’Allemagne avec les USA proclamées par une nouvelle direction Merkel seraient compromises et le choc transatlantique (entre Allemagne et USA) serait beaucoup plus fort qu’avec l’équipe Schröder. Cela pourrait amener des déstabilisations majeures dans les relations transatlantiques et, par conséquent, dans l’équilibre de l’Union européenne au moment où cet équilibre est déjà fortement compromis.


Les hypothèses du destin de Schröder et la gauche institutionnalisée : tous marqués par les pressions de WASG

En un sens, et quels que soient les résultats des élections, on pourrait juger qu’à gauche la situation n’est pas meilleure. L’apparition de la liste WASG est un événement dont on a déjà vu quelles pourraient être certaines des caractéristiques. Dans tous les cas, il s’agit d’un événement qui déstabilise la gauche institutionnelle, beaucoup plus que s’il s’agissait d’un mouvement extrémiste bien marqué, avec une idéologie unitaire et des buts parfaitement identifiés. WASG n’est pas un groupe néo-“Vert” destiné à entrer vite fait dans le système. Sa base est trop diverse et trop animée par une situation en pleine évolution et en pleine radicalisation (elle est directement liée à la globalisation, à l’américanisation, à la politique hégémonique américaniste). Les “Verts” étaient nés d’une utopie statique, ce qui impliquait assez logiquement que ses élus, qui ne seraient jamais l’objet de pressions contraignantes et dynamiques, trouveraient vite un accommodement avec le Ciel américaniste et libéral (Joshka Fisher et Daniel Cohn-Bendit ne nous démentiront pas).

De même que WASG sera soumis à la pression de son électorat qui l’empêchera de s’institutionnaliser, de même la gauche institutionnalisée sera soumise à la pression de WASG qui la conduira à tenter de secouer ce carcan de l’institutionnalisation. Cette perspective doit être perçue dans deux hypothèses:

• Si Schröder perd, la gauche (dont la gauche institutionnalisée SPD) se radicalise d’autant plus aisément dans l’opposition et la pression augmente à mesure sur un gouvernement de droite divisé, dont la division sera encore accentuée par cette opposition radicalisée. Non que la droite CDU-CSU, ou une partie d’elle, soit tentée par une “gauchisation”, mais parce que ces pressions seront utilisées à l’intérieur du gouvernement CDU-CSU, par les factions qui s’opposent.

• Si Schröder gagne (ou plutôt, si la coalition de droite, CDU-CSU + libéraux, est battue) il est obligé de faire des concessions vers sa gauche car la liste WASG jouera un rôle nécessaire. Schröder devra faire des concessions. Il aura beaucoup de difficultés à les faire au niveau de la politique intérieure. Ce sera plutôt en politique extérieure qu’il agira, et son évolution aura tendance à accentuer son opposition aux Américains. Là aussi existeront les ingrédients d’une crise transatlantique d’autant plus forte.


l’Allemagne comme laboratoire des tensions qui traversent l’Europe à cause des pressions américanistes

On observera que la plupart des pressions que nous avons envisagées, mises à part celles qui existent à l’intérieur des CDU-CSU entre Bavarois et Merkel, sont plus ou moins influencées par les pressions déstructurantes de politique extérieure nées de la politique américaniste. Même la liste WASG n’échappe pas à cette règle : si son combat est intérieur et essentiellement social, WASG s’attaque aux conséquences en Allemagne d’une globalisation qui est d’origine américaniste.

Cela signifie que la crise qui est train de couver en Allemagne ne peut être envisagée dans ses prolongements qu’en fonction des relations de l’Allemagne avec les divers composants du courant américaniste. En fait, l’Allemagne se retrouve comme une sorte de laboratoire où se concentrent, se rencontrent et s’affrontent les différentes tensions traversant l’Europe à cause des pressions américanistes. L’Allemagne est en train de devenir un concentré de la crise européenne, laquelle doit également beaucoup dans ses composants à la crise de l’américanisme.