Les énigmes du désordre

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Les énigmes du désordre

On prendra deux situations caractéristiques d’un constat général dont nous voudrions faire le commentaire. Ces deux nouvelles sont imprévues mais pas vraiment inattendues, tant elles témoignent du désordre des choses. Elles montrent combien les stratégies qui se veulent assurées sont sans cesse confrontées à des événements qui menacent de les bouleverser, soit d’une façon structurelle, soit d’une façon accidentelle. (Bien entendu, les deux cas cités, intéressants par leurs précisions, se retrouvent partout, dans toutes les situations de désordre où le bloc BAO imprime sa marque, jusqu’à l’Ukraine qui est le dernier cas du lot, bien entendu.)

• La première de ces nouvelles, qui est une analyse du site DEBKAFiles, concerne la visite du maréchal égyptien al-Sisi à Moscou (voir le 15 février 2014), ou plutôt la personnalité du maréchal al-Sasi à la lumière de cette visite à Moscou. Al-Sasi est comparé par DEBKAFiles au Syrien Assad, par les qualités qu’il semble révéler de dirigeant habile, ferme et particulièrement inattendu pour le bloc BAO, et par le choix qu’il semble de plus en plus affirmer de vouloir se rapprocher des Russes sans en dépendre, comme Assad, mais d’une façon structurelle, c’est-à-dire en prenant clairement ses distances d’avec Washington. L’hypothèse que fait DEBKAFiles (ce 16 février 2014) est que Sisi, conscient des énormes problèmes intérieurs de l’Égypte, a choisi la voie extérieure en s’affirmant comme un nouveau Nasser, chef d’un néo-panarabisme à développer, ce projet n’étant concevable qu’avec la coopération des Russes (notamment pour l’armement) parce qu’il rencontre largement leurs intérêts. Bien entendu, tout cela préoccupe les stratèges israéliens...

«A new concern is preoccupying Israel’s strategists in recent weeks. On top of the al Qaeda fighting strength gathering around its borders, they are beginning to worry about the high momentum with which Russian President Vladimir Putin is capitalizing on America’s withdrawal from the Middle East. Moscow is working through military pacts with Syrian President Bashar Assad and Egyptian strongman and future president, Gen. Abdel-Fattah El-Sisi to dramatically deepen its regional foothold. This and Putin's powerful personal backing for the two figures already have serious repercussions. [...]

»This week, Egypt’s future president Defense Minister Gen. El-Sisi was in Moscow to sign a large transaction for the purchase of Russian arms. According to some estimates it is worth $2 billion; others put the figure as high as $3 billion. Advanced Russian missiles and warplanes – and most likely S-300 anti-missile batteries – will flow into the Egyptian army’s arsenals for its two interlinked wars on the Muslim Brotherhood, which was outlawed as a terrorist organization after its overthrow from power, and on the al Qaeda jihadists entrenched in Sinai... [...]

»Gen. El-Sisi currently treats Israel as a welcome ally, mainly because the Netanyahu government has agreed to overlook key clauses of the 1979 Israeli-Egyptian peace treaty in order to give him a free hand in Sinai and supports his campaigns with deep intelligence cooperation. But the Egyptian strongman's trip to Moscow last week took him a long step away from Washington and an important step closer to Moscow, with incalculable consequences.

»DEBKAfile’s military and intelligence sources draw certain disquieting parallels:

»1. Although widely different in personality and leadership style, El-Sisis and Assad share the same lone rider instinct. They prepare their steps with meticulous care and advance planning for the sake of preserving their independence of action. Assad’s maneuvers net him all the hardware he needs to fight his war from Russia. El-Sisi has designed his first arms transaction with Moscow to put him on the road to the independent path he seeks on the world and Middle East stages.

»2. The Egyptian ruler and his following hold to the political orientation briefly summed up as Nasserist. He knows that Egypt’s fundamental economic woes are incurable, and so he is investing effort in building a strong regime that will promote the Nasserist form of pan-Arab nationalism, with Egypt in the forefront. [...] Therefore, in many ways, the Egyptian strongman is an enigma. Neither Washington nor Jerusalem can foresee exactly where he is heading. The Syrian ruler for his part has confounded the most extreme predictions of how far he is willing to go in his pitiless determination to survive.»

• Le deuxième centre d’intérêt, la deuxième nouvelle, le deuxième événement concerne la brutale liquidation du chef de l’armée rebelle en Syrie, le général Salim Idriss, que les “experts” US considéraient comme “leur homme” dans la structure de l’opposition armée à Assad, et “leur homme” garantissant au moins une apparence de prépondérance de la tendance modérée. McClatchy.News détaille l’événement le 18 février 2014, en insistant sur la surprise complète des mêmes “experts” US qui n’ont rien vu venir alors que tout annonçait l’événement (Idriss «lost any real authority in December, when Islamist fighters seized SMC warehouses across the border from this Turkish city»), qui considèrent son remplaçant sans en rien savoir, parfaitement informés ces “experts” de leur propre incompétence, qui se demandent quel volume de dollars il s’agit de préparer pour mettre le nouveau-venu sur la bonne voie...

«Caught off guard by the abrupt dismissal of the U.S. point man for moderate Syrian rebels, the Obama administration is now searching for new clients to aid in an insurgency that’s dominated by Islamist factions, including groups with connections to al Qaida.

»The downfall of Gen. Salim Idriss, the rebel leader the State Department once described as “a key component of the future of the Syrian opposition,” leaves the United States once again with no clear partner in the nearly 3-year-old civil war. The rebel vote to oust Idriss, taken Sunday at a meeting of the 30-member Supreme Military Council, was mostly a formality; he’d lost any real authority in December, when Islamist fighters seized SMC warehouses across the border from this Turkish city.

»The United States immediately suspended millions of dollars in nonlethal aid then and still hasn’t identified a replacement partner who shares the American vision of a moderate, democratic Syria to replace the regime of President Bashar Assad. The SMC, meanwhile, is struggling to reconstitute itself, and it’s unclear whether its new commander, Brig. Gen. Abdul-Ilah al Bashir, a field commander, shares the U.S. view of Syria’s future. Al Bashir reportedly once led Syria’s army in the south before he defected. He now heads the rebel military council in Quneitra province in southwestern Syria near the Israeli-occupied Golan Heights. According to a Facebook memorial, his son Talal was killed in fighting last year.

»Dan Layman, the spokesman for the Syrian Support Group, a U.S.-based rebel fundraising group, said al Bashir’s selection was a surprise. Unlike other rebel commanders, he is not well known in international circles, Layman said. That would make him a very different kind of partner from Idriss, who took his post to great fanfare from the Western and Persian Gulf nations backing the anti-Assad rebellion. An East-German trained engineering professor, Idriss used his English and connections to press his Western allies for “game-changing weapons” to fight the regime. Secretary of State John Kerry was personally impressed with Idriss, a spokeswoman told reporters last year.

»Now, American officials are starting from scratch...»

Plus qu'à la dimension politique et stratégique des deux événements (le plus intéressant à cet égard étant évidemment al-Sasi et les supputations israéliennes sur ses ambitions de devenir un “nouveau Nasser”, – orientation qui n’aurait rien d’étonnant, certes), nous nous attachons surtout à la démonstration de l’impuissance de ces pays du bloc BAO. Nous voyons ces deux pays du bloc BAO, incontestablement les plus activistes et qui se voudraient les “inspirateurs” du reste en fait d’activisme extrémiste, placés devant les “énigmes” que produit le désordre qu’ils ont si fortement contribué, ces mêmes pays, à développer et à entretenir, par leurs politiques aveugles, leurs stratégies réduites aux tactiques du jour renvoyant le plus souvent à l’apparence de la communication. Pourtant, rien de moins “énigmatique” que ces énigmes, tant elles correspondent parfaitement à la situation dont elles sont la progéniture incontestable.

Certes, les USA et Israël ont cette faiblesse qu’on décrit dans des mesures différentes, absolument omniprésente pour les USA dont la capacité d’analyse est aujourd’hui complètement invertie dans une fascination presque magique pour tout ce qui est erroné, faussaire dans l’évaluation de la situation ; plus contrastée chez les Israéliens, avec une partie de leur establishment qui distingue certaines vérités de situation à côté d’une direction inepte jusqu’à la pathologie de la psychologie. Cette faiblesse, qui est une sorte d’hybris extrémiste jusqu’à la caricature poussant à apprécier la situation à l’aune d’un suprématisme inconcevable d’impudence et produisant par conséquent l’aveuglement constant, est présente dans le fondement chez l’un et chez l’autre, comme elle l’est dans les autres pays du bloc BAO, comme elle l’est au sein de l’UE donnant partout des leçons de son propre hybris bureaucratique et se comportant comme un dictateur d’opérette produisant partout le désordre sans jamais obtenir la moindre légitimité.

Le plus remarquable dans ces processus divers et cette faiblesse de l’“hybris extrémiste jusqu’à la caricature” que le service du Système a insufflé à ces pays du bloc, c’est la façon dont ils ont eux-mêmes bouclé leur propre système de fonctionnement. Ils développent tous une politique d’irresponsabilité et d’impudence dont le seul but semble être de pouvoir affirmer leur suprématisme au niveau de la communication, et dont l’effet principal, sinon exclusif, est de créer et d’alimenter le désordre sous toutes ses formes et dans toutes les directions. Là-dessus, ils appliquent une logique d’analyse, une forme de raisonnement qui se réfèrent complètement à la raison, et qui s’appuient nécessairement sur la certitude que les événements et les acteurs de ces situations de désordre doivent évoluer en fonction d’une référence d’ordre. Leur hybris extrémiste, leur suprématisme créent le désordre et, en même temps, prétendent que les événement vont obéir à une référence d’ordre pour répondre à leur attente. Tout se passe comme s’ils croyaient que du désordre qu’ils installent va naître, non pas l’ordre, mais des événements qui ne peuvent évidemment naître que d’une situation d’ordre ; ils ont oublié une étape, c’est-à-dire qu’ils ont pris l’une pour l’autre, prenant leur bouillie pour les chats du “désordre créateur” pour l’évidence de l’“ordre créateur”. Ils parviennent à la démonstration de l’inversion complète de la soi-disant “doctrine” du “chaos créateur” (expression plus sexy que “désordre créateur”, on en conviendra), qu’elle soit revendiquée par les neocons ou par les ultras du capitalisme déstructurant : le désordre, qui est le résultat de la destruction de l’ordre, ne peut créer ce qu’il a pour fonction de détruire. Le désordre ne peut être utile dans cette voie que s’il est une transition et non une création, entre un ordre qu’on élimine pour lui substituer aussitôt un nouvel ordre qui est déjà en cours d’opérationnalité puisque c’est lui qui pousse à la destruction de l’ordre précédent, et à partir de là seulement naîtront les événements qu’on attend. Ainsi plongés dans l’inversion, ces pays du bloc BAO ne peuvent se trouver en présence, continuellement, que d’événements qui sont des énigmes pour eux puisque nés d’un désordre où ils croient voir un ordre qui leur est favorable, qu’ils ne comprendront jamais vraiment, pour ne pas parler de leur prévision. Outre le désordre, ils produisent une politique qui ne peut donner que le contraire de ce qu’ils attendent pour leurs intérêts, leurs ambitions, et leur hybris extrémiste.

Mais tout cela répond à la logique. Ce ne sont pas les neocons qui sont passés par là, mais le Système qui poursuit sa voie de surpuissance, car lui n’a effectivement pour but que de créer le désordre, sans souci du reste. Les serviteurs du bloc BAO en sont réduits à tenter d’interpréter les choses selon des “doctrines” qui renvoient à une sorte d’intervention divine par le moyen de l’incantation implicite, et à suivre cette pente du désordre sans y rien comprendre. Aujourd’hui où l’on atteint les limites de l’exercice de la transformation de la surpuissance en autodestruction dans le chef du Système, les moins aveugles tentent éventuellement de s’adapter aux conséquences de leur comportement catastrophique, simplement en envisageant d’admettre que le désordre est bien le désordre (voir les Israéliens, si la tendance raisonnable l’emporte). Ailleurs, à Washington surtout, l’on continue à jacasser dans le genre suprématisme enrichi d’“exceptionnalisme”. Pour toute cette volaille, Gone With the Wind...


Mis en ligne le 19 février 2014 à 07H24