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8 décembre 2007 — D’une façon générale, les Européens ont réagi à la publication de la NIE 2007 d’une façon assez inconsistante, une façon que le site WSWS.org décrit dans une analyse du 7 décembre comme “business as usual”: «…politicians in London, Paris and Berlin have made no criticism of the Bush government and are maintaining a stance of “business as usual—” i.e., insisting that international sanctions and economic and political pressure be maintained on Tehran. In so doing, they are perpetuating the same criminal role they played in the run-up to the Iraq war.» Le ton de cette analyse n'écarte pas quelque véhémence et relève de l'esprit de la critique “anti-bourgeoise” propre au site (WSWS.org est le site du “Comité International de la IVème Internationale”).
Comme souvent avec WSWS.org, l’analyse factuelle est bonne, parfois même très fine; l’explication qui en est donnée, par contre, relève souvent d’une approche marquée par l’obsolescence et par le dogmatisme, ou plutôt l’obsolescence du dogmatisme. Cela étant admis, – et l’on en fait ce qu’on veut pour le jugement, – il est aisé de séparer l’analyse factuelle du commentaire dogmatique. On le fera effectivement dans l’extrait ci-dessous, qui restitue l’entame de l’analyse (dans le texte, suit une analyse des réactions de la presse qui va, peut-être d’une façon exagérée, dans le même sens):
«Following the release of the US National Intelligence Estimate (NIE) report Monday, leading European politicians have stressed the need for continuing sanctions and political pressure on Tehran.
»The NIE, consisting of the findings compiled by America’s 16 intelligence agencies, confirmed that Iran was not carrying out any programme to develop nuclear weapons. The report—a direct repudiation of earlier NIE’s claims—makes clear that Washington’s campaign to emphasise a supposed danger of military aggression from Iran in order to justify a military strike against the country is built on a web of lies similar to the campaign preceding the Iraq war.
»Nevertheless, leading European political circles and influential media outlets have reacted to the report with a continuation of their policy of appeasement towards the administration in Washington. Although completely aware of the explosive implications of the NIE findings, politicians in London, Paris and Berlin have made no criticism of the Bush government and are maintaining a stance of “business as usual—” i.e., insisting that international sanctions and economic and political pressure be maintained on Tehran. In so doing, they are perpetuating the same criminal role they played in the run-up to the Iraq war.
»US State Secretary Condoleezza Rice is due to arrive in Brussels at the end of this week to attend a NATO meeting where she will be calling for a further round of punitive sanctions against Iran. The recent comments by leading European politicians give a clear signal that, despite the embarrassing disclosures in the NIE, they will continue to back the administration in Washington and Rice’s initiatives in Brussels.
»On behalf of the French President, French Foreign Ministry spokesman Pascale Andréani declared after the publication of the NIE report, “Iran is not respecting its international obligations and our position remains unchanged.” France, he said, “will continue to pursue the implementation of measures (sanctions) within the framework of the organisations of the body of the United Nations.”
»Commenting on the significance of the NIE report, German Foreign Minister Frank-Walter Steinmeier (Social Democratic Party—SPD) refrained from any sort of criticism of the Bush administration’s campaign against Iran and noted merely that the report opened up an opportunity for more dialogue. He made known that the agreed policy of sanctions would be continued and stressed that the international community was still responsible for keeping nuclear weapons out of the Middle East.»
Cette description, on le comprend bien, est une description de la “réalité apparente” des choses (des réactions), même si elle nous montre des affirmations politiques. On a déjà eu, avec le Bloc-Notes que nous avons publié hier, avec la réaction de Solana par rapport à l’ignorance où les Américains l’ont laissé de la publication de la NIE 2007, un écho de l’embarras où se trouvent les Européens. L’on commence à apprendre, d’une façon de plus en plus documentée (voir notamment un texte de RAW Story du 5 décembre de même que notre F&C d’hier), que la direction US et tous les services concernés discutaient depuis un an et même plus des conclusions qui ont été publiées dans la NIE 2007. Le texte de RAW Story donne toutes les références nécessaires et précise notamment à propos de Seymour Hersh :
«However, the NIE was no surprise to veteran investigative reporter Seymour Hersh, who has been writing about it since November 2006. Hersh told CNN's Wolf Blitzer on Tuesday that he believes the White House deliberately kept the NIE bottled up for over a year because the vice president was dissatisfied with its conclusions.
»“At the time I wrote that, there was a tremendous fight about it because Cheney ... did not want to hear this,” Hersh recalled. “I think the vice-president has kept his foot on the neck of that report. ... The intelligence we learned about yesterday has been circulating inside this government at the highest levels for the last year – and probably longer.”»
Cela signifie que la sensation de Solana d’avoir été ridiculisé et “doublé” par les Américains, voire éventuellement manipulé par eux, et qui porte dans ce cas sur une seule circonstance de quelque jours, porte en réalité, pour les Européens, sur une période d’un an et sur de multiples circonstances. Les Européens ont “travaillé” avec les Américains en croyant à une position et à des informations fermes et intangibles des Américains, alors que celles-ci étaient débattues avec férocité et de plus en plus sur le point d’être renversées. (Cette indifférence et cette inattention américanistes pour les Européens – certains nomment cela du mépris, – ne nous étonnent pas une seconde mais que cette attitude soit exposée à une lumière aussi crue est une bonne chose.)
Les Européens feraient bien de prendre très au sérieux, en plus de les lire parfois, les journalistes dissidents et anti-systèmes US. Les communiqués de la Maison Blanche, les confidences de Rice et les articles du Financial Times ne font pas le poids devant un Seymour Hersh. (Quoique le FT lui-même semble parfois devenir plus instructif.)
Nous avons pris le texte de WSWS.org comme référence à cause du jugement que nous portons sur l’analyse, excellente, et sur l’interprétation de l’analyse, souvent discutable. Cela permet de s'exercer à une autre interprétation à partir d'un matériel factuel solide.
Il faut noter que l’analyse se nuance sur la fin et, passant du simple “business as usual” de soutien inconditionnel de Washington par les Européens, explicite de façon plus détaillée une situation présentée effectivement comme plus nuancée
«There were certainly differences between some European governments and the US over the Iraq war, but they were entirely of a tactical nature. The major European powers shared the same basic concern as their ally across the Atlantic—the securing of the vast mineral reserves in the Middle East for Western consumption.
»Now, the same scenario has emerged in relation to Iran. There is no doubt that the major European countries are extremely alarmed about the political consequences of a US military strike against Iran. The anticipation of catastrophic consequences of such a conflict is leading to growing strains and divisions within the European bourgeoisie. But once again, European foreign ministers argue as they did in the case of Iraq that European support for sanctions is the only way to prevent US military action against Tehran.»
Nous pensons que cette interprétation a un fondement mais que ce fondement est, lui aussi, en train d’être dépassé; parce que ce fondement est une nécessité temporaire (fort peu à la gloire des Européens, mais ce n’est pas nouveau) plutôt qu’un choix réfléchi. Parlant de cette analyse à une source européenne (travaillant dans les institutions européennes), nous lui avons demandé un commentaire. «Sans porter de jugement de fond, il est évident que le commentaire est beaucoup trop élaboré et qu’il arrive à une explication complètement fausse. Ces réactions européennes ne sont pas celles de la continuité, de la confirmation d’une politique, mais celles, paradoxalement, de l’affolement. Il faut voir le climat à la Commission depuis quelques jours! Les Européens ont été assommés par cette nouvelle de la NIE 2007 et, surtout, par ce qu’elle montre du comportement US à leur égard. Même si cela peut paraître difficilement croyable, ils croient à la solidarité avec les USA, et avec une certaine transparence. On a même vu la chose à plusieurs reprises dans le cas des Britanniques, qui connaissent pourtant bien les Américains, avec ces mêmes Américains dans l’affaire irakienne. La réaction actuelle des Européens après la NIE, c’est celle du choc. Ils ne savent pas quoi dire ni quoi faire. Alors ils disent: continuons comme avant, comme si rien ne s’était passé; curieusement, cette façon de dire “continuons à agir” revient à l’image de l’autruche qui met sa tête dans le sable et ne bouge plus.»
L’explication de WSWS.org qu’il n’y a que des “différences tactiques” entre Européens et Américains, au nom de la sacro-sainte “solidarité bourgeoise” sur la stratégie, nous semble très contestable. Ce qu’il y a de “tactique”, au contraire, en plus de l'explication de la faiblesse européenne pour résister au maximalisme US, c’est l’alignement européen sur le maximalisme US, donc sur la politique US dans son ensemble. Dans le cas précis de la nouvelle situation née de la publication de la NIE 2007, la tactique s’est transformée en impasse.
Combien de temps cela pourra-t-il durer? Ce qu’il est essentiel de déterminer, c’est l’effet de la NIE 2007. Nous privilégions cette analyse, déjà abordée hier, que la NIE 2007 représente un choc considérable, un tournant d’une très grande importance, un véritable “coup d’Etat postmoderne” pour forcer à modifier une politique. Cette fois, l’administration Bush ne peut plus manœuvrer; les déclarations de Cheney le montrent bien, à la fois désarroi (“NIE 2007 contrecarre notre politique”) et capitulation (“Nous acceptons NIE 2007“, – «This is what we know. This is the latest intelligence we have and this is what the analysis says it means and it signifies…»).
Il faut un peu de temps pour mesurer les effets de l’événement. On en voit déjà quelques-uns, d’ailleurs prévisibles. Les Russes et les Chinois se sont instantanément durcis face aux demandes occidentales du vote par l’ONU d’une troisième série de sanctions contre l’ONU. Au-delà, toute la politique iranienne de la soi-disant “communauté internationale” va être bouleversée. Par exemple, il n’est pas dit désormais que les bonnes relations entre Sarko et Poutine ne vont pas influencer les Français dans un sens moins intransigeant.
La NIE 2007 a posé sur la crise iranienne un énorme point d’interrogation. Les Européens, qui croyaient avoir trouvé une politique qui évite les interrogations dérangeantes (soit suivre les USA sous prétexte du danger iranien, soit suivre les USA sous prétexte de les freiner dans leurs intentions bellicistes), sont à nouveau devant la terrible question prochaine du choix. Ils vont devoir se déterminer en fonction, non plus d’une allégeance (aux USA), tactique ou pas, mais en fonction d’une situation réelle (l’Iran) qui n’autorise plus les choix radicaux et manichéens. S’ils choisissent de continuer à soutenir aveuglément les USA, ils prouveront qu’effectivement ils ne peuvent rien imaginer d’autre que l’allégeance; cette remarque est d’ailleurs nuancée par une autre interrogation, sur le devenir de cette politique US après la NIE 2007, qui pourrait tout simplement déboucher sur une paralysie complète (au moins jusqu’à l’élection présidentielle). L’alignement automatique et aveugle des Européens réaffirmé sur la continuité d’une politique dépassée par la grâce paradoxale des services de renseignement US est l’expression, également paradoxale, de l’angoisse de la nécessité d’un choix prochain. Tout cela éclaire de la lumière sinistre de l’impuissance et du désordre le spectacle de la politique de la civilisation occidentale.
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