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1729Il ne faudra pas attendre grand chose du conseil de défense français qui se réunit ce jour 24 juin à l'Élysée. Il ne prendra que des mesures cosmétiques en réponse aux révélations de Wikileaks, relayées par Mediapart et Libération. La chancelière Merkel avait fait de même, face aux informations concernant le fait qu'elle était espionnée par la NSA américaine: un moment de mauvaise humeur puis plus rien.
Faut-il rappeler quelques éléments que n'ignorent ni les gouvernements européens, ni leurs services secrets, ni les entreprises et les citoyens un tant soit peu avertis des complexités du monde numérique et de l'hégémonie qui s'est donnée l'Amérique depuis trente ans ?
1. Qui exerce cet espionnage américain? D'abord, pour ne citer que les plus connues, les agences spécialisées (NSA, CIA ...une vingtaine au total), les administrations officielles (Département d'Etat, forces armées, ministère de l'industrie, services diplomatiques...) , le tout sous les encouragements de la Maison Blanche et du Congrès. Ensuite tout le secteur des Organisations non gouvernementales opérant notamment à l'étranger. Enfin l'ensemble du monde des intérêts financiers et des entreprises, grandes ou petites. L'espionnage russe, chinois ou iranien, dont ont fait grand bruit, n'est que travail d'amateur en comparaison.
2. Quels sont les européens espionnés ? D'abord tous les utilisateurs du téléphone et de l'Internet, c'est-à-dire aujourd'hui pratiquement tous les citoyens. Cependant en ce cas, la masse des données recueillie est telle (big data) qu'elle ne peut donner lieu pour le moment à exploitation systématique. Mais cela changera avec la mise en service d'outils d'Intelligence Artificielle de nouvelle génération, Par contre, concernant les utilisateurs, des dossiers individuels peuvent être établis en exploitant ces big data. Ensuite, sont espionnés plus en profondeur tous les pouvoirs publics, gouvernements et administrations. Enfin l'ensemble des entreprises pouvant présenter un intérêt économique pour le complexe militaro-industriel américain, tant en tant que compétiteurs possibles qu'en tant que cibles à conquérir ou neutraliser, notamment sur les marchés à l'exportation (1).
3. Les européens savaient-ils, avant même les révélations de Edward Snowden et autres lanceurs d'alerte, qu'ils faisaient l'objet de cet espionnage? Au niveau du grand public, sans doute pas. Au niveau des gouvernements, des administrations et des entreprises d'une quelconque envergure, certainement, sinon toujours dans les détails, du moins en général. Les services secrets et informateurs européens sont suffisamment performants pour avoir accumulé, et transmis en haut lieu, des preuves indiscutables des activités de renseignement provenant des Etats-Unis.
4. Pourquoi alors cette absence de réaction, qui se poursuivra et s'amplifiera très certainement dans l'avenir, Conseils de défense ou pas? Pour une raison très simple: les européens cités ci-dessus sont tellement pénétrés de l'influence américaine, ceci depuis le début du 20e siècle, qu'ils se félicitent d'être espionnés par les Etats-Unis et qu'ils acceptent de collaborer aux politiques et intérêts de la super-puissance, quel que soit les retombées négatives pour eux d'un tel espionnage et sujétions en découlant. Ils ne renoncent pas à en récupérer quelques retombées.
Les économies et cultures sont d'ailleurs si imbriquées qu'il leur serait impossible de réagir, de se rapprocher d'autres centres de pouvoir dans le monde multipolaire qui se met en place. Telles les troupes coloniales qui se battaient pour les européens durant les dernières guerres mondiales, ces mêmes européens se comporteront en troupes coloniales, ou si l'on préfère, en agents actifs des intérêts américains dans les conflits qui se préparent.
Jean-Paul Baquiast
1) Si les Etats-Unis ont finalement laissé la France vendre quelques Rafales dans des pays "amis", ce fut sans doute parce que, confronté à l'échec industriel actuel de leur propre F35, ils ont préféré que ces pays achètent des avions français plutôt que des équivalents russes ou chinois. Mais la France devra payer la note dans d'autres domaines encore plus stratégiques.
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