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11569 juillet 2009 — D’abord, parlons des choses sérieuses. Le G8 étant ce qu’il est, à la fois inutile, inefficace et parfois significatif pour le climat qu’il restitue, on y retrouve la “nouvelle peur” qui grandit, comme nous le notions hier, concernant une nouvelle catastrophe. WSWS.org le note, ce 9 juillet 2009:
«The stakes are high. Despite the best attempts by Berlusconi and other G8 heads of state to put the best face on the crisis and stress the significance of alleged “green shoots” of growth, the summit is dominated by the deepening financial crisis.
»On the eve of the summit, British Prime Minister Gordon Brown declared that a second wave of the financial crisis was imminent, while World Trade Organization chief Pascal Lamy warned that “the worst of the crisis in social terms is still to come, which means that the worst of the crisis in political terms is still to come.”»
A côté de cette atmosphère crépusculaire où les dirigeants politiques impliqués peuvent mesurer les effets réels de leur intervention pourtant très puissante dans la crise, le G8 a pris des mesures concernant la lutte contre la crise climatique, ou contre l’une de ses causes. Bien entendu, ces décisions sont ou seront soumises à toutes sortes de critiques, à commencer par leurs propres limites à cause du refus, aujourd’hui, de la Chine et de l’Inde, invitée aux agapes du G8, de suivre cet engagement; mais ce n’est pas, pour l’heure, le point qui nous intéresse. Mentionnons ces quelques phrases de The Independent de ce 9 juillet 2009, qui est toujours le quotidien le plus activiste dans le soutien de la lutte contre les émissions de gaz.
«The world's richest nations agreed last night to cut their carbon emissions by 80 per cent by 2050 in a dramatic attempt to secure a new global deal to combat climate change.
»Leaders of the G8 group of countries also agreed to set a limit of C on global temperature rises, the first time they have imposed such a ceiling. In return, they urged developing countries including China and India to cut their emissions by 50 per cent over the same period.»
…En effet, ce qui nous intéresse, sans quitter le sujet qui précède, c’est une intervention du Prince Charles, le Prince de Galles et héritier de la couronne d’Angleterre, que le même Independent présente et commente dans ses mêmes éditions du 9 juillet 2009. Cette intervention est remarquable dans la mesure où elle donne une appréciation générale de la crise climatique, de la crise de l’environnement, et des autres crises, – financière et “consumériste”, – qui caractérisent aujourd’hui notre système et forment la crise systémique générale étendue à une crise eschatologique, ou “crise de civilisation” pour faire bref et tragique, que nous devons affronter. Sans aucun doute à notre estime, c’est l’intervention à l’intention la plus élevée, la plus réaliste et la plus spirituelle à la fois, à ce jour, d’une personne occupant un poste qui est d’abord une fonction qu’on doit qualifier “de responsabilité” malgré les contraintes qui s’y rattachent, dans tous les cas d’une personne d’un si haut niveau dans la hiérarchie des élites occidentales. Charles parle selon une approche philosophique de notre système de civilisation et lie dans un rapport de cause à effet ce système aux catastrophes qui se dessinent et se pressent.
«Capitalism and consumerism have brought the world to the brink of economic and environmental collapse, the Prince of Wales has warned in a grandstand speech which set out his concerns for the future of the planet.
»The heir to the throne told an audience of industrialists and environmentalists at St James's Palace last night that he had calculated that we have just 96 months left to save the world. And in a searing indictment on capitalist society, Charles said we can no longer afford consumerism and that the “age of convenience” was over.
»The Prince, who has spoken passionately about the environment before, said that if the world failed to heed his warnings then we all faced the “nightmare that for so many of us now looms on the horizon”. Charles's speech was described as his first attempt to present a coherent philosophy in which he placed the threat to the environment in the context of a failing economic system.
»The Prince, who is advised by the leading environmentalists Jonathon Porritt and Tony Juniper, said that even the economist Adam Smith, father of modern capitalism, had been aware of the short-comings of unfettered materialism. Delivering the annual Richard Dimbleby lecture, Charles said that without “coherent financial incentives and disincentives” we have just 96 months to avert “irretrievable climate and ecosystem collapse, and all that goes with it.”»
Une appréciation accompagne le texte sur l’intervention de Charles, celle de Mark Lynas, auteur de Six Degrees: Our Future on a Hotter Planet, qui a reçu le prix du livre scientifique de la Royal Society. Toujours dans The Independent du 9 juillet 2009, Lynas fait une plaidoirie pour l’engagement et la pensée du Prince. Pour Lynas, Charles a l’inconfortable position d’être “en avance sur son temps”, – dans tous les cas, de l’avoir été, puisqu’il semble que ses analyses commencent à se répandre.
«His approach has been criticised as old fashioned but it is actually much more about looking forwards than backwards – moving away from approaches that deplete "natural capital" like rainforests and towards a more sustainable economy in harmony with the natural world. The problem for Charles is that being ahead of one's time is not a comfortable place. He has been mercilessly lampooned over the years for his commitment to organic agriculture – but has surely been comprehensively vindicated. […]
»In scientific terms, the Prince's vision of nature as “an interconnected, interdependent function of creation with harmony existing between all things” is increasingly mainstream. Last week, I attended a meeting of marine biologists and climatologists at the Royal Society in London. There was some disagreement among them about the fate of coral reefs – some thought that tropical reefs would be functionally extinct by 2030; some thought it might take a decade or two longer. It was a profoundly depressing day – no one seriously thinks that reefs can be saved.»
Charles est-il sérieux? On lui a beaucoup reproché ses interventions. L’une des attaques est, après tout, que ce personnage reçoit une énorme dotation, se déplace en Rolls ou en Bentley, réside dans des châteaux somptueux, porte des costumes de belle coupe, joue au polo, donc pollue, consomme, etc. Cette sorte de critique voudrait que Charles se conduisît conformément à cette sorte de société qu’il souhaiterait et qui n’existe pas. Selon les moyens du bord disponible, cela reviendrait à lui recommander d’aller vivre dans une caverne sans autre forme de procès; ses critiques seraient sans doute satisfait de la vertu de Charles mais lui, le Prince, ne pourrait plus rien dire et n’aurait plus aucune utilité dans la lutte contre ce système maléfique. Nous avons besoin d’une résistance du Prince, pas de la vertu d’un prince, et encore la vertu selon nos images d’Epinal inspirées par ce même système qui s’entend si bien à noyer le poisson à cet égard. Ce système maléfique est d’une telle puissance que si nous n’utilisons pas ses propres armes contre lui, nous ne pouvons rien.
Dans les innombrables débats sur les crises sans nombre qui se développent à partir du tronc central que constitue notre structure crisique, c’est-à-dire nos activités générales qui ne peuvent plus produire que des crises, nous nous perdons dans des querelles de diversion et de clocher. Que nous importe de savoir si l’homme est responsable à 20% ou à 80%de la crise climatique, et quelle part y a le soleil; de savoir que nous avons déjà connu des réchauffements et des refroidissements et ainsi de suite. Ce sont encore des avatars de notre raison pervertie, celle qui entend avoir raison, et qui, en général, nous promet de mourir guéri ou que notre civilision trépassera sans que cela démente la vertu fondamentale du progrès. De même, dit cette raison pervertie, le modèle économique n’est pas si mauvais puisqu’il y aura reprise, même s’il s’agit d’une “prolonged jobeless recovery”, ou encore, à l'extrême, une “reprise sans fin sans aucune création d’emploi”…
Ne nous importe, à nous, que ces quelques faits.
• Depuis deux siècles, nous avons choisi le développement fondé sur la mécanisation à outrance passant par le moyen destructeur en soi, formidable consommateur d’énergie épuisables, et des énergies génératrices de tensions de toutes sortes à l’image du feu lui-même, de la thermodynamique. (Alain Gras, dans Le choix du feu, montre parfaitement cela, et comment, si le choix avait été fait de l’hydrodynamique au lieu de la thermodynamique, les conditions eussent été bien différentes.) Le résultat est une civilisation de la puissance exponentielle, absolument destructrice de l’environnement par son action déstructurante; une civilisation qui, par le rythme et la tension mêmes de sa puissance, perd tout sens. Le débat sur la destruction de l’environnement et des conditions du monde ne repose pas sur des chiffres, encore trafiqués par la raison dans tous les sens imaginables, mais d'abord, pour chacun de nous, sur la simple perception sensible confrontée à notre histoire et à l’évolution de notre culture, – c’est-à-dire que ce débat repose d'abord sur l’évaluation de l’âme, et le verdict est sans appel.
• Cette destruction du monde par la puissance s’accompagne de la destruction du passé, de l’héritage de la connaissance générale aux dépens des spécialisations réductrices, de l’esthétique elle-même. La laideur, par déstructuration du beau, est la marque même de la modernité. Cette laideur qui détruit l'esthétique est partout, elle est dans les comportements et les mœurs, elle est dans la psychologie, elle est dans la réduction du sacré à sa caricature, elle est dans le saccage des équilibres naturels de l’univers, elle est dans l'assèchement de l'âme. Elle constitue une bonne partie de l’explication de la mort du sens de notre civilisation. Elle pervertit notre psychologie jusqu’à transformer notre jugement pour nous faire accepter comme souhaitable une voie suicidaire, en la décrivant comme génératrice de vertu et de bonheur.
• Par ailleurs, et quelle que soit l’habileté de notre raison pour dégager notre responsabilité, nous sommes dans une impasse, entre le déclin inéluctable des sources de notre puissance et des exigences en augmentation potentielle de cette puissance. Les catastrophes extérieures à notre flux, ou apparemment extérieures à notre flux, ce que nous nommons la crise eschatologique, même si elles peuvent avoir des précédents, notamment pour les variations climatiques, sont aujourd’hui une impasse mortelle sans précédent. Notre puissance exponentielle nous a privés de la vertu initiale de l’espèce, qui était sa capacité d’adaptation. Croyant maîtriser le monde et le façonner à notre image, nous avons perdu tout intérêt pour et toute capacité de nous adapter aux variations du monde. Nous vivons dans un état de tension artificielle, dans des structures artificielles, comme dans une bulle; cet ensemble instable repose sur un développement exponentiel, et il est d’ores et déjà menacé par des occurrences catastrophiques qui ne peuvent que s’accroître en rythme. Une absence d’électricité, une absence d’automobile, etc., nous plongent dans le chaos le plus total, parce que nous avons appris à concevoir ces moyens comme des alternatives existentielles à une situation que nous nous sommes contraints à apprécier comme un chaos. Cette perspective devenue catastrophique nous remplit d’effroi et pèse sur nos psychologies en aggravant notre malaise et, par conséquent, en nous faisant nous enfoncer encore plus dans nos erreurs, notamment en accélérant le rythme du “progrès” selon une tendance de “fuite en avant”.
A cette lumière, bien entendu, tout est lié, – les crise financière, de l’économie, du climat, des énergies, les crises de la déstructuration en général, les crises psychologiques également. Charles a évidemment raison de présenter une critique systémique qui mêle la crise climatique, l’environnement, le système de production devenu incontrôlable et le consumérisme devenu automatisme de survivance, – survivance pour on ne sait plus quoi. Seule cette critique est acceptable parce qu’elle est globale et ne laisse nulle zone d’ombre, nulle échappatoire possible à l’argument sophistique.
Nous pensons depuis longtemps, à la lumière des événements, que notre civilisation est privée de sens (Toynbee), et, pour cela, d’une puissance absolument impuissante. Ses caractères absolument nihilistes reposent sur une perversion des fondements de cette puissance, qui constituent la cause qualitative évidente et par conséquent la cause objective des désastres qui nous guettent, même si des esprits rationnels continuent à s’escrimer sur une comptabilité de notre vertueuse inculpabilité qui est sans aucun doute de filiation américaniste. Cette situation repose sur des choix, notamment ceux qui aboutissent à la puissance machiniste et technologique déchainée, qui constituent un risque objectif fatal, qui était identifiable ou qui pouvait être pressenti, que les Anciens, dont les Romains eux-mêmes de façon précise, avaient identifié. La crise climatique s’inscrit irrésistiblement dans une logique catastrophique générale qui touche tous les domaines. Si ce n’est une “crise de civilisation”, on se demande quels sens donner à “crise” et à “civilisation”.
Il faudrait reconnaître tout cela, d’abord pour mesurer l’ampleur du danger, ensuite pour envisager, s’il est encore temps, quelque chose qui ressemble à une réflexion et à une évolution à contre-courant. La nécessité de cette reconnaissance est absolue; elle va également jusqu’aux occurrences les plus concrètes, les plus immédiates. Si nous ne reconnaissons pas que c’est tout notre système qui est pervers, nous n’obtiendrons jamais l’accord d’une Chine ou d’une Inde pour réduire leurs émissions de carbone de 80% d’ici 2050, car leur critique est irréfutable. (Dito: “En nous obligeant à réduire les émissions comme vous, vous perpétuez, un cran plus bas, notre situation d’infériorité dans votre système”). Si nous disions à la Chine et à l’Inde que nous voulons 80% en moins comme première mesure, avant de répudier entièrement ce système pour trouver autre chose où, en un sens, tout le monde se retrouverait à égalité “sur la ligne de départ”, alors ils prêteraient peut-être l’oreille, puis l’attention.
Cela, nous ne le ferons jamais de propos délibéré dans les conditions actuelles, à moins de mettre Charles à la place de Barroso (à condition d'habiller Barroso en Prince de Galles), et de lui permettre d'imposer sa politique au G8. Notre psychologie se refuse à autoriser une telle révolution de la pensée que serait la reconnaissance de cette erreur. Il nous reste une révolution psychologique, inattendue dans sa constitution et son explosion, imprévue dans ses effets, comme toute révolution. (Sur ce dernier point, notre hypothèse de la nécessité d’une victime expiatoire et paroxystique, qui serait en même temps un déchaînement psychologique, qui ne peut être que la mort de l’American Dream, – cette clef de voûte psychologique du système, – voir la conclusion de notre F&C du 18 juin 2009.)
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